Risque d’extradition de Paul Watson, le défenseur des baleines : quelle entraide judiciaire pénale ?
Le 2 octobre, la justice danoise devait se prononcer sur la demande d'extradition au Japon de Paul Watson, militant écologiste et défenseur des baleines, où il risque quinze ans d'emprisonnement. Sa détention au Groenland a finalement été prolongée jusqu'au 23 octobre. Sur quels fondements Paul Watson pourrait-il être extradé vers le Japon ?
Par Kamalia Mehtiyeva, Professeur à l’Université Paris-Est Créteil.
Quel est le contexte de l’affaire ?
Paul Watson, le fondateur de Sea Shepherd, organisation non-gouvernementale de défense des océans et de la biodiversité, a été arrêté cet été au Groenland par les autorités danoises sur le fondement d’une notice rouge d’Interpol. Cette notice rouge avait été émise en 2012 sur la demande du Japon pour des faits commis en 2010 à bord du Shonan Maru 2, un navireimmatriculé au Japon, également utilisé comme un navire de sécurité. Les autorités japonaises accusent Paul Watson, selon les sources disponibles, de conspiration d’abordage et d’être impliqué dans une agression à la bombe puante, à l’acide butyrique, qui aurait blessé au visage un marin japonais présent sur le navire. Depuis son arrestation, M. Watson se trouve sous écrou extraditionnel en attendant que les autorités danoises se prononcent sur la demande d’extradition du Japon.
L’affaire a été très médiatisée, tant s’agissant de la notice rouge Interpol que du volet judiciaire de l’affaire. Dans son communiqué de presse, la fondation Captain Paul Watson Foundationa fait observer que la Notice rouge émise contre M. Watson n’était plus disponible sur le site Interpol. La Fondation en déduit que cet effacement n’était autre qu’un effort de dissimuler l’existence de la notice rouge en la rendant confidentielle pour donner à M. Watson un sentiment de sécurité dans ses voyages et ainsi faciliter son arrestation. Sur le plan purement juridique, cette observation est néanmoins erronée dans la mesure où la plupart des notices rouges ne sont pas publiées sur le site Interpol. Ainsi, sur un nombre total d’environ 27.000 notices rouges ou notices dites « diffusions » en cours, seules 7000 sont publiques. Le caractère public des notices rouges est notamment dû à la dangerosité pour l’ordre public de la personne recherchée.
Cela ne signifie pas néanmoins que la notice rouge Interpol émise contre M. Watson est irréprochable. Sur le fond, au vu du contexte de l’affaire, sa conformité aux règles d’Interpol suscite des doutes. Sur le plan structurel, elle révèle une faille dans le système de fonctionnement d’Interpol, celle relative à l’émission de ces notices rouges. Il s’agit d’une procédure automatisée faite sur le fondement d’un contrôle formel des informations transmises par le Bureau Central National de l’État demandant l’émission de la notice rouge. Interpol, en tant que chambre mondiale d’enregistrement des mandats d’arrêt émis par les autorités nationales des États membres de l’Organisation, ne dispose pas de mécanisme interne permettant de filtrer en amont les demandes des États d’émettre des notices rouges. Cette absence de mécanisme de filtrage, le revers de la présomption de bonne foi des États dans la coopération policière internationale, est confortée par les statistiques officielles d’Interpol qui démontrent que moins de 10% des notices rouges sont supprimées annuellement par la Commission de contrôle des fichiers d’Interpol à la suite d’un contrôle de conformité opéré à la demande des personnes visées par les notices rouges.
En présence d’un tel mécanisme interne permettant un contrôle a posteriori, une fois la notice rouge émise, ce n’est pas tant l’existence de la notice rouge dans la présente affaire qui suscite des interrogations, mais plutôt le volet judiciaire – l’extradition – qui est en cours. En effet, la notice rouge n’est pas un mandat d’arrêt international. Ce n’est qu’une demande adressée aux services chargés de l’application de la loi des autres États membres à l’effet de localiser une personne et de procéder à son arrestation provisoire dans l’attente de son extradition. Une fois la personne localisée, ce sont les autorités judiciaires chargées de l’extradition qui remplissent le rôle de garde-fou des droits humains de la personne qui fait l’objet de l’extradition.
