Procès Sarkozy : « Ce n’est pas l’ancien Président qui a été condamné, mais le citoyen Sarkozy »
Condamné à 5 ans de prison avec mandat de dépôt à effet différé et exécution provisoire dans l’affaire du financement libyen de sa campagne de 2007, Nicolas Sarkozy a aussitôt dénoncé une décision « d’une gravité extrême pour l’État de droit ». De quoi relancer le débat qui, notamment depuis la condamnation de Marine Le Pen en mars dernier, oppose certains responsables politiques et la Justice. Décryptage.
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Par Olivier Beaud, Professeur de droit public à l’Université Paris Panthéon-Assas.
La remise en cause de cette décision s’appuie sur son caractère politique, ce qui remet également en cause son impartialité. Que faut-il en penser ?
Il est surprenant de qualifier ce jugement de politique. À la lecture de la décision, ce qui compte et ce qui prime, c’est la matérialité des faits, difficilement contestables, et qui conduit logiquement à une condamnation. Affirmer qu’il s’agirait d’une décision « politique » revient non seulement à contester les faits contenus dans la décision, mais aussi à les nier. Le parallèle avec le procès Le Pen est d’ailleurs assez frappant dans la mesure, notamment, où l’on critique beaucoup l’exécution provisoire.
Jusqu’où peut-on critiquer publiquement une décision de justice ? Les responsables publics, tels que le ministre de l’Intérieur, disposent-ils d’une telle liberté de critique ?
Tout citoyen peut critiquer une décision de justice. En revanche, il existe une limite d’ordre juridique. Comme toute liberté, celle-ci peut dériver en abus et cet abus est pénalement répréhensible quand on va au-delà de la critique et qu’on commet un outrage à l’encontre des magistrats. On peut d’ailleurs légitimement se demander si la réaction de Nicolas Sarkozy, par sa virulence, ne pourrait pas constituer un outrage à magistrat.
Pour les responsables politiques, et plus encore pour un ministre – même démissionnaire –, s’ajoute toutefois une sorte de devoir de retenue. La séparation des pouvoirs impose en effet à l’exécutif de respecter la Justice comme institution : la retenue et la convenance doivent guider la prise de parole publique d’un ministre quand il évoque une sentence judiciaire. Dans ce contexte, l’intervention de M. Retailleau relève moins de sa fonction de ministre (démissionnaire) que de celle de président d’un groupe politique.
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A l’occasion de ce jugement, certains réclament une grâce présidentielle, d’autres une loi pour modifier les règles de l’exécution provisoire. Est-ce, selon vous, opportun ?
Alors qu’une décision de justice condamne un ancien homme politique, certains envisagent des moyens d’en atténuer ou d’en annuler les effets, que ce soit par un changement législatif ou par une demande de grâce présidentielle. Il s’agit de subterfuges visant en réalité à contourner la décision de justice, ce qui nous semble très contestable.
De ce point de vue, il y a là un parallèle inquiétant qui doit être établi avec la décision de Donald Trump de gracier les insurgés de l’attaque du Capitole survenue en janvier 2021. La logique est similaire et on peut la qualifier de « logique trumpiste ».
D’une façon plus générale, ce genre de réaction problématique témoigne en réalité d’un sentiment répandu dans une partie de la classe politique selon lequel ce que décident les juges ne serait pas légitime. Or, à la lecture du jugement condamnant M. Sarkozy, on constate que des faits très graves sont reprochés à l’ancien président de la République. On a vraiment l’impression que ceux qui contestent ici les décisions juridictionnelles (que ce soit dans l’affaire Sarkozy ou dans celle de Marine Le Pen) veulent bâtir des contre-feux dans l’unique but de dissimuler le fond des dossiers, c’est-à-dire les délits commis et avérés.
Comment veiller, dans ce contexte, à ne pas fragiliser davantage l’État de droit ?
On invoque souvent l’État de droit, mais l’un des principes qui le caractérise est le respect des décisions de justice, qu’elles soient favorables ou non.
On observe par ailleurs une convergence troublante entre l’attitude de Nicolas Sarkozy et celle de Marine Le Pen : tous deux dénoncent les juges qui les condamnent, tout en passant sous silence les motifs mêmes de leur condamnation. Bien qu’accusés et condamnés, ils veulent se faire passer pour des victimes persécutées. La ficelle est un peu trop grosse.
Dans le cas de Nicolas Sarkozy, il faut rappeler qu’il n’était pas président de la République au moment des faits incriminés, mais ministre de l’Intérieur. C’est précisément pour cette raison qu’il n’a jamais bénéficié de l’immunité prévue par l’article 67 de la Constitution de sorte qu’il a pu être poursuivi et jugé. C’est le citoyen Sarkozy qui a dû répondre devant la justice des faits qui lui étaient reprochés.
En d’autres termes, la justice ne condamne pas un ancien président, mais un citoyen qui a commis un délit. Avoir occupé la fonction suprême ne protège en rien d’une sanction pénale : Jacques Chirac en avait déjà fait l’expérience, car il fut condamné pour l’affaire de l’emploi fictifs à la ville de Paris, la seule différence résidant dans la gravité des faits reprochés. Le principe d’égalité devant la loi s’applique à tous, y compris aux anciens présidents. Il convient même d’ajouter que le fait d’avoir été président de la République peut même, dans certains cas, se retourner contre l’intéressé.
Finalement, ne se trouve-t-on pas dans une impasse dès lors qu’il s’agit de juger des responsables politiques ?
Il faut distinguer deux situations très différentes. La première concerne les cas où l’on demande aux juges d’évaluer des décisions prises par des responsables politiques dans l’exercice de leurs fonctions — comme l’affaire du sang contaminé ou la gestion de la pandémie de Covid-19. Ici, on assiste à une criminalisation de la responsabilité des gouvernants où une mauvaise décision administrative ou une gestion contestée est transformée en délit pénal, abusivement selon nous. C’est ce que l’on appelle la criminalisation de la responsabilité des gouvernants.
La seconde relève de ce que l’on pourrait appeler la « criminalité gouvernante ». Elle se produit lorsqu’un responsable politique, qu’il soit au pouvoir ou non, commet des délits que le code appelle « contre la chose publique » : corruption, abus de pouvoir, concussion… Dans ces cas-là, l’élu ou le ministre trahit sa fonction en utilisant ses pouvoirs dans un but contraire au bien commun et au droit pénal, il doit donc répondre devant la justice pénale et n’a aucun privilège à revendiquer.
Le cas de Nicolas Sarkozy illustre cette distinction. Parler d’« association de malfaiteurs » peut choquer lorsqu’il s’agit d’un ancien président, mais dès lors qu’un ministre ou un chef d’État commet un délit, il se comporte comme un délinquant, il ne peut plus invoquer sa fonction politique pour se prémunir contre une action en justice. Il devient justiciable comme n’importe quel citoyen.
C’est ce qu’on pourrait appeler la théorie de « l’imposture » (formule du philosophe Kojève) : un responsable politique qui franchit la ligne de la criminalité cesse d’être un homme d’État pour devenir un délinquant. Et un délinquant ne peut s’opposer à ce que des juges ordinaires le condamnent, y compris pour une participation à « une association de malfaiteurs ».