Par Bertrand Mathieu, Professeur émérite de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Ancien Conseiller d’Etat (s.e.), Expert du Club des juristes

Jean Luc Mélenchon a annoncé que le groupe parlementaire LFI allait déposer une motion visant à engager une procédure de destitution à l’encontre du président de la République Emmanuel Macron. Sur quelles dispositions constitutionnelles s’appuie-t-il ?

Introduits à la suite de la révision constitutionnelle de 2008, les articles 67 et 68 de la Constitution disposent, notamment, que « Le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité », il « ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour ».

Cette réforme de 2008 vise à mettre fin à l’ambiguïté de la rédaction originale de 1958 qui permettait de mettre en accusation le chef de l’Etat pour haute trahison, incrimination mal définie et procédure dont le champ d’application avait fait l’objet d’interprétations divergentes de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel. Le texte issu de la révision de 2008 s’inscrit dans une logique différente de celui de 1958. Il ne s’agit pas d’une responsabilité de nature pénale. Le « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » fait l’objet d’une appréciation de nature politique. Il peut s’agir tant d’une violation flagrante de la Constitution, que d’un comportement, pénalement répréhensible ou non, dont les parlementaires estiment qu’ils ne permettent au président de poursuivre l’exercice de ses fonctions. Cet engagement de responsabilité n’est pas susceptible de déboucher sur une sanction pénale mais sur la destitution du président, acte politique par excellence.

Destitué, le président redevient un citoyen « ordinaire », susceptible, ou non, de poursuites pénales dans les conditions du droit commun.

Cette procédure constitue-t-elle une rupture avec le principe traditionnel de l’irresponsabilité politique du chef de l’Etat ?

L’irresponsabilité politique du président de la République est rappelée à l’article 67 de la Constitution. C’est une tradition monarchique reprise par la plupart des régimes parlementaires. Dans ces systèmes, c’est le gouvernement qui est politiquement responsable devant le parlement, celui-ci pouvant contraindre à la démission celui-là. L’application de ce principe d’irresponsabilité politique du président de la République est parfois contestée au regard de l’étendue des compétences qui sont les siennes sous la Vème République. Il n’en reste pas moins que le mécanisme mis en place en 2008 ne rompt pas vraiment avec ce principe d’irresponsabilité. Les termes employés « comportement manifestement incompatible avec l’exercice du mandat » ne renvoient pas à des décisions ou à des choix politiquement contestés (par exemple le choix d’un Premier ministre qui appartient discrétionnairement au président), mais à une incapacité manifeste d’exercer ses fonctions. En réalité, le comportement du président doit atteindre un degré de gravité tel que majorité comme opposition s’accordent sur l’impossibilité pour le président de poursuivre l’exercice de ses fonctions. En effet, la destitution ne peut être prononcée qu’à la majorité des deux tiers des membres des deux assemblées parlementaires réunies en Haute Cour. En ce sens, la procédure engagée par Jean-Luc Mélenchon, comme celle qu’il avait engagée en 2024, constituent une forme de détournement de son objet. Il s’agit de contester la politique menée par le président, voire la manière dont il « gouverne » et non de sanctionner une violation manifeste de la Constitution ou un comportement délictueux.

Cette procédure est-elle susceptible de conduire à une destitution du président de la République ?

La réponse est négative. Outre ce qui pourrait s’apparenter à un détournement de procédure, au regard de la composition des assemblées et des conditions de majorité requises, cette procédure, qui rappelons-le n’a vocation à n’être mise en œuvre que dans des circonstances exceptionnelles, ne peut aboutir.

La procédure est la suivante : déclenchée par l’Assemblée nationale ou par le Sénat, la demande de convocation de la Haute Cour, adoptée par l’une des assemblées, est transmise à l’autre qui se prononce dans les quinze jours, l’une et l’autre à la majorité des deux tiers. En l’espèce, la procédure envisagée devrait s’arrêter, sans que l’Assemblée nationale n’ait à se prononcer. Mais la question se pose de savoir si elle sera déclarée recevable par le bureau de l’Assemblée. Deux précédents apportent des réponses différentes. Alors qu’une procédure avait été engagée en 2016 à l’encontre du président François Hollande, la proposition avait été déclarée irrecevable par le bureau de l’Assemblée nationale. En 2024, une procédure engagée à l’encontre du président Emmanuel Macron avait été déclarée recevable par le même bureau, puis la conférence des présidents avait refusé de l’inscrire à l’ordre du jour. En réalité, indépendamment de toute considération politique, cette dernière procédure est la plus conforme au droit alors qu’aux termes de l’article 2 de la loi organique du 24 novembre 2014, le bureau ne peut que vérifier la régularité formelle de la résolution. L’appréciation de la valeur des motifs de la résolution en vue de la destitution n’appartient qu’à l’Assemblée. Il n’en reste pas moins que la déclaration de recevabilité permettrait de donner un écho politique à l’engagement de cette procédure ce qui est l’effet recherché, alors même qu’elle n’est pas susceptible d’aboutir faute, à la fois, de réel fondement juridique et de majorité.

Une situation politique particulièrement détériorée pourrait, le cas échéant, conduire le président de la République à démissionner, mais cela ne résulterait que d’une décision personnelle et non de l’engagement d’une procédure de destitution.