Par Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux, maître de conférences en droit public à l’Université de Bretagne Occidentale et à Paris-Dauphine

L’ultime référendum prévu par l’Accord de Nouméa doit se tenir le 12 décembre prochain. Mais la flambée de l’épidémie de Covid depuis le début septembre perturbe son organisation au point que les indépendantistes du FLNKS ont lancé le 20 octobre un appel à la « non-participation » à la consultation si elle était maintenue.

Cette décision compromet-elle l’organisation du référendum le 12 décembre ?

En l’état rien ne l’indique mais le ministre des Outre-mer vient d’indiquer qu’il était trop tôt pour qu’une décision définitive soit prise. Sa prudence est compréhensible car il doit faire face à un empilement de paramètres fâcheux.

D’abord le fait que le choix initial de la date n’était pas consensuel. Après avoir demandé dès qu’ils en ont eu la possibilité, la tenue du référendum, les indépendantistes ont milité pour que celui-ci ait lieu après la séquence électorale du printemps 2022. À l’inverse, les partisans du maintien de la Calédonie dans la République française souhaitaient que soit privilégiée une date avant l’élection présidentielle pour préserver l’archipel des conséquences de l’emballement électoral. Après une semaine de discussions en juin dernier, le gouvernement a retenu la date du 12 décembre estimant que « l’intérêt général commandait de faire cette consultation le plus rapidement possible ». Difficile de se dédire…

Ensuite, le développement du Covid sur un territoire qui en était jusque-là totalement préservé a bouleversé le quotidien des Calédoniens depuis le début septembre. Après la découverte de la contamination de trois personnes n’ayant aucun lien entre elles et domiciliées dans des endroits très éloignés géographiquement le 6 septembre, la Calédonie a connu sa plus lourde catastrophe sanitaire contemporaine. À ce jour, 264 décès ont été enregistrés et plus de 10 800 personnes sont positives. Évidemment pour enrayer la diffusion du virus, les autorités ont immédiatement pris les mesures telles qu’un confinement strict et surtout l’intensification de la campagne de vaccination. Les premiers résultats sont déjà là : le taux d’incidence cumulé sur la dernière semaine est de 188 pour 100 000 habitants contre 1250 il y a quelques semaines. Mais naturellement, dans un tel contexte, la campagne électorale s’est brutalement arrêtée. Et ce sont justement ces circonstances empêchant une campagne « équitable » qu’avancent les indépendantistes pour réclamer un report du référendum. Las pour le gouvernement, les loyalistes ne partagent pas cette analyse considérant que le redémarrage économique de la Calédonie ne sera possible une fois l’épidémie maitrisée que si l’hypothèque référendaire est levée. Considérant que la situation sanitaire s’améliore, ils s’opposent donc à tout report de la date. Les deux points de vue sont solidement argumentés. Aucun choix ne s’impose donc d’évidence.

Enfin, la responsabilité de l’État est de s’assurer du bon déroulement du scrutin afin que son résultat soit incontestable. Et il s’y emploie activement depuis plusieurs semaines. C’est ainsi par exemple, que quinze escadrons de gendarmes mobiles (soit 1400 personnels) doivent être déployés et que 130 véhicules (dont une trentaine de blindés de type VBRG) seront acheminés sur place. De même, la police nationale sera renforcée de 650 fonctionnaires pour prévenir tout trouble à l’ordre public autour des 243 bureaux de vote. L’État a tiré des leçons des perturbations relevées dans le Grand Nouméa par la commission de contrôle de l’organisation et du déroulement de la consultation et qui avaient justifié un contentieux électoral devant le Conseil d’État en 2020. Toute amodiation dans cet agencement serait préjudiciable à l’ensemble.

Reste que si les indépendantistes décidaient de boycotter le scrutin, celui-ci ne perdrait-il pas tout intérêt ?

