Nouvelles mesures gouvernementales contre la délinquance des mineurs : que vont-elles changer ?
Selon un rapport interministériel, ces émeutiers étaient majoritairement de très jeunes hommes, peu diplômés, sans revendications idéologiques, à 79 % de nationalité française, nés pour les trois quarts en France et, à 60 % originaires d’une famille monoparentale. Au 1er août, 2 107 personnes avaient été jugées et 1 989 condamnées, dont 90 % à une peine d’emprisonnement.
Par Laurent Sebag, conseiller à la cour d’appel d’Aix en Provence, enseignant associé à l’université de Toulon et vice-président de l’association A.M.O.U.R de la Justice.
Quatre mois après la flambée de violences commises lors des émeutes urbaines consécutives à la mort du jeune Nahel, le 27 juin à Nanterre, Élisabeth Borne a dévoilé un plan pour prévenir et contrer les actes délictueux commis par des mineurs. Devant un parterre de quelque 250 maires réunis à la Sorbonne jeudi 26 octobre, la Première ministre a détaillé une série de mesures régaliennes, découpées en quatre volets (sécurité, judiciaire, éducatif, responsabilité des parents), prévoyant notamment un durcissement de la réponse pénale contre les mineurs délinquants, la responsabilisation financière des deux parents dans le but de plus impliquer les pères, et un plus grand soutien aux familles dans l’accompagnement éducatif.
En quoi les mesures annoncées apparaissent contradictoires dans leurs objectifs ?
Il faut bien admettre que vouloir tout à la fois renforcer l’arsenal répressif déjà lourdement outillé du droit pénal français, les modes de réponses à l’égard des mineurs délinquants déjà très protéiformes, donc peu lisibles pour eux, améliorer leur prise en charge qui passe par plus de mesures éducatives conformément aux exigences prioritaires du code de la justice pénale des mineurs et de la convention internationale des droits de l’enfant, est totalement schizophrénique.
On comprend évidemment qu’il faille donner l’assurance que de telles émeutes ne se reproduisent pas. Cependant, si l’on veut opérer un électrochoc pour faire reculer la délinquance juvénile, après avoir sans cesse depuis des décennies alourdi la réponse pénale sans résultat, il faut en passer aujourd’hui par un renforcement, non pas des mesures éducatives comme issue des poursuites judiciaires, mais par un investissement de l’effort en dehors de la justice des mineurs.
C’est vers l’école et surtout la famille qu’il faut se tourner pour prévenir cette délinquance juvénile et pas seulement l’éradiquer. Il faut renforcer les moyens d’actions avant le passage à l’acte délictuel. La justice doit certes être au rendez-vous du rappel à l’ordre, mais elle est au bout d’un entonnoir très étroit. Partant, les problèmes doivent être traités avant même sa saisine.
Parmi ces mesures, lesquelles sont réellement novatrices ?
A cet égard, la proposition annoncée par Elisabeth Borne de changements législatifs pour impliquer les deux parents, et notamment les pères de plus en plus absents, est cruciale. Même si elle est encore évasive dans sa déclinaison. Quand aujourd’hui, c’est le parent qui a la garde des enfants qui est seul responsable financièrement des dommages causés par ceux-ci en application de l’article 1242 alinéa 4 du code civil, parce que l’absence de contrôle sur l’enfant du parent délaissant ou disparu dans la nature fait obstacle à sa responsabilité civile, on contribue à déresponsabiliser davantage le parent défaillant, en responsabilisant corrélativement davantage le seul qui assume déjà son rôle. Il faut donc sans doute inviter à corréler davantage cette responsabilité du fait d’autrui avec l’exercice conjoint de l’autorité parentale, et moins avec le seul contrôle du prétendu gardien.
D’autres mesures simples, de bon sens, ne nécessitant pas forcément d’approche législative, sont innovantes parce qu’agissant au cœur des problèmes sociologiques de la famille contemporaine. C’est le cas du processus annoncé pour donner de la visibilité aux dispositifs d’aides sociales, les caisses d’allocation familiale pouvant donner aux communes les moyens nécessaires pour étendre les horaires d’accueil en centres de loisirs, le matin ou le soir. C’est le cas aussi pour la prise en charge intégrale des frais d’hébergement en internat des élèves boursiers issus de familles monoparentales, comme pour le renforcement des heures d’enseignement civique dans les établissements scolaires à la rentrée 2024-2025. On voit là que l’effort porte sur le soutien des familles pour éviter le passage par la case « délinquance » de mineurs livrés à eux-mêmes parce que leurs mères les élèvent souvent seules comme elles le peuvent, avec leurs modestes moyens, loin de l’image de pères qui manquent cruellement à la construction identitaire des mineurs.
