3 questions à Yann Kerbrat sur le retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris
Suite à l’annonce faite par Donald Trump en fin de semaine dernière, Yann Kerbrat, professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris 1) et directeur de l’Institut de recherche en droit international et européen de la Sorbonne (IREDIES) décrypte les tenants et les aboutissants de ce retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris.
« La dénonciation de la CNUCC par les Etats-Unis exclurait toute participation de ceux-ci aux négociations de futurs accords et décisions relatifs au climat »
Quelles sont les modalités et conditions de la sortie des États-Unis de l’accord de Paris ?
La « sortie » par les États-Unis peut prendre deux voies dont les effets sont très différents. Les États-Unis pourraient choisir de sortir de l’Accord de Paris selon les modalités et conditions spécialement prévues à cet effet dans l’Accord lui-même. Telle décision serait alors subordonnée à l’écoulement d’un certain temps : l’article 28 prévoit qu’un État partie ne peut notifier sa décision de dénoncer l’Accord qu’après un délai de trois ans à compter de la date d’entrée en vigueur de l’Accord. Celle-ci étant intervenue le 4 novembre 2016, les États-Unis devraient ainsi patienter jusqu’au 5 novembre 2019 pour dénoncer l’Accord. Selon la même disposition, la dénonciation ne prendrait alors effet qu’un an après sa notification au Secrétaire général des Nations Unies. Soit au plus tôt… deux jours après les élections présidentielles américaines de 2020.
La seconde voie que pourraient emprunter les États-Unis serait de dénoncer non pas l’Accord de Paris lui-même, mais la Convention-cadre de Rio sur les changements climatiques du 9 mai 1992 (CNUCC). L’Accord de Paris n’est pas formellement un protocole de la CNUCC, au sens de l’article 17 de la Convention, mais il prévoit dans son article 28§.3 que « toute Partie qui aura dénoncé la Convention sera réputée avoir dénoncé également le présent Accord ». La solution est simple, dès lors : il suffit de dénoncer la CNUCC pour sortir de l’Accord. La CNUCC contient en effet pour sa dénonciation une disposition identique à celle de l’article 28 de l’Accord. Mais pour la Convention, le terme du délai de trois ans est atteint de longue date (la CNUCC est entrée en vigueur le 21 mars 1994). En conséquence, la dénonciation de la CNUCC par les États-Unis et, incidemment, celle de l’Accord de Paris, prendrait effet un an après sa notification.
Quels effets cette sortie de l’Accord de Paris va-t-elle avoir, du court au long terme ?
Les effets de la dénonciation ne seraient pas les mêmes selon que les États-Unis utiliseraient l’un ou l’autre de ces moyens. La sortie de l’Accord de Paris seul, qui ne serait pas effective avant quatre ans, aurait pour conséquence que les États-Unis resteraient tenus par les obligations de l’Accord jusqu’à l’expiration de ce délai. Ils pourraient également participer à la vie des organes de la CNUCC, en particulier aux COP et profiter de cette présence pour peser sur les décisions qui seront négociées. Le pouvoir des États-Unis pour peser sur les discussions est important, dans un contexte où la procédure ordinaire d’adoption des décisions est celle du consensus. Important aussi parce que l’Accord de Paris n’est jamais qu’une sorte d’accord-cadre qui fixe des objectifs et des règles générales (moins que la CNUCC sans doute, mais insuffisantes en soi pour être réalisées sans l’adoption préalable de mesures d’application) ; il laisse à la Conférence des parties de la CNUCC le soin d’arrêter les règles précises et les modalités pratiques des actions qui devront être prises par les États. À cet égard, la stratégie des États-Unis de sortir de l’Accord de Paris peut surprendre : il leur serait plus facile de bloquer l’évolution du régime international du climat en étant à l’intérieur que dehors.
La sortie de l’Accord précédée de celle de la CNUCC n’emporterait pas pour les États-Unis de conséquences bien différentes du point de vue des obligations qui pèsent sur eux, sinon qu’elle leur permettrait de mettre fin à leur contribution financière aux organes établis par la Convention ou sur son fondement. L’effet pour ces institutions serait sans doute délétère, mais pas insurmontable. En revanche, la dénonciation de la CNUCC par les États-Unis exclurait toute participation de ceux-ci aux négociations de futurs accords et décisions relatifs au climat. Les États-Unis se retrouveraient ainsi au ban de la communauté internationale du climat, qui réunit actuellement les 196 États + l’Union européenne parties à la CNUCC. Cette situation pourrait à terme leur apporter beaucoup plus d’inconfort que d’avantages, alors que dans le même temps plusieurs collectivités territoriales américaines, dont plusieurs États fédérés des États-Unis, ont affirmé leur volonté de continuer leur action en faveur de la réduction des gaz à effet de serre, conduisant ainsi à un effacement de l’État fédéral sur la scène internationale au profit des collectivités infra-fédérales américaines.
Comment les autres États réagissent et vont réagir à cette décision ?
La réaction à chaud des États montre que la plupart des États sont déterminés à poursuivre l’action diplomatique en faveur du climat, laquelle sera, dans une certaine mesure, plus aisée sans la participation de l’administration du Président Trump qu’avec celle-ci. La sortie des États-Unis pourrait au demeurant augurer d’une reconfiguration très intéressante des négociations climatiques avec un double leadership de l’Union européenne et de la Chine, qui, à terme, pourrait peut-être s’avérer plus efficace.
Mais on ne doit pas masquer le fait que la sortie des États-Unis de l’Accord de Paris pourrait aussi dissuader d’autres États de s’engager plus avant dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre et/ou dans les actions d’adaptation aux changements climatiques en faveur des États en développement. La Fédération de Russie n’est pas encore partie à l’Accord de Paris, elle prendra sa décision en 2019 ; le retrait des États-Unis pourrait avoir pour elle un effet d’épouvantail. En dépit de la réaffirmation de l’engagement des grands émergents (Chine et Inde), la sortie des États-Unis pourrait induire, en outre, des réactions de repli de la part d’États en développement qui, attachés à la reconnaissance et à la prise en compte de la responsabilité historique des États du Nord dans les changements climatiques n’entendent pas assumer l’irresponsabilité du plus gros émetteur historique de la planète.
Quoiqu’il faille ne pas sombrer dans un excès de pessimisme et se réjouir de signes encourageants (la réaction de l’UE, de celle des grands émergents, des grandes entreprises américaines, de grandes collectivités territoriales des États-Unis, etc.), la sortie des États-Unis est une mauvaise nouvelle, une annonce inquiétante, dont les États-Unis et son président resteront sans doute à jamais comptables devant les générations présentes et futures.
Par Yann Kerbrat