Par Yves Petit, Professeur à l’Université de Lorraine, Directeur du Centre européen universitaire de Nancy

Une modification expresse de la législation agricole

La Commission européenne souhaitait aller vite et elle a été entendue ! Comme l’a déclaré le ministre français de l’agriculture, « nous avons fait en un mois ce que l’on fait d’habitude en trois ans » ! Le paquet de mesures simplifiant la PAC a en effet été examiné dans le cadre d’une procédure d’urgence et sans avoir fait l’objet d’un débat en séance plénière.

La Commission européenne n’a pas procédé à une étude d’impact, et a fait le pari que tant les Etats membres (le Conseil de l’UE) que le Parlement européen sauraient se montrer compréhensifs, d’autant plus que la tenue des élections européennes des 6-9 juin 2024 approche à grands pas et que la Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, brigue un second mandat à sa tête. Cette manière de procéder ne paraît pas très transparente : est-il possible de modifier le résultat de trois ans d’une longue négociation pour élaborer la PAC 2023-2027 (et la verdir) en recourant à une procédure législative accélérée ?

Avec l’absence d’étude d’impact, il est possible de considérer que les modifications adoptées sont plutôt des abandons que des mesures justifiées. La nouvelle réglementation affaiblit les règles de conditionnalité environnementale de la PAC. Le citoyen européen n’est-il pas alors en droit de se demander si le montant annuel des paiements directs perçus par les agriculteurs, qui est d’un peu plus de 40 milliards d’euros, est compatible avec un recul des exigences environnementales ?

Une simplification de certaines règles de la PAC

Ces termes sont ceux de la résolution adoptée par le Parlement européen le 24 avril 2024 (Textes adoptés – Simplification de certaines règles de la PAC – Mercredi 24 avril 2024 (europa.eu). Selon le Conseil de l’UE, ce réexamen ciblé de la PAC permet de parvenir « à un juste équilibre entre la nécessité de maintenir le niveau élevé d’ambition environnementale et climatique de la PAC actuelle et le besoin de répondre aux préoccupations des agriculteurs » (Soutien aux agriculteurs: le Conseil approuve un réexamen ciblé de la politique agricole commune (europa.eu). Il adapte les neuf « conditionnalités », également appelées BCAE (Bonnes conditions agricoles et environnementales), qui forment un ensemble de normes bénéfiques pour l’environnement et le climat et s’appliquent aux agriculteurs recevant un soutien au titre de la PAC.

Sans entrer dans les détails des règles adoptées, celles-ci prennent en compte l’instabilité géopolitique liée à la guerre d’agression russe menée en Ukraine et la fréquence de plus en plus rapprochée des phénomènes climatiques extrêmes. Ainsi, des dérogations temporaires et ciblées aux normes prévues par les BCAE pourront être accordées. De même, l’exigence de rotation des cultures pourra être remplacée par une diversification des cultures, ce qui est moins contraignant et facilitera le respect des règles par les agriculteurs victimes d’une sécheresse régulière ou de précipitations excessives. Les Etats membres bénéficieront de davantage de souplesse en ce qui concerne la couverture des sols pendant les périodes sensibles. Ils disposeront également d’une plus grande flexibilité pour adapter leurs plans stratégiques nationaux relevant de la PAC.

Bien que cette question ne soit pas encore définitivement réglée, la Commission est en train de préparer plusieurs mesures permettant d’améliorer le fonctionnement de la chaîne d’approvisionnement, notamment pour renforcer la position des agriculteurs. Un observatoire des coûts de production, des marges et des pratiques commerciales est en cours de création. Elle envisage d’accroître la contractualisation et la coopération entre les agriculteurs, afin notamment de fortifier les systèmes volontaires de commerce équitable et de circuits courts. Enfin, elle va proposer un renforcement des règles encadrant les pratiques commerciales déloyales transfrontières, afin d’agir sur les centrales d’achat et parvenir à un « Egalim européen », comme souhaité par le Président Emmanuel Macron.

Simplification des règles de la PAC ou détricotage de son volet vert ?

En adoptant avec 425 voix pour, 130 contre et 33 abstentions, et dans un délai aussi court cette simplification de plusieurs règles de la PAC, n’a-t-on pas mis la charrue avant les bœufs ? Au nom de la simplification d’un ensemble de règles de la PAC et d’un assouplissement des normes, le législateur européen n’a-t-il pas en réalité gommé plusieurs mesures emblématiques ayant permis un verdissement de la PAC ? Ces questions sont pour le moment sans réponse, mais pertinentes.

Une mesure concernant les petites exploitations agricoles interroge : les exploitations de moins de 10 hectares seront exonérées de contrôles et de sanctions si elles n’appliquent pas leurs obligations vertes ! Elles représentent 65 % des exploitations et perçoivent 12 % des aides. Malgré leur petite taille, est-il admissible que deux tiers des exploitations bénéficient d’une exemption de se conformer aux règles environnementales ? Ne faudrait-il pas mieux les accompagner et les aider à respecter les conditionnalités agricoles ?

Renoncer à la rotation des cultures est synonyme de diminution de la qualité des sols. La couverture des sols, qui est un principe de base de l’agroécologie, évite leur érosion. Les agriculteurs n’auront plus à mettre en place de jachères, ni de cultures fixant l’azote. Quoi qu’il en soit, il semble bien que la question des revenus agricoles demeure toujours en suspens. Il est également possible de se demander si cette révision est conforme à la loi européenne sur le climat, qui fixe une diminution des émissions de CO2 d’au moins 55 % d’ici 2030 ? A l’évidence, la réforme distend la relation entre agriculture et environnement, alors que la recherche indispensable d’un modèle agricole plus durable impose au contraire de les concilier du mieux possible !