Délit d’« homicide routier » : la loi définitivement adoptée par le Parlement
Mardi 1ᵉʳ juillet, le Sénat a entériné la création d’un délit « d’homicide routier » dans le Code pénal. Le texte doit désormais être promulgué par le président de la République avant d’entrer en vigueur.
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Par Emmanuel Dreyer, Professeur de droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne.
En quoi consiste la loi créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière qui vient d’être adoptée ?
La proposition de loi créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière est adoptée. Ce texte ambitionne de réduire les articles 221‑6‑1, 222‑19‑1 et 222‑20‑1 du Code pénal à leur premier alinéa qui érige en infraction spéciale l’homicide et les violences involontaires commis par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur (VTM) avec des peines aggravées de ce fait. Les hypothèses de sur-aggravation qui étaient jusqu’alors prévues sont désormais traitées à part. En effet, la loi crée un nouveau chapitre dans le Titre 2 du Code pénal intitulé « homicide et blessures routiers ». Il comprend trois articles principaux : le premier consacré à l’« homicide routier », les deux suivants aux « blessures routières » (variables suivant la durée de l’ITT engendrée). Ces comportements, d’ores et déjà punissables, acquièrent leur qualification particulière à raison des circonstances dans lesquelles ils sont commis. Ainsi, ce qui constituait des circonstances aggravantes dans la législation antérieure, devient des éléments constitutifs dans la législation nouvelle.
L’ensemble a été adopté dans un souci de communication. Il s’agit moins de durcir la répression que de la rendre plus explicite en gommant l’adjectif « involontaire » lorsque l’homicide ou les violences sont commis dans des « circonstances » les rendant particulièrement blâmables. Elles sont complétées par rapport aux anciennes circonstances aggravantes. Il y en a 10. Une infraction spécifique peut ainsi être retenue non seulement lorsque le conducteur d’un VTM a commis une faute délibérée mais aussi lorsqu’il se trouvait en état d’ivresse, avait fait usage de stupéfiants, n’était pas titulaire du permis de conduire, avait dépassé la vitesse autorisée d’au moins 30 km/h, pris la fuite ou refusé de prêter assistance à une personne en danger, etc. Ces circonstances ont en commun de correspondre à des comportements intentionnels. Désormais, alors même que la mort et les blessures n’ont pas été volontairement causées à autrui, le législateur récuse l’adjectif involontaire appliqué à ces atteintes dès lors que l’agent semble avoir à tout le moins voulu agir comme il l’a fait.
L’objectif recherché par les auteurs de la proposition de loi est-il atteint ?
On peut en douter. En premier lieu, la place des nouveaux textes au sein du Code pénal s’avère incohérente. Que viennent faire après les disparitions forcées, dans un même chapitre, à la fois l’homicide et les blessures routières, que le Code pénal distingue par ailleurs ? La dimension « routière » l’a emporté ici sur la distinction fondamentale des atteintes à la vie et à l’intégrité physique ou psychique. Le Sénat a tenté de proposer une autre présentation, mais l’Assemblée nationale a refusé de l’écouter pour satisfaire les associations de victimes.
Pire, la notion même d’homicide « routier » (ou blessures « routières ») s’avère incohérente car l’infraction simple commise par le conducteur d’un VTM reste extérieure au chapitre en question. L’intelligibilité de la loi est directement remise en cause par le maintien du premier alinéa des articles 221‑6‑1, 222‑19‑1 et 222‑20‑1 qui correspondent à des infractions tout autant « routières » que les nouvelles qui s’y ajoutent. Une confusion semble exister sur l’objectif poursuivi. Cette catégorie particulière d’infractions se justifie moins par le fait qu’un dommage est causé à autrui par un conducteur que par le fait que ce dommage est la conséquence imprévue d’un comportement intentionnel. La particularité de cet élément moral intermédiaire a été évoquée lors des débats mais les parlementaires étaient trop pressés d’adopter la loi pour en mesurer toute l’ambiguïté.
Que penser du texte en question ?
Les parlementaires n’ont pas compris où la difficulté se situait. Elle tient au caractère ambigu de l’adjectif « involontaire » lorsqu’il est accolé aux termes violences ou atteintes. Cet adjectif aurait dû être supprimé en toute hypothèse et non uniquement en matière routière. En effet, tout comportement répréhensible est nécessairement volontaire. C’est une condition d’imputabilité : on ne demande pas à quelqu’un de répondre de son fait s’il ne pouvait s’en abstenir parce qu’il ne l’a pas compris ou a été contraint de le réaliser. Même les prétendus homicides et violences involontaires sont donc volontaires parce que l’on ne concevrait pas de punir l’auteur d’un accident qui n’a pu s’empêcher de le causer (victime d’une attaque cardiaque imprévisible, par exemple). C’est par abus de langage que les homicides et violences involontaires sont qualifiés comme tels depuis le Code de 1810. Il aurait été plus exact de les déclarer non-intentionnels. Il convenait donc en toute hypothèse de substituer cette formule à la précédente car les victimes de la violence routière ne sont pas seules à trouver choquant qu’un individu doué de volonté soit déclaré coupable d’homicide ou de violences involontaires lorsqu’il cause un dommage à autrui.
Mais peut-être dira-t-on que requalifier « non-intentionnelles » des infractions abusivement présentées comme « involontaires » n’aurait pas suffi à calmer l’ire des victimes qui dénoncent des assassins de la route et plaident pour la criminalisation de leurs comportements ? Ce n’est sans doute pas faux. Toutefois, cela prouve que, là aussi, le problème a été pris à l’envers. En effet, si l’on raisonne par rapport à l’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique, le raisonnement évoqué ci-dessus est imparable. Il fallait envisager les choses autrement pour justifier la répression et peut-être même aller au-delà. Il fallait prendre au sérieux chacune des circonstances à l’occasion desquelles un délit spécifiquement « routier » peut apparaître et ériger en infractions spécifiées non l’homicide et les violences par conducteur d’un VTM mais chacun de ces délits lorsqu’il en résulte une atteinte à la vie ou à l’intégrité physique d’autrui. L’hypothèse n’est pas nouvelle (V., C. pén., art. 322-6 et s.). Il aurait suffi d’adopter la même démarche ici pour que le comportement poursuivi n’apparaisse pas seulement volontaire mais intentionnel et donner ainsi une véritable satisfaction aux victimes.