Bref commentaire, en matière d’urbanisme, de l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 portant diverses mesures prises pour faire face à l’épidémie de covid-19
Par Emmanuel Vital-Durand, avocat associé, Gide Loyrette Nouel.
Par Emmanuel Vital-Durand, avocat associé, Gide Loyrette Nouel
Allons, allons, Madame, bis repetita placent, comme nous disons en patois, ce qui signifie : « Deux vermouths ne font jamais mal » (Guy de Maupassant, Pierre et Jean)
Si de mauvais esprits croient pouvoir blâmer les pouvoirs publics quant au défaut d’anticipation de la pandémie et au déficit de moyens matériels pour y faire face, une telle critique ne peut s’étendre à leur réactivité pour mettre en place des thérapies juridiques. En tous cas dans le domaine du droit de l’urbanisme qui a déjà eu le privilège, à ce jour, de bénéficier de trois ordonnances successivement prises sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19. La présentation de la dernière d’entre elles, publiée au Journal officiel du 23 avril 2020, nécessite un bref retour en arrière.
L’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période répondait, en période de confinement affectant tant les services administratifs que les justiciables, à deux préoccupations très légitimes. Il s’agissait d’abord d’éviter, durant la période d’état d’urgence et à défaut de décision expresse de l’autorité compétente dans le délai réglementaire imparti, la naissance de décisions implicites de rejet des demandes d’autorisations d’urbanisme ou, selon les cas, la délivrance tacite de telles autorisations, alors même qu’elles n’auraient pas été conformes aux règles d’utilisation des sols. Ajoutons que la consultation de certains services durant cette période s’avère problématique – on pense en particulier à la saisine de l’architecte des bâtiments de France, pour apprécier sur place l’insertion d’un projet immobilier dans son environnement. Il s’agissait ensuite de prévenir le risque de forclusion du délai de recours contre les autorisations d’urbanisme, courant pendant deux mois à compter de leur publicité sur le terrain d’assiette, dans le cas où cette publicité aurait (opportunément) été accomplie pendant que les tiers intéressés, mais confinés, étaient dans l’incapacité d’agir devant la juridiction administrative.
La première réponse gouvernementale a été particulièrement efficace, en tout cas du point de vue des intérêts protégés.
S’agissant des délais d’instruction des demandes d’autorisations d’urbanisme, l’ordonnance du 25 mars 2020 prévoyait, en son article 7, que les délais à l’issue desquels une décision, un accord ou un avis de l’administration peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement et qui n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020 (début du confinement) étaient, à cette date, suspendus jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire. Le point de départ des délais de même nature qui auraient commencé à courir pendant cette période était également reporté jusqu’au terme de cette même période. Ainsi, l’instruction de l’ensemble des autorisations d’urbanisme ou des actes relatifs au développement de projets (agrément activités en Ile-de-France, purge du droit de préemption urbain, …) était gelée du 12 mars au 23 juin 2020 inclus. De même, s’agissant des délais de recours, toute action qui aurait dû être exercée durant cette période était interrompue et pouvait être formée, à compter du 24 juin, dans le délai légal pour agir, dans la limite de deux mois. Un permis affiché à la mi-janvier 2020 se trouvait ainsi susceptible d’être contesté jusqu’au 25 août.
L’ensemble des maîtres d’ouvrage, privés comme publics, et les acteurs du marché immobilier n’ont pas manqué de souligner le caractère excessif de ces dispositions, assimilées à une double peine en sus de la nette dégradation de leur activité. La Gouvernement s’est montré réceptif à la critique et particulièrement réactif, en adoptant l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19.