Dans son communiqué du 20 octobre 2021, le bureau politique du FLNKS n’utilise pas le terme de « boycott », se contentant d’appeler à une « non-participation ». La nuance n’est pas que sémantique, elle est essentiellement politique. L’appel au « boycott » renverrait inéluctablement au souvenir des élections territoriales du 18 novembre 1984 où le Front avait prôné un « boycott actif » qui fut illustré par le geste d’Éloi Machoro brisant l’urne de la mairie de Canala avec un tamiok. Et bien sûr aussi à celui du référendum du 13 septembre 1987 où seuls 59 % des Calédoniens acceptèrent de se déplacer pour voter à 98,3% le maintien de la Calédonie dans la France. Quelques mois plus tard, le drame d’Ouvéa soulignait qu’une consultation gagnée par un camp mais qui n’a pas été décidée et organisée dans le consensus ne règle pas les problèmes et même peut les envenimer.

J’interprète donc le communiqué du FLNKS comme un premier signal préoccupant. Il vient de se doubler d’un second : le refus de transmission des documents nécessaires à la propagande officielle qui devaient parvenir avant le mercredi 27 octobre à la commission de contrôle du Haut-Commissariat. La volonté de tendre les relations avec l’État est patente mais je veux croire qu’il ne s’agit pas encore d’une décision définitive.

Personne n’a en effet intérêt à une dégradation politique de la situation. Ne serait-ce que parce que le 13 décembre, le jour se lèvera à Nouméa et que les Calédoniens devront continuer à inventer un cadre pour continuer à vivre ensemble. Comme l’a dit, le président indépendantiste du gouvernement, Louis Mapou, le 21 octobre : « Que le référendum se tienne le 12 décembre ou qu’il soit reporté, de toutes les façons, l’obligation de rassembler le peuple calédonien est de vigueur ».

De surcroit, créer les conditions d’une impasse pourrait être interprété comme un aveu de faiblesse pour le FLNKS alors que les deux précédents référendums avaient enregistré une progression du vote indépendantiste. D’autant que les indicateurs sanitaires semblent se redresser. Ainsi moins d’une petite trentaine de personnes sont en réanimation dans les services hospitaliers contre 300 à 350 patients au plus fort de la crise. En quinze jours, la tension a donc nettement baissé. Parallèlement, 75,23 % de la population vaccinable ont reçu une première dose de vaccin et 66 % de la population vaccinable ont un schéma vaccinal complet, ce qui est de nature à espérer une reprise rapide des activités.

Pour autant, un scrutin gagné par abandon de l’adversaire ne serait pas non plus un atout pour les loyalistes lesquels sont particulièrement attachés au rétablissement de la confiance de nature à permettre aux acteurs économiques de relancer leurs investissements. Prétendre que la campagne pourrait se résumer à des réunions en format réduit, à des débats audiovisuels et à une campagne digitale serait faire fi par exemple de l’inégalité d’accès aux services numériques sur le territoire. Il serait plus constructif d’initier une recherche commune des conditions dans lesquelles les formations politiques pourraient accepter de mener campagne dans un contexte épidémiologique évolutif.

Quel rôle peut avoir dans les jours qui viennent le gouvernement ?

Comme toujours, c’est à lui de rassembler ce qui est épars. Il doit donc continuer à tenir une parole apaisée et respectueuse des Calédoniens. Rappeler le droit et dire le possible. Tendre la main et poursuivre le dialogue. Peut-être en missionnant un médiateur pour s’adresser aux autorités coutumières dont l’importance s’est accrue durant cette crise sanitaire ? Peut-être en proposant de réunir rapidement à Paris un comité des signataires, structure habituelle des échanges entre Calédoniens ? Le 26 juin 2008, Michel Rocard et Lionel Jospin avaient ensemble signé une tribune dans le Monde pour résumer ce qu’ils avaient voulu faire et dessiner ce qu’ils souhaitaient pour l’avenir du territoire. Ils avaient alors ciselé une formule qui sonne comme un précepte intemporel « toujours rechercher ce qui rassemble et discuter de ce qui divise ».

Pour relire la note de M. Uvoas : vers un « pays associé », esquisse pour le futur statut de la Nouvelle-Calédonie.

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