NFT Art, de la création… à la contrefaçon (1/2)
Par Vincent Varet, Professeur associé à l’Université Panthéon-Assas Paris II, et Xavier Près, enseignant à l’Université Paris Dauphine et au CELSA, Docteurs en droit, Avocats associés VARET PRÈS KILLY
L’artiste Mason Rothschild a créé et commercialisé initialement sur la plateforme OpenSea une collection de « 100 NFT uniques » représentant des sacs en fourrure numériques dont le design et le nom « MetaBirkin » sont inspirés des sacs iconiques « Birkin » commercialisés par la maison de luxe Hermès. Aucune autorisation n’a été donnée par Hermès, ni s’agissant de l’utilisation de la forme du célèbre sac, ni du nom « Birkin » par ailleurs protégé à titre de marque. Considérant, par conséquent, qu’il s’agit d’une atteinte à ses droits de propriété intellectuelle, Hermès a engagé une procédure judiciaire sur le territoire américain, après avoir sollicité et obtenu de la plateforme OpenSea la cessation des agissements litigieux. L’artiste n’a pas pour autant été découragé et a continué à exploiter les NFT, notamment sur la plateforme Rarible.
Sans préjuger l’existence d’une contrefaçon, et ce d’autant plus que l’action a été engagée aux États-Unis sur le fondement du droit local (V. requête déposée le 14 janvier 2022, United States District Court Southern District of New York, case 1 :22-cv-00384), on peut analyser la situation juridique en l’appréciant au regard du droit français (d’autres, similaires, ne sauraient tarder à apparaître en France).
Les NFT Art sont-ils soumis à une réglementation spécifique en droit français ?
Aucune réglementation spécifique n’existe à ce jour. Pour autant, les NFT et les créations numériques associées, créées ou non dans les univers numériques parallèles (ou métavers), n’échappent pas aux règles générales et particulières existantes, notamment celle du droit de la propriété intellectuelle. Contrairement à une vieille légende, qui persiste au moins depuis les premiers temps d’internet, l’apparition d’une nouvelle technique n’est pas synonyme de vide juridique : le droit, comme la nature, a horreur du vide. Les règles qui le composent s’adaptent aux évolutions technologiques. Le droit d’auteur en est une parfaite illustration. Il n’a eu de cesse d’appréhender des innovations techniques postérieures à son élaboration : jadis confronté aux inventions de la photographie, du cinématographe, du phonographe, de la radiodiffusion, de la télévision, il s’est ensuite adapté aux programmes d’ordinateur, aux bases de données, et plus récemment au réseau Internet. Il doit désormais appréhender les NFT et les métavers. Ce qu’il peut faire sans difficulté majeure : le droit d’auteur est pour l’essentiel une législation technologiquement neutre.
Les sacs « MetaBirkins » réalisés par l’artiste Mason Rothschild pourraient-ils constituer une contrefaçon au regard du droit d’auteur français ?
Au regard du droit d’auteur français, la reproduction ou l’imitation des sacs « Birkin », sans l’autorisation de la société Hermès, sera de nature à constituer le délit de contrefaçon dès lors que (i) le sac « Birkin » d’Hermès constitue une création de forme originale – ce qui fait peu de doute, et que (ii) ses caractéristiques originales essentielles ont été reproduites par l’artiste Mason Rothschild. Toute reproduction ou imitation totale ou partielle, non autorisée, d’une œuvre de l’esprit protégeable au titre du droit d’auteur constitue une contrefaçon. C’est vrai pour les créations du monde physique comme pour les créations virtuelles. L’article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle ne distingue pas ; il s’applique indifféremment aux unes comme aux autres.
