Que prévoit (vraiment) l’accord entre la Fédération des Pompes Funèbres et la SACEM ?
La Fédération des Pompes Funèbres vient de conclure un accord avec la SACEM pour définir les conditions de perception de redevances destinées aux auteurs des œuvres musicales utilisées lors de cérémonies funéraires. La nouvelle a suscité un certain émoi, la société étant accusée de tirer profit du deuil des familles. Mais, cet accord est-il réellement novateur ?

Par Philippe Mouron, Professeur de droit privé, Directeur du Master 2 Droit des médias électroniques – Université d’Aix-Marseille
La perception de redevances sur la diffusion de musiques lors de cérémonies funéraires est-elle une nouveauté ?
Contrairement à ce qu’affirment certaines sources, la diffusion de musiques protégées par le droit d’auteur lors de cérémonies funéraires n’a jamais été gratuite par principe.
L’accord qui vient d’être conclu met simplement fin à un différend entre la SACEM et les Fédérations de Pompes Funèbres, lequel avait conduit à un jugement du Tribunal judiciaire de Paris le 31 janvier 2024. La société OGF, propriétaire des pompes funèbres générales, avait alors été condamnée à payer à l’organisme de gestion collective plus de 69 000 €, cette somme représentant les redevances impayées depuis 2019. Auparavant, la diffusion de musiques lors de telles cérémonies relevait d’un contrat général de représentation conclu avec la SACEM en 2006, et dont la société OGF entendait dénoncer les conditions, ce qui l’a conduit à cesser ses paiements. Le nouvel accord ne fait donc qu’acter le « rétablissement » de leurs relations et l’adoption de nouveaux tarifs.
Il ne constitue donc pas une nouveauté et sa portée doit être bien circonscrite.
Pourquoi la diffusion de musiques lors de cérémonies funéraires donne-t-elle lieu au paiement de redevances à la SACEM ?
Loin d’être indécente, la perception de redevances destinées aux sociétés de gestion collective ne vise qu’à rémunérer le travail de composition effectué par les auteurs des œuvres musicales utilisées lors des cérémonies funéraires.
En effet, il faut bien garder à l’esprit que l’organisation de celles-ci par les pompes funèbres constitue une prestation commerciale payante, l’utilisation de musiques pouvant à ce titre être facturée aux familles endeuillées. Or, la finalité du droit d’auteur est de permettre à ceux qui ont créé une œuvre originale d’être associés à chacune des utilisations lucratives de leur travail. Le droit de communication au public dont ils bénéficient est ainsi actionné chaque fois que leurs créations font l’objet d’une diffusion à un public nouveau, cette notion étant appréciée à l’aune d’un faisceau d’indices incluant, entre autres, le recours à des procédés techniques différents, la mise à disposition des œuvres dans un lieu ou un contexte spécifique ou encore leur association à une prestation à but lucratif, celui-ci pouvant être direct ou indirect. La diffusion de musiques dans des bars, restaurants ou commerces de toute nature, la retransmission de chaînes de télévision via des écrans installés dans des chambres d’hôtel, ainsi que dans la salle d’attente d’un cabinet de kinésithérapeute, si petit soit-il, constituent autant d’exemples bien connus donnant lieu à perception de redevances.
Il est dès lors entendu que les professionnels qui effectuent de telles diffusions tirent profit du travail effectué par les compositeurs des œuvres musicales, et il est donc normal que ceux-ci bénéficient d’une rétribution. C’est là le rôle de la SACEM depuis le dix-neuvième siècle que de percevoir les redevances à leur profit, suivant des barèmes publics, qui peuvent être réévalués en fonction de l’évolution des usages et des techniques.
Les familles seront-elles mises à contribution ?
Pour les raisons qui viennent d’être exposées, ce ne sont pas les familles, mais bien les sociétés de pompes funèbres qui sont redevables du paiement des sommes à la SACEM. Si cela aura un coût pour les familles, celui-ci sera néanmoins variable en fonction des œuvres et des moyens utilisés.
Quand bien même les familles de défunts sont destinataires des musiques utilisées à ces occasions, elles constituent un cercle privé qui échappe normalement à l’emprise du droit de communication au public. Mais il faut distinguer la qualité de destinataire de celle d’utilisateur d’œuvres de l’esprit. Celui-ci est en fait la personne, morale ou physique, qui procède dans ses locaux ou avec ses moyens à une diffusion d’œuvres destinée à un public nouveau. De ce point de vue, les sociétés de pompes funèbres constituent bien de tels utilisateurs, puisqu’elles proposent des prestations commerciales à un public indéterminé. Et si les familles payent pour l’organisation des cérémonies, ce qui est logique, ce sont ces sociétés qui doivent reverser les redevances destinées aux auteurs.
Ce coût pourra être répercuté sur les familles, mais d’une façon différenciée. Les sociétés de pompes funèbres pourront en effet procéder par un lissage de la rémunération réparti sur l’ensemble des prestations qui seront effectuées. Les cérémonies au cours desquelles des musiques seront utilisées donneront ainsi lieu à un supplément de 5 euros. Pour les autres, un euro sera perçu à titre de contribution généralisée. Néanmoins, ces sommes ne sont pas censées être dues si les œuvres diffusées relèvent du domaine public (ce qui n’empêchera pas une perception au titre des droits voisins, notamment celui des artistes-interprètes, pour les mêmes raisons que les auteurs). Surtout, les familles conservent la possibilité d’utiliser leurs propres moyens de sonorisation des cérémonies. Celles-ci relèveront alors du cercle de famille et seront exemptées de tout paiement à la SACEM, quand bien même elles se dérouleraient dans un lieu accessible au public.
Le droit d’auteur est fort heureusement limité dans ces circonstances, tout comme l’utilisation d’un autoradio dans une voiture de location relève du cercle privé du conducteur. Il en va de même pour les personnes qui sifflent dans la rue.