3 questions à Martin Collet sur la hausse des taux de la CSG
Parallèlement à la substitution d’un futur « Impôt sur la fortune immobilière » (IFI) à l’actuel ISF et à la création d’un « prélèvement forfaitaire unique » (PFU) sur les revenus de l’épargne, le Parlement vient d’adopter une troisième mesure phare en matière fiscale : la hausse de 1,7 point des taux de la CSG frappant l’ensemble des revenus du capital et du travail ainsi que les revenus de remplacement (à l’exception des allocations chômage et des indemnités journalières). Contestée tant par la droite que par la gauche, cette mesure est considérée par de nombreux parlementaires comme injuste. Décryptage avec Martin Collet, professeur de droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas.
« Les « perdants » de la réforme se trouvent plutôt du côté des personnes aisées »
La hausse des taux de CSG apparaît-elle comme une mesure « de droite » ou « de gauche » ?
La hausse des taux de CSG s’inscrit dans un ensemble plus large de mesures de redistribution – ce qui raisonne plutôt comme une mesure « de gauche » – puisqu’elle s’accompagne d’une baisse des cotisations sociales des salariés comme des indépendants. Toutefois, à y regarder de près, le mouvement de cette redistribution ne bénéficie que partiellement aux plus modestes : en réalité, il s’agit avant tout de redonner du pouvoir d’achat à l’ensemble des actifs, y compris aux plus aisés, en réduisant leurs cotisations salariales : une personne au SMIC verra sa rémunération nette augmenter de 263 euros par an, un salarié touchant l’équivalent de deux SMIC bénéficiera d’une augmentation de 526 euros, etc. Finalement, seuls les très hauts revenus (plus de 400.000 euros par an) pâtiront de la mesure.
D’un autre côté, les « perdants » de la réforme se trouvent plutôt du côté des personnes aisées. Il s’agira en premier lieu de ceux qui tirent des revenus de leur patrimoine ou de l’épargne : l’augmentation de 1,7 point de CSG représentera pour eux un surcoût fiscal non négligeable de 2 milliards. En second lieu, les retraités dont la pension dépasse 1.400 euros par mois ne bénéficieront pas, par définition, de la baisse des charges salariales mais devront acquitter non plus 6,6 mais 8,3% de CSG sur le montant de leur pension (ce qui représente par exemple 34 euros par mois pour une pension de 2000 euros). Des retraités aux revenus modestes feront donc les frais de ces mesures. Mais ne perdons pas de vue que, à niveau de revenu égal, la grande majorité des retraités possèdent un patrimoine beaucoup plus élevé que celui des actifs. Le fait de solliciter la « solidarité intergénérationnelle » au profit des plus jeunes n’apparaît donc pas aberrant.
Certains parlementaires, issus notamment du groupe La France insoumise, accusent le gouvernement de « trahir l’esprit de la Sécurité sociale que le Conseil national de la résistance a pensé » en basant son financement sur la CSG plutôt que sur les cotisations sociales. Cette critique est-elle justifiée ?
S’il est vrai que, depuis l’origine, le financement de notre système de Sécurité sociale repose essentiellement sur les cotisations des employeurs et des employés, sachant que ce sont ces cotisations qui ouvrent ensuite des droits à bénéficier de prestations, le mouvement de « fiscalisation » des recettes de la Sécurité sociale apparaît aujourd’hui inéluctable. Rappelons que la création de la CSG par le gouvernement de Michel Rocard, en 1991, reposait déjà sur le choix de créer un nouvel impôt frappant tous les revenus (en particulier ceux du capital) pour financer l’accroissement des dépenses de sécurité sociale, plutôt que de procéder à une hausse des seules cotisations patronales et salariales, au risque d’étrangler les entreprises et leurs salariés. Depuis lors, tous les gouvernements de gauche comme de droite ont accompagné ce mouvement, en relevant à plusieurs reprises les taux de CSG afin de faire face à l’accroissement des dépenses sociales. Aujourd’hui, c’est environ un tiers des recettes du régime général qui provient de la CSG et de diverses impositions plutôt que des cotisations. En réduisant la force du lien entre cotisations et prestations, ce mouvement n’en repose pas moins sur une puissante logique de solidarité nationale, consistant à faire participer l’ensemble des contribuables (et pas seulement ceux qui travaillent) aux financement des prestations de sécurité sociale. Le fait que des personnes n’ayant pas ou ayant trop peu cotisé bénéficient tout de même de ces prestations – à travers la CMU ou le minimum vieillesse, en particulier – en est la meilleure illustration.
Quitte à accroître la part de l’impôt dans les recettes de la sécurité sociale n’aurait-il pas mieux valu augmenter les taux de TVA, comme l’avait proposé Nicolas Sarkozy en 2012 (avec la « TVA sociale ») ?
Le concept de la « TVA sociale » consiste en effet à réduire le montant des cotisations sociales et à augmenter d’autant la TVA – vers laquelle est donc transférée une partie de coût de la Sécurité sociale. Ce dispositif est censé accroître la contribution des importations au financement de la protection sociale (les produits à bas coût, importés, pouvant difficilement répercuter cette hausse de TVA sur les prix, et ne bénéficiant pas de la baisse des charges), tout en rendant les biens français moins chers à produire et à exporter. Surtout, la TVA reste un impôt relativement indolore (l’éventuelle répercussion de l’augmentation étant peu perceptible par les consommateurs) et qui rapporte beaucoup : le relèvement d’un point de l’ensemble des taux de TVA génèrerait un gain d’environ 9Md€ pour l’État, soit près de deux fois ce que rapporte l’ISF !
Toutefois, malgré ces indéniables qualités, le caractère « injuste » de la TVA est souvent dénoncé, à gauche en particulier. Le « taux d’effort » lié au paiement de la TVA est beaucoup plus important chez les ménages les plus modestes – parce que ceux-ci affectent généralement l’intégralité de leurs revenus à la consommation, là où les ménages plus aisés en épargnent une partie. Loin d’être proportionnel au revenu disponible, le montant consacré chaque année par les ménages à la TVA (et, plus encore, aux autres impôts indirects : droits sur l’alcool, l’essence, le tabac, etc.) est même fortement régressif : il régresse à mesure que le revenu augmente.
De son côté, la CSG apparaît plus volontiers comme un impôt « de gauche ». Son assiette intègre tous les revenus (du travail comme du capital) et peut faire l’objet de modulations pour frapper certains revenus à un taux réduit, et soulager ainsi certaines catégories de contribuables. Surtout, ses taux sont proportionnels au revenu et pas au niveau de consommation, comme la TVA. Or, comme on l’a rappelé, les plus riches consomment généralement une part inférieure de leurs revenus que les plus pauvres. Efficacité d’un côté, progressivité de l’autre : les vertus respectives généralement prêtées à la TVA et à la CSG sont évidemment pain béni pour une droite et une gauche soucieuses d’affirmer leurs différences sur le terrain des valeurs, ou pour un gouvernement soucieux d’affirmer son identité « et de droite, et de gauche ».
Par Martin Collet