Par Loïc Grard, Professeur de droit public à l’Université de Bordeaux

Le règlement 261/2004/UE établit des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important. Ce texte, qui fête ses vingt ans, a révolutionné les droits des voyageurs. Véritable tonneau des danaïdes du contentieux, il est à l’origine de plus d’une cinquantaine d’arrêts en interprétation. C’est donc sans surprise qu’il se retrouve aujourd’hui au cœur de la réforme du statut de la Cour de Justice visant au transfert de la compétence en matière de questions préjudicielles au Tribunal de l’Union dans des matières spécifiques. Les droits du passager aérien seront du wagon. D’ici peu de temps, il appartiendra au tribunal de se prononcer sur les interprétations de ce règlement. En attendant, l’arrêt du 21 mars 2024 revient sur le thème de l’annulation en tant que désagrément sérieux et sur la pleine information des passagers à propos de leurs droits.

En cas d’annulation, quelles sont les obligations du transporteur ?

En cas d’annulation, sur la base d’une rédaction en cascade, le règlement 261/2004/UE égraine les droits de l’infortuné passager. L’article 5 en prévoit deux : 1) indemnité forfaitaire en compensation du désagrément, mais seulement quand l’annulation est intempestive, sous réserve de circonstances extraordinaires, dans les conditions fixées par l’article 7 ; 2) remboursement du billet ou réacheminement. L’article 8 indique qu’il appartient au seul passager de choisir entre le remboursement et le réacheminement.  S’il opte pour la première alternative, il lui est donné satisfaction dans les 7 jours au prix où il a été acheté le billet. Concernant la modalité du remboursement, l’article 8 renvoie à l’article 7 relatif à l’indemnité compensatrice, qui prévoit un paiement soit en espèces, soit par virement bancaire électronique, soit par virement bancaire, soit par chèque, ou, avec l’accord signé du passager, sous forme de bons de voyage et/ou d’autres services (le voucher). Ici encore le passager choisit.

Le transporteur rembourse, mais comment ?

C’est sur ce point que l’arrêt du 21 mars 2024 « Cobult » apporte une pierre supplémentaire à l’édifice de la protection des droits des passagers aériens en précisant la signification de « l’accord signé » par le passager pour admettre un bon de voyage. La question posée était en substance la suivante : remplir un formulaire en ligne sur le site Internet du transporteur aérien, et ainsi opter pour un remboursement prenant la forme d’un bon et, de ce fait, renoncer à un remboursement sous la forme d’une somme d’argent, est-ce une application correcte du règlement ? Ici, l’arrêt du 21 mars 2024, sans équivoque, souligne que le remboursement du billet s’effectue, principalement, sous la forme d’une somme d’argent. Les bons de voyage sont admis, mais demeurent une modalité subsidiaire de remboursement. Le fait que législateur ait subordonné ces derniers à la condition supplémentaire d’un « accord signé » du passager démontre qu’ils ne peuvent être imposés, ni même proposés de manière telle qu’il est difficile de les refuser. De même, contrevient au droit de l’Union un transporteur qui énonce des modalités de remboursement à même de rendre plus compliqué le remboursement en espèces que celui par bons de voyage. La Cour de Justice fait aussi comprendre que fixer de telles règles sur le site internet dans une langue non raisonnablement maitrisée par le passager relève d’une méthode non conforme au respect des droits de ce dernier. Agir de la sorte constitue une manière déloyale de satisfaire les droits des passagers. Rien ne doit être construit sur un site internet de manière à influencer le choix du remboursement dans un sens qui correspond moins au besoin du passager que de la compagnie.

Comment le passager donne-t-il son consentement au bon de voyage ?

Le fait que l’accord pour un bon de voyage doive être signé renvoie à l’idée de consentement libre et éclairé. « Eclairé » signifie que le transporteur aérien doit fournir aux passagers les informations nécessaires pour leur permettre de faire un choix efficace. En revanche, selon les mots de la Cour, il est tout à la fois excessif et inapproprié d’exclure que l’« accord signé du passager » pour le remboursement du billet sous la forme d’un bon de voyage puisse prendre la forme d’un formulaire que le passager doit remplir sur le site Internet du transporteur aérien. Une telle exclusion augmente la charge liée à la gestion administrative des remboursements pour le transporteur aérien. Elle est aussi susceptible de retarder le processus de remboursement pour le passager, ce qui peut s’avérer contraire à ses intérêts. De même, le formulaire marquant l’acceptation explicite, définitive et univoque d’un remboursement du billet sous la forme d’un bon de voyage, ne nécessite nullement la signature manuscrite ou numérisée du passager. En somme, il est reconnu contreproductif d’enfermer le consentement par « accord écrit » dans un excès de formalisme.

