3 questions à Pascal Jan sur une éventuelle réforme du contrôle parlementaire
Dans son entretien accordé à Mediapart et publié lundi 9 mai dernier, Emmanuel Macron a fait part de son souhait de réformer le contrôle parlementaire sur le travail de l’exécutif et de transformer le Conseil Economique Social et Environnemental. Décryptage de ce projet avec Pascal Jan, professeur de droit à Sciences Po Bordeaux.
« Il faut conserver à l’esprit que la séparation des pouvoirs aujourd’hui, ce n’est plus exclusivement celle entre l’exécutif et le pouvoir parlementaire ; c’est aussi celle entre la majorité et la minorité »
Une réforme du contrôle parlementaire sur le travail de l’exécutif est annoncée : qu’en est-il actuellement de ce contrôle parlementaire ? Quelles seraient les procédures à mettre en œuvre pour assurer un contrôle accru du travail de l’exécutif par le Parlement ?
La fonction de contrôle de l’action gouvernementale forme, avec la fonction législative et l’évaluation des politiques publiques (art. 24 C), le cœur des missions du Parlement. Ou, plutôt, le devrait. Certes, la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 ainsi que les lois et règlements parlementaires qui la mettent en œuvre, ont renforcé les capacités de contrôle du travail exécutif en instaurant la semaine parlementaire de contrôle, en associant davantage l’opposition aux travaux des commissions législatives ou encore en soumettant des décisions nominatives du président de la République à l’avis des commissions compétentes … Mais le fait majoritaire et les logiques partisanes ont grandement annihilé la portée de ces réformes qui témoignent néanmoins d’une volonté de replacer le Parlement au cœur de l’action politique.
Pour assurer un contrôle renforcé et surtout efficace de l’action gouvernementale, il faut poser comme règle première que la majorité législative a pour fonction principale d’amender les textes de loi du Premier ministre et l’opposition de contrôler l’action du gouvernement. C’est dans l’ordre des choses, ce qui ne signifie pas que les membres de l’opposition soient privés du droit d’amendement et ceux de la majorité du droit de questionner et de critiquer l’action du gouvernement. Mais il est indispensable d’assurer une séparation du travail parlementaire qui corresponde à leur rôle principal. Il faut conserver à l’esprit que la séparation des pouvoirs aujourd’hui, ce n’est plus exclusivement celle entre l’exécutif et le pouvoir parlementaire ; c’est aussi celle entre la majorité et la minorité.
Dans ce cadre, de nombreuses procédures actuelles peuvent être perfectionnées. Les questions d’actualité au gouvernement devraient être réservées aux seuls parlementaires membres des groupes d’opposition. Limiter respectivement les questions/réponses à deux minutes est à la fois frustrant, inutile, stérile et favorise les postures. L’échange pourrait porter comme aujourd’hui sur plusieurs questions mais aussi sur une seule. Le contrôle de l’action gouvernementale passe également par une audition régulière des ministres, hors la présentation de leurs projets de loi. La responsabilité politique en France est exclusivement collective. Elle pourrait être individuelle sous certaines conditions. Il ne s’agit pas de remettre aux parlementaires un droit de révocation individuelle des ministres mais plutôt de leur reconnaître un droit d’expression sur la gestion ministérielle (principe de l’audition annuelle). Ces quelques pistes n’épuisent pas le sujet (cf question 2). En tout état de cause, l’opposition doit être valorisée mais surtout responsabilisée et le travail de contrôle placé sous la surveillance des citoyens (publicité généralisée des auditions). Ce dernier n’a pas pour but d’affaiblir le gouvernement. Le contrôle parlementaire doit tendre à responsabiliser les contrôleurs et les contrôlés dans le seul souci d’œuvrer pour une action publique performante.
Quel est aujourd’hui le rôle des commissions d’enquête parlementaire ? Comment pourrait-il évoluer ?
Une commission d’enquête est créée à l’initiative des assemblées parlementaires. Outil longtemps privilégié par les élus pour déstabiliser l’Exécutif sous les Républiques précédentes, les modalités de leur mise en place et l’étendue de leurs prérogatives ont été strictement encadrées à partir de 1958. Toutefois, sous l’effet d’abord de conventions parlementaires puis de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui constitutionnalise les commissions d’enquête (art. 51-2 de la Constitution) et enfin des règlements des assemblées, un groupe d’opposition ou minoritaire peut désormais obtenir, une fois par session ordinaire, la création d’une commission d’enquête (droit de tirage). Leur nombre par législature est variable, mais s’établit autour de la dizaine. Les sujets traités embrassent des objets divers et d’intérêt inégal. Sous la XIVème législature, citons les tarifs de l’électricité, la fermeture d’une usine ou encore la surveillance des filières et des individus djihadistes. La faculté reconnue à l’opposition de proposer de droit la constitution d’une commission d’enquête a vivifié et renforcé leur intérêt. Mais trop souvent encore, les rapports conclusifs restent confidentiels.