La demande d’extradition de M. Watson par les autorités japonaises est-elle fondée ?
Concrètement, M. Watson est poursuivi par les autorités japonaises pour avoir blessé une personne sur un navire tombant sous la compétence pénale du Japon. Cependant, conformément à la demande d’extradition, la peine qu’il risque pourrait être très lourde allant jusqu’à 15 ans de prison. Cette sévérité de la peine encourue pourrait faire douter de la sincérité du fondement de l’extradition qui, en réalité, dissimule la persécution du défenseur des baleines en raison de son engagement et de son combat contre la chasse illégale à la baleine imputée au Japon. La chasse commerciale à baleine fait en effet l’objet d’une réglementation internationale et est soumise, depuis 1986, à un moratoire international. Le Japon avait néanmoins continué la chasse à la baleine en prétextant une recherche scientifique, ce qui a donné lieu à une action en justice portée par les gouvernements australien et néo-zélandais devant la Cour internationale de justice menant à la condamnation du Japon pour chasse illégale. L’ONG Sea Shepherd fondée par M. Watson a toujours dénoncé le comportement illégal du Japon, ainsi que celui des pays nordiques, comme notamment la Norvège, l’Islande et le Danemark qui ont également quitté la Commission baleinière internationale pour poursuivre la chasse commerciale dans leurs eaux territoriales. Selon l’ONG, les poursuites pénales contre M. Watson ne sont pas sans lien avec son activisme contre la chasse à baleine pratiquée par le Japon.
Cependant, d’un point de vue formel, la demande d’extradition n’est pas fondée sur l’action militante de l’ONG et son fondateur, mais sur des faits de droit commun qu’auraient commis M. Watson.
S’agit-il alors d’une demande politiquement motivée ? Et, par ailleurs, a-t-elle des chances d’aboutir ?
Le caractère politique de la demande d’extradition est généralement admis par les textes internationaux et nationaux comme un obstacle à l’extradition. Il y a néanmoins une difficulté d’ordre probatoire à établir ce caractère politique ainsi qu’une incertitude quant au contenu de cette notion librement appréciée par le juge. En raison des répercussions diplomatiques potentielles dans les affaires de coopération pénale, il n’est pas toujours aisé, pour les autorités requises, d’affirmer la volonté politique de l’État requérant qui serait un obstacle à la remise de la personne poursuivie dans cet État et ferait ainsi échec à l’exercice par l’État requérant de sa souveraineté pénale nationale. C’est d’autant plus délicat lorsqu’il s’agit d’infractions complexes, ayant une nature de droit commun sans être dénuée de nature politique.
Cette particularité du droit extraditionnel est une réalité aussi bien juridique que politique. Il faut néanmoins garder à l’esprit le fait que d’autres principes permettent de pallier ces écueils et d’assurer le respect des droits fondamentaux de la personne poursuivie. Il s’agit notamment du principe de spécialité de l’extradition qui prohibe à l’État requérant de poursuivre ou de condamner la personne remise pour des faits non visés dans la décision d’extradition. Si cette interdiction n’empêche pas la requalification des faits visés par la décision d’extradition, le fait que les différentes conventions internationales limitent généralement la requalification en la soumettant au caractère extraditionnel de la requalification est révélateur de l’interprétation qu’il convient de donner à ce principe.
Par ailleurs, depuis son important arrêt Soering c. le Royaume-Unirendu le 7 juillet 1989, la Cour européenne des droits de l’homme consacre la protection des personnes faisant l’objet d’une demande d’extradition ayant pour conséquence de les exposer à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention prohibant la torture ainsi que les peines ou traitements inhumains ou dégradants. La protection offerte aux personnes sujettes aux mesures d’éloignement, telles que l’extradition, n’a cessé d’être renforcée par la CEDH qui oblige les États à garantir la protection dès lors qu’est constaté un risque réel d’être exposé à un déclin grave, rapide et irréversible de l’état de santé entraînant des souffrances intenses ou à une réduction significative de l’espérance de vie (Paposhvili c. Belgique, n° 41738/10).