L’Italie en « lockdown » : les mesures extraordinaires et urgentes concernant l’exercice de la fonction juridictionnelle
Par Bruno Sassani, professeur de droit à l’Université de Rome.
Par Bruno Sassani, professeur de droit à l’Université de Rome
La grave situation sanitaire italienne provoquée par l’épidémie COVID-19, et qui a causé la fermeture de fait de la quasi-totalité des tribunaux, a obligé le gouvernement à promulguer d’urgence deux décrets-lois en l’espace de quelques jours pour réglementer temporairement le fonctionnement de l’activité judiciaire au travers de mesures exceptionnelles. Il s’agit des décrets-lois du 8 mars 2020 n° 11 et du 17 mars 2020 n° 18, ce dernier ayant modifié et intégré le premier.
Les cas de suspension de délais pour les procédures en cours
En ce qui concerne l’activité judiciaire, l’article 1 du premier décret s’était limité à différer (avec un certain optimisme) les audiences et à suspendre les délais des procédures civiles, pénales, fiscales et militaires, jusqu’au 22 mars 2020.
Le deuxième décret, à son article 83, a renvoyé d’office toutes les audiences devant les instances judiciaires à une date ultérieure au 22 avril 2020. En outre, dès le 9 mars et jusqu’au 15 avril, les délais établis pour l’accomplissement de tous les actes des procédures civiles et pénales sont suspendus. Sont concernés les délais établis pour : les enquêtes préliminaires, l’adoption des mesures judiciaires et le dépôt de leurs motivations, les actes introductifs d’instance, l’introduction de procédures d’exécution, les voies de recours et, en général, tous les délais procéduraux et judiciaires.
Pour les délais qui ont leur point de départ pendant cette période de suspension, le même article 83 prévoit que ce départ est différé à la fin de la période. Pour les termes qui sont comptés à rebours (c’est-à-dire à partir d’une date avant laquelle il faut accomplir un acte), si le délai tombe dans la période de suspension, la date à partir de laquelle on compte le déroulement est renvoyée de façon de permettre leur respect.
Les exceptions prévues
L’alinéa 3 du même article 83 prévoit des exceptions à la suspension des délais. Les cas où la suspension extraordinaire ne s’applique pas sont les suivants :
- causes relatives aux mineurs et aux adoptions, aux mineurs étrangers non accompagnés, aux éloignements familiaux et à toutes les situations de préjudice grave qui touchent à la sauvegarde des mineurs ;
- causes relatives aux versement des pensions alimentaires ;
- procédures pour l’adoption de mesures provisoires et urgentes qui ont pour objet la sauvegarde des droits fondamentaux de la personne ;
- procédures pour l’adoption de mesures en matière de protection des personnes incapables (interdiction, administration etc.), dans les limites des situations qu’on ne peut pas différer, ou qu’on ne peut pas résoudre par une mesure provisoire ;
- procédures de suspension de la force exécutoire des jugements civils ;
- procédures relatives aux traitements sanitaires obligatoires pour cause de maladie mentale ;
- procédures judiciaires établies pour l’autorisation à l’interruption de grossesse pour les mineurs ;
- procédures visant à valider l’expulsion, ou à aboutir à des mesures d’éloignement ou de rétention de ressortissants de pays tiers et de l’Union européenne ;
- enfin, et en général, toutes les procédures dont le retard peut produire un préjudice grave aux parties. Dans ce cas, une déclaration d’urgence est faite par le président du tribunal avant le début de la procédure ; si la procédure a déjà commencé, la déclaration d’urgence est faite par le juge de la mise en état ou bien par le président du collège par décret non susceptible de recours.
L’alinéa 20 du même article 83 dispose, en outre, la suspension des procédures de médiation et, en général, de toute procédure prévue par la loi visant à un règlement extrajudiciaire des litiges, avec prorogation des délais de durée maximale de ces procédures.
La continuité de l’action pénale
En matière pénale, échappent à la suspension les procès de validation de la mesure d’arrestation ou de garde à vue et ceux où les délais de détention provisoire expirent pendant la période de suspension. Il en va de même :
- pour ceux qui concernent les personnes poursuivies en détention (sur demande expresse des détenus ou de leurs avocats) ;
- pour l’application de mesures de prévention (sur demande expresse des accusés ou de leurs avocats) ;
- pour ceux dont l’urgence due à la nécessité de recueillir des preuves ne peut être différée. Dans ce dernier cas, la déclaration d’urgence est faite par le juge ou par le président du collège par un décret non susceptible de recours.
Lorsque la suspension des délais est appliquée, le cours de la prescription du délit est lui aussi suspendu, tout comme les délais établis par les articles 303 (détention préventive) et 308 (mesures coercitives différentes de la détention préventive et mesures d’interdiction) du code de procédure pénale.
Outre les mesures de suspensions légales des procès, les alinéas 5 et 6 de l’article 83 prévoient que le dirigeants des offices judiciaires peuvent adopter une série de mesures de sécurité comme :
- la limitation de l’accès du public aux offices judiciaires ;
- la limitation des horaires d’ouverture au public ;
- la réglementation de l’accès aux services ;
- l’adoption de lignes directrices pour la fixation et le déroulement des audiences, y compris l’exclusion du public de la salle d’audience ;
- la prévision du déroulement des audiences civiles par accès à distance ;
- la prévision du renvoi des audiences à une date suivante le 30 juin 2020 dans les procès civils et pénaux, sauf les cas relevant de l’alinéa 3 vus plus haut.
Il demeure des cas dans lesquels la saisine de la juridiction s’avère impossible à cause de l’application des mesures des alinéas 5 et 6. Les délais de prescriptions et de forclusion qui regardent les droits qui ne peuvent pas être exercés que par la poursuite des activités rendues impossibles à cause de ces mesures (article 83, alinéa 8 du décret-loi du 17 mars 2020, n° 18) demeurent suspendus.
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