Le projet présidentiel de renforcer le contrôle parlementaire d’enquête doit tout d’abord prendre garde à ne pas ressusciter une procédure qui participerait à une déstabilisation calculée du gouvernement. Le but d’une commission d’enquête n’est pas de mettre en cause la responsabilité du gouvernement mais de pointer et de dénoncer les dysfonctionnements et errements éventuels de son action. Ensuite, si les commissions d’enquête jouissent d’une autorité reconnue, les conditions de recevabilité de leur création sont trop strictes. L’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires prohibe expressément la création d’une commission d’enquête lorsque les faits donnent lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Il suffit ainsi de l’ouverture d’une information judiciaire pour interrompre les travaux d’une commission d’enquête. Dans la mesure où l’action judiciaire intéresse souvent des dossiers sensibles, cette restriction devrait pouvoir être levée, par la voie constitutionnelle le cas échéant. D’autres évolutions sont souhaitables. L’expiration de la mission au terme d’un délai de six mois à compter de la date d’adoption de la résolution qui les a créées peut ainsi pénaliser une instruction et le recueil d’informations sur des sujets complexes. L’allongement du délai par délibération spéciale de l’assemblée améliorerait la qualité des travaux en favorisant leur approfondissement. De même, s’il ne semble pas opportun de renforcer les moyens d’une commission d’enquête qui sont déjà extrêmement importants et efficaces (citation directe, apport de la Cour des comptes, saisine du Parquet ou du garde des Sceaux pour des faits découverts répréhensibles pénalement…), le contrôle de l’action gouvernementale doit être recherché par des procédures complémentaires comme l’y autorise par exemple l’article 5 ter de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée et mis en œuvre une seule fois depuis 1958 ! En application de cette disposition, une commission permanente législative peut solliciter de son assemblée l’exercice des prérogatives d’une commission d’enquête pour un objet et une durée déterminés. En décembre 2015, les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat ont pour la première fois fait usage de cette faculté pour contrôler l’application de la loi du 20 novembre 2015 sur l’état d’urgence.
Cet exemple démontre que le renforcement du contrôle de l’action gouvernementale peut être considérablement amélioré par la simple volonté des parlementaires qui réclament toujours plus de moyens mais rechignent et délaissent toutes les procédures offertes par les textes actuels. Les mœurs parlementaires sont au cœur de la problématique générale du contrôle parlementaire de l’action gouvernementale.
Il est évoqué l’idée de transformer le CESE pour « qu’il puisse prendre part de manière plus forte à la décision politique » et devenir « une chambre du futur ». Quelles pourraient être les principales transformations du CESE pour qu’il puisse peser davantage sur l’élaboration de la loi ?
Le Conseil économique, social et environnemental est une institution ancienne qui n’a jamais trouvé sa place au sein des institutions publiques. Il est au cœur, par ses compétences, du dialogue entre les institutions et la société civile. Mentionné au titre XI de la Constitution de 1958, après avoir été constitutionnalisé sous la Quatrième République, le CESE a été réformé à trois reprises depuis 1993 afin de l’insérer plus efficacement dans la fabrication de la loi et l’évaluation des politiques publiques. La dernière révision constitutionnelle le concernant (loi constitutionnelle du 23 juillet 2008) renforçait ses capacités de saisine par les parlementaires et les citoyens tout en élargissant son champ d’action aux questions environnementales. Mais le constat est là : Le CESE influence peu les décisions publiques et ses compétences d’expertise restent trop souvent sans suite. Sa politique de communication plus agressive depuis quelques années n’y change rien.
Quelles réformes pour transformer le CESE ?
Fusionner le CESE avec le Sénat ? C’est la suggestion du rapport Bartolone-Winock de 2016. L’intérêt d’une telle mue du CESE mais également du Sénat donnerait de la voix aux travaux portés par les représentants de la société civile et des corps intermédiaires. Mais cette piste, outre qu’elle nécessite une révision de la Constitution, affaiblirait inévitablement le bicamérisme en transformant le Sénat en une assemblée hybride, mi-parlementaire, mi-consultative. La cohérence des travaux au sein d’un Sénat-CESE ne serait pas forcément efficiente. La confusion des positions qui résulterait d’avis contradictoires entre ceux des élus et des experts de la société civile rendrait inintelligible la position de la nouvelle chambre. Cette solution semble donc devoir être écartée.
Renforcer la force des avis du CESE ? A l’évidence, cette voie doit être privilégiée. Comment ? D’une part, en faisant en sorte que les avis du CESE soient systématiquement incorporés aux études d’impact accompagnant obligatoirement les projets de loi. Cela implique une saisine systématique du Conseil de tous les textes de loi initiés par le Premier ministre. A minima, il pourrait se prononcer par avis public sur la pertinence des études d’impact. D’autre part, en impliquant complètement cette assemblée d’experts et socialement diversifiée dans l’évaluation des politiques publiques. Ce travail indispensable qui s’insère dans une logique de performance de l’action publique donnerait obligatoirement lieu à un rendu aux assemblées parlementaires, sous une forme qu’il reste à préciser, dans le respect de leur autonomie de travail.
Composer autrement le CESE ? Certainement. L’institution accueille essentiellement des personnalités issues des corps intermédiaires, syndicales pour beaucoup. Faire siéger au sein du Conseil davantage de citoyens et de représentants d’associations répond à une évolution de la société. Cette solution serait en toute hypothèse préférable à celle de faire coexister au Sénat des élus et des citoyens tirés au sort.
En tout état de cause, la transformation du CESE, dont la fonction exclusivement consultative doit demeurer, ne saurait alourdir inutilement la procédure législative pour ce qui concerne son intervention en amont du processus de fabrication de loi. C’est pourquoi, une réforme de la procédure parlementaire limitant la navette à une seule lecture avec en contrepartie une durée minimale de jours pour adopter le texte de loi (sur le modèle de la procédure budgétaire) est une voie à explorer.
Par Pascal Jan