Le NFT ne doit toutefois pas être confondu avec l’objet numérique auquel il est associé, soit en l’occurrence une œuvre, que celle-ci soit contrefaisante ou non. Le NFT ou « Non Fongible Token » est, selon sa traduction, un « jeton non fongible ». Il permet d’identifier l’auteur de l’œuvre (ou plus largement d’un contenu numérique quelconque) et de la rattacher à son propriétaire, grâce à un identifiant unique (V. notre article précédent, « 3 questions à Xavier Près et Vincent Varet sur les “NFT Art” », Le Club des Juristes, 26 novembre 2021, à lire ici). L’œuvre n’est donc pas le jeton (ou NFT) ; elle est, au mieux, authentifiée par le NFT. De surcroit, elle n’est pas hébergée, à la différence du NFT, dans la blockchain ; elle est le plus souvent hors chaine et se trouve « matérialisée » dans un fichier numérique.
Le contenu numérique auquel un NFT est associé n’est pas nécessairement une œuvre originale susceptible d’être protégée au titre du droit d’auteur ; il peut s’agir de n’importe quel type de contenu numérique, y compris une contrefaçon. Dans ce dernier cas, le NFT en tant que titre identifiant son propriétaire devient très utile au titulaire des droits violés, grâce à l’historique des opérations enregistrées dans la blockchain, registre décentralisé, transparent et a priori infalsifiable. Le NFT s’avère alors une arme redoutable, susceptible de se retourner contre celui qui l’a émis et qui souhaitait initialement profiter des garanties de sécurité et de transparence inhérentes à la technique de la blockchain. Le NFT associé à la blockchain apparaît donc aussi comme un outil efficace de lutte contre la contrefaçon.
Et qu’en serait-il sur le terrain de la contrefaçon de marque ?
S’agissant de la contrefaçon de marque, fondement principal invoqué par Hermès au soutien de son action engagée aux États-Unis, plusieurs observations peuvent également être formulées au regard du droit français.
Il sera ainsi d’abord observé que le signe « Birkin » a été déposé à titre de marque par la société Hermès International pour désigner notamment des « sacs à main » dans différents pays, dont la France (et les États-Unis). En droit français, l’emploi des termes « MetaBirkin » pour commercialiser des sacs à main devrait a priori constituer une contrefaçon par imitation dès lors, d’une part, qu’il s’agit bien d’un usage dans la vie des affaires (ce qui semble être le cas ici, l’artiste ayant créé une collection de « 100 NFT uniques » pour les commercialiser) et, d’autre part, que les signes en présence sont similaires et qu’il en est de même des produits qu’ils servent à désigner, dont la seule différence semble être que les uns constituent des biens matériels relevant du monde physique tandis que les autres sont des fichiers numériques relevant d’un univers virtuel. Le risque de confusion s’apprécie notamment au regard du principe selon lequel un faible degré de similitude entre les marques peut être compensé par un degré élevé de similitude entre les produits ou services couverts et inversement. Or en l’occurrence, les signes comme les produits en cause sont fortement similaires.
Le terme « meta » renvoie aux univers virtuels parallèles désignés usuellement sous le vocable « metavers », contraction des termes « meta » et « univers ». Aussi et à supposer cette acception reconnue, la contrefaçon sera établie d’autant plus aisément que les signes en cause ne différeront que par ce terme descriptif des produits et services relevant des metavers. Autrement dit, le terme « meta » ne devrait pas avoir d’impact significatif sur l’appréciation de la ressemblance entre les signes en présence : la comparaison portera principalement sur le terme « Birkin », dominant au sein de ces deux signes. Ainsi peut-on comparer avec la jurisprudence bien établie relative aux signes constitués d’un suffixe correspondant à une extension internet de nom de domaine, selon laquelle une telle extension « n’est pas de nature à modifier la perception du signe » (Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Ch. 2, arrêt du 22 septembre 2017, aff. « France.com »).
La commercialisation de sacs « MetaBirkin », fussent-ils associés à un NFT, sur une marketplace, sans autorisation du titulaire de la marque « Birkin », devrait donc dans ces conditions relever de l’article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle qui interdit « sauf autorisation du titulaire de la marque, l’usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services (…) 2° D’un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s’il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d’association du signe avec la marque ». Les textes français du Code de la propriété intellectuelle sont rédigés, y compris s’agissant du droit des marques, de manière suffisamment large pour appréhender les agissements de l’artiste Mason Rothschild.
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