Les accords commerciaux post-Brexit du Royaume-Uni
Par Emanuel Castellarin, Professeur à l’Université de Strasbourg.
Par Emanuel Castellarin, Professeur à l’Université de Strasbourg
Au troisième trimestre 2020, le commerce avec les Etats non membres de l’Union européenne pesait 54,3% du commerce international britannique. Les accords commerciaux préférentiels conclus par l’Union (fin 2019, 44 accords couvrant 77 Etats) ont été applicables au Royaume-Uni uniquement jusqu’au 31 décembre 2020 (article 129, § 1 de l’accord de retrait).
Les accords commerciaux britanniques sont-ils différents des accords commerciaux de l’Union européenne ?
Le Brexit a paradoxalement engendré beaucoup d’efforts pour maintenir la situation antérieure. L’article 129, § 4 de l’accord de retrait permettait au Royaume-Uni de conclure des accords commerciaux, tout en en interdisant l’entrée en vigueur ou l’application pendant la période de transition. Les institutions britanniques ont rencontré d’inévitables difficultés : réflexion sur la stratégie à adopter, attribution au Department for International Trade de moyens auparavant mutualisés au niveau européen, négociations avec chaque partenaire commercial, etc. Le réseau conventionnel de l’Union a manifestement été considéré comme un atout à reconstituer.
Initialement prévue en temps utile pour un éventuel retrait sans accord fin mars 2019, la reproduction du réseau conventionnel de l’Union a été réalisée de manière presque intégrale entre le 30 janvier 2019 (signature de l’accord d’association avec le Chili) et fin 2020. Exception faite pour quelques négociations en retard (Algérie, Bosnie-Herzégovine, Serbie, Monténégro), une quarantaine d’accords britanniques sont entrés en vigueur le 1er janvier 2021, définitivement ou au titre de l’application provisoire en attente de la ratification. Cette démarche permet d’éviter une disruption des chaînes de valeur établies, sans effort particulier pour une libéralisation supplémentaire (ou moindre) du commerce. En effet, le contenu des accords ne présente pas de différences significatives par rapport aux accords de l’Union, contrairement à ce que le gouvernement britannique s’efforce parfois de démontrer, y compris par des informations approximatives voire fausses, comme à propos de la protection des indications géographiques dans l’accord avec le Japon.
Les futurs accords commerciaux britanniques seront-ils différents des accords commerciaux de l’Union européenne ?
Il est possible que le Royaume-Uni souhaite aller plus loin ou plus vite que l’Union dans la conclusion de nouveaux accords commerciaux. Quatre négociations sont prioritaires pour le gouvernement britannique. Deux (avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande) sont parallèles à celles entamées par l’Union en 2018 ; une (avec les Etats-Unis) reprend celles infructueuses de la période 2013-2016. Le Royaume-Uni souhaite aussi adhérer au Comprehensive and Progressive Agreement for Trans-Pacific Partnership, mais l’originalité de cette initiative ne doit pas être exagérée, car la plupart des Etats concernés sont déjà liés tant au Royaume-Uni qu’à l’Union par des accords. Comme les accords de l’Union, les accords britanniques établissent aussi des cadres permanents de négociation avec les partenaires commerciaux, qui pourraient déboucher sur des engagements plus ambitieux. Toutefois, l’Accord de commerce et de coopération signé avec l’Union le 24 décembre 2020 comprend des clauses de la nation la plus favorisée en matière de services et d’investissements (articles SERVIN 2.4 et SERVIN 3.5) qui limiteront l’éventuel décalage des politiques commerciales européenne et britannique, sauf dans le domaine des services financiers.
Il reste à voir si le Royaume-Uni réussira là où l’Union a échoué : par exemple, les négociations avec l’Inde s’annoncent au moins aussi complexes que celles menées sans succès par l’Union entre 2007 et 2013. Par rapport à l’époque où il était membre de l’Union, le Royaume-Uni ne s’est pas nécessairement renforcé. Sa marge d’action politique est sans doute plus grande, mais le marché britannique est limité (alors que son degré d’ouverture est équivalent à celui de l’Union), ce qui réduit les contreparties à offrir aux partenaires commerciaux. Les négociations avec les Etats-Unis illustrent cette situation : un accord semble inenvisageable sans concessions britanniques dans les domaines, politiquement très sensibles, des produits agricoles et des services de santé, mais le gouvernement britannique exclut catégoriquement que le National Health Service puisse faire l’objet de négociations.
Les engagements britanniques au sein de l’Organisation mondiale du commerce sont-ils affectés ?
Le Royaume-Uni est un membre originaire de l’OMC, au même titre que les Communautés européennes et leurs Etats membres (article XI de l’accord de Marrakech de 1994), si bien qu’il n’a pas eu besoin d’entamer une procédure d’accession en raison du Brexit. Au contraire, le droit de l’OMC est le cadre juridique applicable par défaut entre le Royaume-Uni et les 163 autres membres de l’OMC et aurait été le filet de sécurité (limitée) dans les relations euro-britanniques en cas de hard Brexit. Concernant l’Accord sur les marchés publics, conclu par l’Union seule, le Royaume-Uni y a accédé à titre individuel à compter du 1er janvier 2021.
Cependant, des ajustements ont été nécessaires. Dès octobre 2017, le Royaume-Uni et l’Union ont formulé pour l’après-Brexit une proposition fondée sur le respect par le Royaume-Uni des obligations indivisibles de l’Union (comme les tarifs douaniers) et sur la répartition équitable des obligations divisibles négociées pour l’Union dans son ensemble (comme les contingents agricoles). Certains membres de l’OMC ont considéré que cette démarche limitait leur droit d’accès aux marchés européen et britannique. Comme prévu par l’article XXVIII du GATT, des négociations ont eu lieu avec les membres concernés. Toutes les négociations n’ont pas encore été achevées, mais aucune ne semble donner lieu à des difficultés insurmontables. D’ailleurs, des négociations analogues ont eu lieu, sans problème majeur, après chaque adhésion à l’Union de nouveaux Etats membres.
Une déclaration notifiée à l’OMC le 4 janvier 2021 résume la situation actuelle du Royaume-Uni au sein de l’organisation. Le gouvernement britannique insiste sur la continuité par rapport à la situation antérieure, mais des évolutions sont possibles dans certains domaines. D’une part, les mesures unilatérales en faveur des pays en développement (système de préférences généralisées) restent pour l’instant alignées avec le droit de l’Union, mais pourraient s’en écarter à l’avenir. D’autre part, en matière de défense commerciale le Royaume-Uni ne maintient en vigueur que 51 des 125 mesures antidumping, compensatoires ou de sauvegarde en vigueur dans l’Union à la fin de la période transitoire. Dorénavant, le Royaume-Uni pourrait abroger certaines mesures ou en adopter d’autres en vertu du Taxation (Cross-border Trade) Act 2018.