Par Jacques-Henri ROBERT, Professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas et ancien directeur de l’Institut de Criminologie de Paris

Des manifestations organisées en faveur les Palestiniens ont été interdites à Lyon et se sont néanmoins réunies. Le Conseil d’État a, par une ordonnance de référé, décidé que le ministre de l’Intérieur ne pouvait pas interdire de façon générale et sur tout le territoire, toutes les manifestations ayant ce motif. Le tribunal administratif de Paris en a autorisé une qui s’est tenue le 19 octobre 2023.

Quelles peines les organisateurs et les participants à des manifestations interdites encourent-ils ?

La violation de l’interdiction d’une manifestation constitue, pour les organisateurs, un délit correctionnel puni de six mois d’emprisonnement et de 7.500 € d’amende (art. 431-9, 2° C. pén.). Depuis une époque récente, chaque participant commet aussi une infraction moins grave, qui est une contravention punie de 750 € (art. R. 644-4 C. pén., créé par le décret du 20 mars 2019). 

Le manifestant encourt une peine bien plus grave si, précédemment, il a été privé du droit de manifester par une décision judiciaire : elle est d’un an d’emprisonnement et de 150.000 € d’amende (C. pén., art. 434-38-1).  Cette interdiction  a pu être prononcée contre des organisateurs de manifestations interdites, contre les participants masqués et contre ceux qui ont participé à des réunions au cours desquelles ont été commises des violences contre les personnes et contre les biens, par exemple des incendies d’automobiles.

Les manifestations organisées pour la défense des Palestiniens ne sont pas, dans leur principe même, susceptibles d’être interdites par les préfets. Elles ne le seraient que si leurs organisateurs annonçaient leur intention de faire l’apologie du terrorisme. Selon l’ordonnance de référé en date du 19 octobre 2023, rendue par du Conseil d’État, le ministre de l’Intérieur n’est pas compétent pour ordonner aux préfets d’interdire sur tout le territoire les manifestations en faveur des Palestiniens. Ce pouvoir, en effet, appartient à ces représentants locaux de l’État qui sont mieux placés que le pouvoir central pour juger que «  la manifestation projetée est de nature à troubler l’ordre public » , condition dont dépend la légalité de l’interdiction selon l’article L. 211-4 du Code de la sécurité intérieure.

Comment peut-on appliquer la peine contraventionnelle encourue par les participants à une manifestation interdite ?

L’amende contraventionnelle encourue par les participants peut être imposée par le moyen de la procédure de l’amende forfaitaire. Il s’agit d’un versement volontaire et immédiat entre les mains du fonctionnaire verbalisateur ou en réponse à l’envoi d’un avis de contravention. La somme due est réduite par rapport à celle  de 750 € qui est encourue puisqu’elle n’est  n’est plus que de 135 € ; mais un refus de payer pendant 45 jours, augmente la dette  qui s’élève à 375 € au titre d’une amende forfaitaire qui est dite « majorée ».  Moyennant certaines diligences procédurales constituant une « réclamation », le supposé contrevenant est jugé par le tribunal de police qui, s’il le condamne, le fait le plus souvent au moyen d’une ordonnance pénale que ne précède aucune audience ni aucun débat contradictoire. Si le prévenu est vraiment persévérant, il peut faire opposition à l’ordonnance et obtenir un débat en audience publique qui peut ne pas aboutir à sa condamnation.

Quels sont les problèmes pratiques de mise en œuvre de cette procédure ?

Une manifestation qui se déroule alors qu’elle est interdite engendre évidemment une grande tension avec les forces de l’ordre si elles sont venues à sa rencontre. Comment imaginer les fonctionnaires distribuant des avis de contravention à quelques centaines ou milliers de manifestants ?

Outre cette difficulté pratique facilement imaginée, il faut encore que les agents verbalisateurs aient, pour contrôler l’identité des manifestants, la qualité d’officier ou d’agent de police judiciaire (selon l’article 78-2 du Code de procédure pénale, les APJ et APJ adjoints mentionnés à ses articles 20 et 21-1), ce qui n’est pas le cas de tous les fonctionnaires chargés de contenir les manifestations.

Une des conditions légales du contrôle d’identité, remplie par hypothèse, est l’existence d’une infraction en train de se commettre (contrôles d’identité à finalité judiciaire, art. 78-2, al. 1er). Les fonctionnaires peuvent aussi contrôler l’identité de toutes les personnes se trouvant sur les lieux de la manifestation si le procureur de la République l’a ordonné par des réquisitions écrites dans lesquelles il précise les infractions dont il souhaite la constatation.

Mais puisque les manifestants ont bravé une interdiction administrative, ils ne sont guère disposés à décliner leur identité. Ils risquent alors d’être retenus sur place ou « emmenés au poste », pour être soumis à une « vérification d’identité » au cours de laquelle les fonctionnaires tâcheront de découvrir qui ils sont. C’est une rétention qui peut durer quatre heures (art. 78-3 C. proc. pén.)  et pendant laquelle, mais avec l’autorisation du procureur de la République, l’intéressé peut être photographié et subir la prise de ses empreintes digitales. S’il refuse cette dernière humiliation, il commet une nouvelle infraction qui, cette fois, est un délit correctionnel puni de trois mois d’emprisonnement et de 3.750 € d’amende (art. 78-5, C. proc. pén.)

La vérification d’identité peut engendrer de nouveaux désagréments pour le manifestant si les officiers de police judiciaire découvrent enfin son identité, constatent qu’il est interdit de manifestation ou qu’il est recherché par la justice pour une autre cause. Mais c’est un prolongement sans lien nécessaire avec la manifestation interdite.