Par Jean-Marie Brigant, Maître de conférences en droit privé Le Mans Université

En quoi les faits de l’espèce relèvent-ils de la publicité illicite en faveur du tabac ?

Depuis la loi Évin n° 91-32 du 10 janvier 1991, sont interdites « la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac, des produits du tabac, des ingrédients définis à l’article L. 3512-2, (…) » (CSP, art. L. 3512-4, al. 1er). La violation de cette interdiction constitue le délit de publicité illicite en faveur du tabac.

Sur la forme, la publicité illicite est entendue de manière large par la Cour de cassation qui estime que « sont prohibées toutes formes de communication commerciale, quel qu’en soit le support, ayant pour but ou pour effet de promouvoir directement ou indirectement le tabac ou un produit du tabac » (Cass crim., 3 mai 2006, n° 05-85.089). Tel était bien le cas en l’espèce : la commercialisation du dispositif de tabac chauffé IQOS par Philip Morris avait pris la forme d’une stratégie marketing multi-supports avec notamment un site internet dédié à ce produit, couplé à des campagnes de communication sur les réseaux sociaux.

Sur le fond, le délit est constitué par l’utilisation de termes renforçant l’envie du consommateur d’acquérir le produit, en suscitant chez lui un sentiment d’attente. Il s’agira par exemple de mentions publicitaires, présentant le tabac sous un jour favorable, en jouant par exemple sur le caractère écologique ou naturel du produit : « fabriqué à partir de feuilles entières de tabac et dépourvu d’agents de saveur », cigarettes « équipées d’un filtre minéral » ou dans un « éco-emballage ». Dans sa décision, le tribunal correctionnel a retenu que le site internet présente des mentions «qui ont pour but ou pour effet de valoriser tant la qualité que la sécurité du dispositif IQOS, sous couvert d’une prétendue réduction des risques liés à la consommation du tabac validé scientifiquement ». Il en va de même de la publication du 13 avril 2023 de Philip Morris associant le tabac produit par la société à « une gestion responsable de la ressource forestière ». Pour les publicités en faveur des produits du vapotage du fabricant, le juge pénal relève également que les assertions litigieuses avaient un « caractère laudatif, excédant les informations objectives sur le produit ».

En résumé, le tribunal considère que cette mise en avant des avantages du dispositif IQOS, par rapport à la cigarette traditionnelle, constitue dès lors une publicité indirecte illicite en faveur du tabac.

La preuve de l’infraction est d’autant plus facilitée que l’élément moral est réduit à zéro par la jurisprudence qui estime de manière constante que « la seule violation en connaissance de cause, d’une prescription légale ou réglementaire implique, de la part de son auteur, l’intention coupable exigée par l’article 121-3, alinéa 1er du code pénal ». Une présomption de mauvaise foi pèse également sur les professionnels que sont les cigarettiers et leurs dirigeants comme dans le cas présent.

Quelles sont les personnes responsables de ce délit de publicité illicite en faveur du tabac ?

En pratique, l’essentiel des condamnations du chef de ce délit concernent les (seules) entreprises de tabac : Altadis distribution France, Philip Morris France British Américain Tobacco Manufacturing BV… C’est donc la responsabilité des personnes morales qui a toujours été recherchée, voire privilégiée par le juge pénal sur le fondement de l’article 121-2 du Code pénal.

A côté de la responsabilité pénale de la société Philip Morris France, le tribunal correctionnel a également retenu, de manière inédite, celle de son ancienne présidente alors en fonction au moment des faits. En effet, pour justifier ce cumul de responsabilités pénales, les juges ont relevé que « les infractions commises l’ont été sciemment par une société appartenant au plus grand groupe de cigarettiers au monde et sa présidente, parfaitement conseillées et informées des dispositions en vigueur, et qui ont consacré des investissements majeurs pour tenter de contourner la législation en vigueur et ce sur une période de prévention d’un an et demi ». La validation par l’ancienne dirigeante de la stratégie marketing de commercialisation du dispositif du tabac chauffé IQOS permet de lui imputer le délit de publicité illicite.

Il pourrait s’agir d’une évolution notable, car, dans une affaire similaire de 2017, le cigarettier Philip Morris avait déjà été déclaré coupable de publicité illicite en faveur de l’IQOS (CA Paris, 27 juin 2024 – confirmation TC Paris, 31ème ch.,3 déc. 2021) mais sans mise en cause de ses dirigeants personnes physiques.

En raison de leur responsabilité pénale, le tribunal correctionnel a prononcé une amende de 500 000 euros à l’encontre de la société et 50 000 euros pour son ancienne présidente (avec inscription au Bulletin n°2 du casier judiciaire). Le délit de propagande ou publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac est puni d’une amende de 100 000 euros pour les personnes physiques et de 500 000 euros pour les personnes morales. En cas de récidive, l’amende est portée au double.

En l’espèce, ces montants relativement élevés s’expliquent par la gravité et la durée des faits commis. Selon le tribunal, cette attitude délibérée adoptée par les prévenus « relève d’un pur calcul économique, fructueux au regard de l’augmentation de l’utilisation du dispositif IQOS au cours des cinq dernières années ». En outre, l’amende prononcée contre l’entreprise tient compte d’une première condamnation en 2011 « pour des faits de publicité directe ou propagande en faveur du tabac ou de ses produits ». Les deux prévenus ont en outre été condamnés à verser solidairement 50 000 euros au Comité national contre le tabagisme (CNCT) au titre des dommages et intérêts ainsi que 5000 euros chacun au titre des frais de justice.

A noter qu’en cas récidive, le tribunal a également la possibilité d’interdire, aux prévenus, pendant une durée inférieure ou égale à cinq ans, la vente des produits qui ont fait l’objet de l’opération illégale.

Un recours contre cette condamnation pénale est-il encore possible ?

La société Philip Morris France et son ex-dirigeante peuvent encore interjeter appel de ce jugement de condamnation devant la Cour d’appel de Paris (et pourront former un pourvoi en cassation dans l’hypothèse d’un arrêt confirmatif). Sans aucun doute, la question à trancher sera celle du statut de son dispositif de « tabac chauffé ».

Initialement, le tabac à chauffer, en raison d’une consommation alors faible, était qualifié de « produit autre que les cigarettes et le tabac à rouler » et comme tel échappait à la réglementation applicable aux produits grand public (Directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014).

Cependant, le constat d’une forte augmentation de la consommation de ces produits dans l’Union européenne et en France a conduit le législateur à supprimer ces exemptions dont bénéficiaient le tabac à chauffer (Directive déléguée (UE) 2022/2100 de la Commission du 29 juin 2022).

Ainsi, depuis la loi n°2023-171 du 9 mars 2023, le tabac à chauffer figure expressément dans les « produits du tabac » et est donc soumis à l’interdiction de principe de la publicité illicite directe incriminée par le Code de santé publique. Il restera à déterminer la nature de cette loi pénale : pour les prévenus, une disposition sûrement plus sévère, ne pouvant s’appliquer rétroactivement aux faits commis entre 2017 et 2023.

Il n’en demeure pas moins que la présentation commerciale du dispositif IQOS comme « un produit à moindre risque » (au motif qu’« il chauffe le tabac au lieu de le brûler ») apparaît toujours comme une incitation « indirecte » en faveur du tabac…et donc une publicité illicite punissable avant 2023.