3 questions à Xavier Dupré de Boulois sur la censure par le Conseil constitutionnel de la loi sur l’état d’urgence
Par sa décision du 11 janvier 2018, le Conseil constitutionnel a jugé contraire à la Constitution l’article 5 §2 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence dans sa version initiale. Cette disposition autorisait le préfet à instituer des zones de protection ou de sécurité (ZPS) dans lesquelles le séjour des personnes est réglementé.
Décryptage de cette décision par Xavier Dupré de Boulois, professeur de droit à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
« Cette décision ne permet pas de préjuger de ce que sera l’appréciation à venir du Conseil constitutionnel »
Pour quel motif le Conseil constitutionnel a-t-il censuré cette disposition ?
Cet article 5§2 de la loi de 1955 était un vestige d’une époque révolue. Dans sa version initiale, la loi sur l’état d’urgence se présentait en effet comme un texte attribuant des compétences exorbitantes aux autorités de police sans véritable encadrement ni garanties pour les personnes concernées. Neuf décisions rendues en QPC et six lois sont intervenues durant la séquence novembre 2015 – novembre 2017, qui ont permis d’adapter cette loi aux standards contemporains, qui ne sont plus ceux de la Guerre d’Algérie. Ainsi, dans sa version initiale, l’article 11 de loi de 1955 ne consacrait qu’un seul alinéa aux perquisitions, il en comporte désormais dix-neuf. De son côté, l’article 5§2 se bornait à autoriser le préfet à instituer des zones de protection ou de sécurité (ZPS) sans autre précision. Comme il l’a déjà fait pour d’autres dispositions de la loi de 1955 dans sa version initiale (par exemple sa décision 2016-567-568 QPC pour les perquisitions administratives et sa décision 2017-635 QPC pour les interdictions de séjour), le Conseil a constaté que le législateur n’a soumis la création d’une ZPS à aucune condition, qu’il n’a pas défini la nature des mesures susceptibles d’être prises par le préfet pour réglementer le séjour des personnes à l’intérieur d’une telle zone et n’a encadré leur mise en œuvre d’aucune garantie. En conséquence, l’article 5 §2 a porté une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et de venir.
Quelles sont les conséquences de cette décision ?
En pratique, elles sont limitées. L’article 5 avait déjà été modifié postérieurement aux faits à l’origine de la présente QPC par la loi du 11 juillet 2017. Cette dernière l’a complété pour tenir compte d’une autre décision du Conseil constitutionnel au sujet de son §3 relatif aux interdictions de séjour et de circulation (n°2017-635 QPC). En conséquence, la loi du 11 juillet 2017 a renforcé a minima l’encadrement des mesures prises sur le fondement de l’article 5. L’instauration d’une ZPS doit désormais intervenir « dans le but de prévenir des troubles à la sécurité et à l’ordre publics » et la réglementation du séjour dans ces zones doit « tenir compte de la vie familiale et professionnelle des personnes susceptibles d’être concernées ». Il n’est pas sûr que cette nouvelle mouture de l’article 5 soit conforme à la Constitution au regard du caractère sommaire des garanties qu’il contient. Mais la réponse à cette interrogation devrait rester pour l’heure en suspens puisqu’il a été mis fin à l’état d’urgence le 1er novembre dernier.
Cette décision préfigure-t-elle celle qui sera rendue dans les semaines qui viennent au sujet des périmètres de protection prévus par la loi du 30 octobre 2017 ?
On sait qu’un certain nombre de mesures figurant dans la loi de 1955 ont été transposées dans le droit commun en prévision de la fin de l’état d’urgence. La loi du 30 octobre 2017 a ainsi introduit une disposition dans le Code de la sécurité intérieure qui autorise le préfet à instaurer « un périmètre de protection au sein duquel l’accès et la circulation des personnes sont réglementés » (art. L. 226-1). Ces périmètres de protection font clairement écho aux ZPS de l’état d’urgence. Il se trouve que le Conseil d’Etat a déjà renvoyé une QPC au Conseil constitutionnel au sujet de cette nouvelle disposition à l’initiative de la Ligue des droits de l’homme (CE, 28 décembre 2017, n°415434). La question peut donc se poser de l’apport de la décision 2017-684 QPC dans l’appréciation de la constitutionnalité à venir du dispositif introduit par la loi du 30 octobre 2017. En réalité, on perçoit bien que le législateur s’est efforcé de prévenir les risques d’inconstitutionnalité en encadrant le recours à ces périmètres de protection de manière plutôt rigoureuse. Il précise la finalité de la mesure, les modalités de définition de périmètres de protection et certaines garanties pour les personnes concernées. Il est difficile d’évaluer ce que sera la décision du Conseil à venir à l’égard de l’article L. 226-1. Il n’encourt clairement pas les mêmes critiques que feu l’article 5 §2. Sauf à considérer bien sûr que c’est le principe même de la possibilité de recourir à ces périmètres de protection en période normale qui doit être stigmatisée. On voit mal le Conseil s’engager dans une telle voie.
Par Xavier Dupré de Boulois