Dans ce deuxième service, le texte a prévu, en son article 12, que les dispositions dérogatoires de la précédente ordonnance ne seraient plus applicables aux demandes d’autorisation et de certificats d’urbanisme, les déclarations préalables et les procédures de récolement postérieures à l’achèvement de l’immeuble. En d’autres termes, pour ces actes-là, la période de gel des délais d’instruction prendra fin en même temps que l’état d’urgence sanitaire – sans l’ajout d’un mois « tampon ». En ce qui concerne les délais de recours à l’encontre des autorisations d’urbanisme, ceux-ci sont seulement suspendus (et non plus interrompus) à compter du 12 mars et reprendront leur cours dès la cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit le 24 mai, pour la durée restant à courir au 12 mars, sans que cette durée puisse être inférieure à 7 jours. Les déférés préfectoraux seront soumis au même régime. La purge du délai de recours d’un permis de construire affiché à la mi-janvier 2020 interviendrait ainsi à la fin du mois de mai.
Cette avancée doit être – et a été – saluée, mais les praticiens ont à nouveau attiré l’attention des pouvoirs publics sur un certain nombre d’actes et de procédures, en matière d’urbanisme toujours, demeurant lestés par le mois « tampon » institué au-delà de la période d’état d’urgence. Ils ont été – partiellement – entendus.
Dans une troisième tournée donc, l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 portant diverses mesures prises pour faire face à l’épidémie de covid-19 comporte plusieurs dispositions intéressant les porteurs de projets immobiliers (mais pas seulement : l’article 20, en particulier, retient l’attention des praticiens du droit administratif en traitant du sort des contrats publics dont l’exécution est affectée par la crise sanitaire : concessions et conventions d’occupation du domaine public).
L’article 23 de la nouvelle ordonnance étend tout d’abord symboliquement l’intitulé du Titre II bis de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, portant jusqu’alors « DISPOSITIONS PARTICULIÈRES AUX ENQUÊTES PUBLIQUES ET AUX DÉLAIS APPLICABLES EN MATIÈRE D’URBANISME ET D’AMÉNAGEMENT », aux délais applicables en matière « DE CONSTRUCTION ». Selon le Rapport préalable au président de la République, en effet, « l’objectif est de relancer aussi rapidement que possible, une fois passée la période de crise sanitaire, de nombreux travaux dans les ERP [établissements recevant du public] et IGH [immeubles de grande hauteur] réalisés par les artisans et PME du bâtiment, notamment les réaménagements de commerces qui devront faire des travaux d’adaptation au Covid-19 à la sortie du confinement ».
Le texte procède ensuite à un ajustement de l’ordonnance du 25 mars 2020, telle que modifiée par l’ordonnance du 15 avril 2020, afin de permettre au pouvoir réglementaire de faire « repartir » par décret (et non en recourant à une nouvelle ordonnance) les délais d’instruction de certains actes (demandes d’autorisations d’urbanisme et purge du droit de préemption), pour « des motifs de protection des intérêts fondamentaux de la Nation, (…), de sauvegarde de l’emploi et de l’activité, (…) de préservation de l’environnement (…) ». Cette délégation de pouvoir à l’autorité réglementaire peut laisser espérer que les délais « protégés » jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire soient abrégés, pour les actes concernés, afin de reprendre le cours de leur instruction dès la fin du confinement, sans attendre deux semaines supplémentaires.
Enfin, l’article 23 de la nouvelle ordonnance supprime le mois supplémentaire ajouté à la fin de la période d’état d’urgence sanitaire, pour l’instruction des autorisations de travaux, d’ouverture et d’occupation prises en application du livre Ier du code de la construction et de l’habitation (CCH), c’est-à-dire pour les établissements recevant du public (ERP) et les immeubles de grande hauteur (IGH). Concrètement, le contrôle administratif du respect, pour ces immeubles, des règles de sécurité incendie et d’accessibilité pourra également reprendre dès le 24 mai.
Au terme de cette succession rapprochée de textes progressivement consolidés, l’impression générale produite est difficile à qualifier. A l’évidente satisfaction que font naître le pragmatisme et la réactivité du Gouvernement se mêlent l’inquiétude liée à l’empilement de législations d’exception successives, mais aussi un goût de manque au sujet de tous les autres actes administratifs, souvent indispensables au développement de projets immobiliers, dont l’instruction ne reprendra qu’à partir du 24 juin (autorisations environnementales, autorisations de changement d’usage, etc.).
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