Par Marc-Antoine Granger, Maître de conférences HDR en droit public à l’Université Côte d’Azur, administrateur de l’AFDSD, membre du CERDACFF

À quoi servirait cette réforme voulue par le Président de la République ?

Dans le prolongement du Beauvau des polices municipales, et des travaux du groupe d’études sur les polices municipales de l’Assemblée nationale, la volonté du chef de l’État est de préserver « l’ADN » des polices municipales (qui comptent 28 170 fonctionnaires territoriaux), tout en renforçant leurs prérogatives judiciaires (c’est-à-dire orientées sur une infraction déterminée). Cela signifie qu’elles demeureront des polices de proximité, ancrées territorialement, dont la doctrine d’emploi est à géométrie variable (certaines sont armées, disposent de brigades cynophiles et travaillent de jour comme de nuit, d’autres non).

En revanche, la réforme doit offrir aux communes qui le souhaitent la possibilité d’autoriser leurs policiers municipaux à constater par procès-verbaux (PV) certains délits du quotidien affectant la vie des habitants (dont la liste devra être arrêtée par le législateur) : consommation de stupéfiants (art. L. 3421-1 du code de la santé publique), vente à la sauvette (art. 446-1 du code pénal), occupation illicite des halls d’immeuble (art. L. 272-4 du code de la sécurité intérieure) et de terrain municipal (art. 322-4-1 du code pénal), etc. Les policiers municipaux seront également en mesure de relever l’identité des auteurs de ces délits et de procéder à des saisies, par exemple, en cas d’usage de stupéfiants sur la voie publique.

Sur le plan juridique, cette réforme est nécessaire. En effet, actuellement, les missions judiciaires exercées par les policiers municipaux sont limitées puisque, pour l’essentiel, elles consistent à constater par PV de nombreuses contraventions : la grande majorité de celles réprimées par le code de la route, l’abandon d’ordures, de déchets, de matériaux et d’autres objets, les bruits et tapages injurieux ou nocturnes, les atteintes volontaires ou involontaires à animal, ainsi que les mauvais traitements à animal, etc.

Où réside la difficulté pour le législateur ?

La difficulté tient aux censures prononcées par le Conseil constitutionnel à dix ans d’intervalle, soit en 2011 (décision LOPPSI2011-625 DC du 10 mars 2011) et en 2021 (décision Sécurité globale 2021-817 DC du 20 mai 2021), lorsque le législateur a tenté de renforcer les prérogatives judiciaires des policiers municipaux en leur reconnaissant, notamment, le pouvoir de procéder à des contrôles d’identité à des fins de police judiciaire et de constater par PV certains délits du quotidien.

À chaque fois, ces réformes ont buté sur un même obstacle : la méconnaissance par le législateur de l’exigence constitutionnelle de direction et de contrôle de la police judiciaire par l’autorité judiciaire.

S’agissant de son fondement, cette exigence ne figure nulle part dans la Constitution, mais a été consacrée par le Conseil constitutionnel à partir d’une interprétation des dispositions de l’article 66 de la Constitution relatives à la garantie judiciaire de la liberté individuelle (à ce sujet, voir, par ex., M.-A. Granger, « La sécurité publique sous contrôle juridictionnel : polices et autorité judiciaire dans la jurisprudence constitutionnelle depuis la décision Fouille des véhicules de 1977 », ADSD 2022, vol. 7, Mare & Martin, p. 41-51).

Sur le fond, cette exigence a pour conséquence que le procureur de la République est le patron de la police judiciaire (tant qu’une information judiciaire n’est pas ouverte) : à ce titre, il dirige et contrôle cette police et, en particulier, les officiers de police judiciaire (OPJ). Ainsi, le Conseil constitutionnel interdit au législateur de confier des pouvoirs de police judiciaire en matière délictuelle à des policiers municipaux sans qu’ils ne soient « mis à la disposition d’OPJ ou de personnes présentant des garanties équivalentes » (décision n° 2021-817 DC, § 6), car le lien serait alors trop distendu entre le procureur et les policiers municipaux, peu importe, du reste, que le maire ait aussi la qualité d’OPJ (art. 16, 1°, du CPP). Au demeurant, on sait qu’en pratique, cette qualité d’OPJ du maire (et de ses adjoints) ne lui confère pas de grandes prérogatives, et certainement pas celle de détenir ou de porter une arme (CE, 21 novembre 2001, Cne de Wissous, no 202102) ni celle d’annuler les PV de contraventions dressés par les policiers municipaux (Cass., crim., 21 mars 2018, no 17-81.011).

Comment alors le législateur pourrait-il « transformer l’essai » ?

Il appartiendra au législateur de tirer les leçons de cette jurisprudence constitutionnelle en plaçant les policiers municipaux sous la direction et le contrôle du procureur lorsqu’ils interviennent en matière délictuelle. Il ne s’agira pas de faire des polices municipales, des « polices judiciaires bis », disposant des mêmes prérogatives et placées constamment sous le contrôle du parquet. Le rattachement au procureur ne concernerait que leurs missions judiciaires : pour le reste (en particulier leurs missions de police administrative), les policiers municipaux demeureront sous l’autorité du maire. Au-delà de ces aspects juridiques, cette montée en gamme des polices municipales posera nécessairement d’autres questions, en particulier celles de la formation des policiers municipaux et de la coordination de leur action avec celle des policiers et gendarmes nationaux. Wait and see