Que penser des bons de voyage « attractifs » comme alternative aux remboursements en argent ?

La question s’était posée en 2020, lors de l’interruption totale du trafic aérien en raison de la pandémie lorsque de manière généralisée et systématique les compagnies aériennes ont automatiquement substitué au remboursement des vols annulés des avoirs, bons d’échanges et autres vouchers pour se sauver de la faillite. Dans la la recommandation 2020/648/UE du 13 mai 2020, la Commission européenne a condamné cette pratique et invité les professionnels du transport à rendre les bons à valoir plus attractifs, comme alternative au remboursement. Plutôt que le fait accompli, plutôt que des procédures dissuadant la demande de remboursement en argent, la logique incitative est mise en avant. La recommandation affirme que cela … « augmenterait leur acceptation par les passagers et les voyageurs. Cela contribuerait à atténuer les problèmes de liquidité des transporteurs et des organisateurs, et pourrait à terme conduire à une meilleure protection des intérêts des passagers et des voyageurs ». Parmi les recommandations, figure notamment le principe suivant lequel les bons puissent : 1) avoir une durée minimale de validité de 12 mois ; 2) qu’ils soient utilisables en partie ou en totalité ; 3) qu’ils soient automatiquement remboursables en espèces au plus tard 14 jours après leur date d’expiration s’ils n’ont pas été utilisés. Le dernier point ne vaut qu’en réponse à la situation d’exception des années 2020/2021. Les autres sont aujourd’hui devenus monnaie courante. Dès lors, dans l’objectif d’éviter le remboursement en argent, il appartient aux compagnies aériennes de développer une politique de bons de voyage à l’avantage de leurs clients.

Quid des autres modes de transport ?

Concernant le transport maritime, l’art. 18§3 du Règlement 1177/2010/UE énonce « qu’avec l’accord du passager, le remboursement intégral du billet peut également être fait sous forme de bons et/ou d’autres services d’un montant équivalent au tarif auquel il a été acheté, à condition que les conditions soient flexibles, notamment en ce qui concerne la période de validité et la destination ». Concernant le transport par autobus et autocar, selon l’art. 19§5 du Règlement 181/2011/UE, « le remboursement s’effectue en espèces, à moins que le passager accepte une autre forme de remboursement ». Concernant le transport ferroviaire, suivant l’art. 18§5 du Règlement 2021/782/UE, « le remboursement peut prendre la forme de bons et/ou d’autres services à condition que ces bons et/ou ces services soient suffisamment souples, notamment en ce qui concerne la période de validité et la destination, et que le voyageur les accepte ». Par ailleurs, la Commission devait adopter un acte d’exécution établissant un formulaire commun pour les demandes de remboursement au plus tard le 7 juin 2023. L’idée, toujours non concrétisée, est louable, car une présentation harmonisée des procédures évite au voyageur de s’adapter et possiblement de se perdre dans les spécificités de chaque transporteur.  Elle va dans le sens de ses intérêts, au-delà de l’objectif de bonne information. L’alignement des planètes au bénéfice du passager quant à la forme du remboursement des voyages annulés apparait donc parfait. Le bon de voyage est toujours subsidiaire. Le consentement est toujours requis.

Dans cette perspective, certaines pratiques demeurent pourtant contestables, telle la méthode appliquée par OuiGo adressant automatiquement un bon d’achat recréditable sur le compte bancaire du passager. Ce dernier est ici mis devant le fait accompli du bon de voyage et décide ensuite de sa conversion – ce qui peut avoir pour effet d’atténuer son libre consentement à la forme du remboursement. Cet exemple manifeste à lui seul que l’arrêt « Cobult » envoie un signal qui n’apparaît pas comme tel dans les diverses législations : toute présentation des choses par le transporteur rendant plus aisé le bon de voyage que le remboursement en argent est contraire à l’objectif européen d’un niveau élevé de protection des passagers. En revanche, une politique le rendant plus avantageux n’appelle aucune réserve.