Faut-il supprimer, réécrire ou redéplacer le délit d’apologie publique du terrorisme ?
L’apologie publique d’actes de terrorisme, généralement apparentée à la nébuleuse catégorie des « discours de haine », constitue une atteinte grave à la cohésion sociale et, en contribuant à valoriser le terrorisme, pourrait inciter indirectement à de futurs passages à l’acte. Dans ces conditions, il serait inopportun voire dangereux de supprimer l’incrimination. En revanche, pour prévenir tout risque de dévoiement et le rendre plus prévisible, le texte mériterait d’être précisé, voire de réintégrer la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Par Evan Raschel, Professeur à l’Université Clermont Auvergne, Directeur du Centre Michel de l’Hospital (UR 4232)
Comment le délit d’apologie publique du terrorisme a-t-il été instauré ?
En 1986, une des premières lois antiterroristes ajouta à l’article. 24 de la loi du 29 juillet 1881 les actes de terrorisme comme pouvant faire l’objet d’apologies publiques (et de provocations directes), jusqu’au déplacement de cette incrimination dans le Code pénal, par une loi du 13 novembre 2014. Dans sa version actuelle, l’art. 421-2-5 du Code pénal punit de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende « Le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes (…) ».
D’abord, que faut-il entendre exactement par apologie ?
Le concept d’apologie ne fait l’objet d’aucune définition législative, le Conseil constitutionnel n’y a pourtant pas vu de méconnaissance du principe de légalité.
En jurisprudence, la glorification (valorisation ou approbation franche et explicite) comme la justification (parfois qualifiée d’apologie indirecte) d’une infraction sont concernées, permettant de tenir compte de certaines habiletés de rédaction. Par ailleurs, la Cour de cassation comme le Conseil constitutionnel retiennent que « le délit d’apologie d’actes de terrorisme (…) consiste dans le fait d’inciter publiquement à porter sur ces infractions ou leurs auteurs un jugement favorable ».
En toute logique, tous ceux qui, sans même glorifier les attaques du Hamas du 7 octobre 2023, les auront justifiées au regard de la situation du peuple palestinien, se seront rendus coupables du délit (à condition qu’il y ait justification donc approbation : une explication n’est pas une justification… contrairement à une célèbre phrase d’un ancien premier ministre). Tel devrait encore être le cas d’une députée qualifiant le Hamas de « mouvement de résistance » immédiatement après les attaques : en effet, la référence à la résistance, mouvement particulièrement glorieux et valorisé de notre histoire nationale, n’est pas neutre et tend à porter sur les attaques du Hamas un regard favorable. Mais encore faut-il s’assurer que ces attaques furent bien des « actes de terrorisme », ce qui amène une seconde difficulté, plus importante encore.
Ensuite, comment définir les « actes de terrorisme » visés ?
Il est interdit de faire l’apologie des « actes de terrorisme », au sens des art. 421-1 à 421-2 et 421-2-6 du Code pénal. Mais à l’instar des apologies de l’art. 24, al. 5 de la loi sur la presse, aucune référence n’est faite à des actes terroristes constatés ou condamnés judiciairement. C’est donc au juge saisi de l’apologie… de qualifier les actes de terroristes. Or, la qualification peut être contestée et peu évidente (notamment pour le juge de presse, habitué à des questions tout autres). Il faudrait sans doute utiliser le raisonnement de l’art. 24 bis de la loi sur la presse incriminant la contestation publique de crimes contre l’humanité (notamment), par référence à des crimes qui ont été reconnus comme tels par une juridiction internationale ou nationale.
Enfin, pourquoi cette expression qui doit être « publique » a été déplacée, en 2014, de la loi du 29 juillet 1881 vers le Code pénal ?
La loi du 29 juillet 1881 est censée régir, non pas tous les abus de la liberté d’expression, mais les infractions dont l’élément constitutif central est une publication (telle que définie en son art. 23). Sous cet aspect, le déplacement de l’incrimination dans le Code pénal apparaît comme incohérent.
L’objectif fut de soustraire ces actes de terrorisme au régime applicable aux atteintes à la liberté de la presse (à l’exception de la responsabilité dite « en cascade ») en leur appliquant le droit commun, voire une partie du droit spécial antiterroriste mais aussi du droit applicable à la criminalité organisée. Toutefois, le législateur prit soin d’écarter l’application à ces infractions des règles exceptionnelles prévues aux art. 706-88 à 706-94 CPP, notamment les gardes à vue dérogatoires, les perquisitions de nuit, de même que l’extension à 20 ans de la prescription en matière délictuelle(par défaut, le droit commun s’applique : 6 ans, bien au-delà de la fameuse prescription trimestrielle du droit de la presse).
Ce déplacement s’explique donc essentiellement par des considérations répressives : « Au-delà de l’acte de défiance à l’égard de la loi sur la presse, et du détricotage de celle-ci, il s’agit là d’une posture philosophique qui consiste à appréhender ces provocations et apologies comme un maillon de l’entreprise criminelle du terrorisme, à tout le moins favorisant concrètement le passage à l’acte, et non comme des manifestations d’opinion (…) », écrit Me Christophe Bigot. En ce sens, le Conseil a pu valider ce choix via une QPC, au motif notamment que sont visées des infractions d’une « particulière gravité susceptibles de porter atteinte à la vie ou aux biens ».
La liberté d’expression en ressort affaiblie, mais celle-ci pourra malgré tout être préservée à travers le contrôle de proportionnalité qui interdira que des peines excessives soient prononcées ; dans la même logique les juges doivent vérifier le caractère proportionné des dispositions procédurales au regard de la liberté d’expression, et notamment de la détention provisoire.