En revanche, d’autres mesures, bien qu’intéressantes dans la perspective d’une démarche pluridisciplinaire de l’action de terrain partagée de manière concertée entre forces de l’ordre, magistrats ou encore personnels éducatifs et sociaux (« les forces d’action républicaines ») risquent de se heurter à des obstacles législatifs ou constitutionnels. L’idée est la suivante : lorsqu’un territoire cumule les difficultés, il pourra – à l’instar des forces de l’ordre mobiles dépêchées pour rétablir l’ordre en cas d’émeutes – envoyer des équipes mobiles d’autres services publics, justice, éducation, santé, ou encore affaires sociales, pour établir un diagnostic en quelques semaines et tenter, en six mois, d’améliorer la situation. Le premier obstacle sera, comme souvent, celui de partager un secret professionnel scrupuleusement préservé par chacun de ces services publics. Le second tiendra aux difficultés de pilotage local partagé par les maires, préfets et procureurs de la République, dans un contexte où la capacité de mobiliser ou non les forces de l’ordre ne dépend plus aujourd’hui, à cause de la récente réforme de la police judiciaire, que du préfet. Au-delà, une telle approche ne constitue qu’une aide ponctuelle et conjoncturelle, qui certes souple, n’a pas vocation à être pérennisée sur des territoires carencés.
Enfin, la création proposée d’une peine complémentaire de suspension d’un compte sur un réseau social pendant six mois après l’adoption définitive du projet de loi numérique est très novatrice, parce qu’elle porte sur un réel centre d’intérêt de la jeunesse. En soi, c’est un argument de dissuasion. Toutefois, cette forme de bannissement numérique encourt plusieurs critiques. D’abord celle de l’absence de lien avec l’infraction commise par le mineur, qui risque de nuire à son aval par le Conseil constitutionnel. D’autre part, même si la responsabilité des plateformes dans les tensions et les violences collectives avait été pointée du doigt par les ministres cet été, la mise en œuvre d’une telle sanction impliquera une collaboration effective, mais peu plausible desdites plateformes.
Les autres mesures sont-elles éculées ?
Il est assez clair qu’il en va de la sorte pour la plupart des autres mesures annoncées par le gouvernement. A commencer par celles touchant à la responsabilisation pénale des parents et, plus particulièrement, la création d’une circonstance liée à la commission d’une infraction par le mineur pour aggraver la peine du délit de soustraction d’un parent à ses obligations légales envers un mineur ou l’aggravation de la pénalité pour violation du couvre-feu par le mineur. L’exécutif veut aussi étendre les possibilités de prononcer des stages de responsabilité parentale ou d’amende pour les parents mis en cause. L’idée d’investir les polices municipales de nouvelles prérogatives proches ou partagées pour réaliser des actes de police judiciaire, au besoin sous le contrôle des parquets, n’est pas davantage nouvelle.
Faut-il rappeler qu’un dispositif semblable avait été proposé dans la loi « Sécurité globale » il y a deux ans à peine, laquelle n’avait pas passé les fourches caudines du Conseil constitutionnel ? La focalisation sur la lutte contre les stupéfiants dans le discours de la première ministre, perçu à tort ou à raison comme la « matrice de toutes délinquances et la cause de nombreuses violences », est tout aussi peu inédit. Le plan national de lutte contre les stupéfiants annoncé pour début 2024 n’en sera de fait qu’un énième ajouté à de multiples précédents. Surtout s’il s’agit comme cela a été dit, de faciliter le paiement et le recouvrement des amendes forfaitaires visant les consommateurs de drogue. Enfin, la « tambouille » de faire encadrer les jeunes délinquants par des militaires commence à être périmée à force d’être réchauffée au gré des présidences successives de la Ve République…
Peuvent-elles néanmoins être efficaces ?
Nous avons évoqué quelques lignes auparavant l’inefficacité du contrôle parental malgré une responsabilisation ancienne au civil des parents. Non pas par désintérêt parental mais du fait de l’explosion de la cellule familiale contemporaine et de la dilution du rôle parental. En quoi le paiement d’une amende supplémentaire au trésor public mobiliserait davantage des familles, principalement monoparentales, dépassées ? Par ailleurs, si les polices municipales peuvent présenter l’avantage d’une connaissance personnelle des mineurs concernés sur un ressort local, elles ne sont pas investies des missions de la police judiciaire définies par la loi. On imagine mal d’ailleurs comment l’on pourrait doter les parquets de la république du pouvoir de contrôler leurs actes à l’heure où, précisément, le contrôle de la police judiciaire lui échappe au profit du préfet. Nous ne serions plus à un désordre prêt, vous me direz…
En outre, il n’entre pas dans les missions des fonctionnaires de la Défense d’encadrer les délinquants, même dans le cadre d’une logique sécuritaire utile. Au demeurant, comment faire entendre aux trafiquants de stupéfiants mineurs la gravité d’une telle infraction dans la hiérarchie des peines voulue par le législateur français, quand le consommateur qui alimente de fait ce trafic n’est plus déféré devant les tribunaux, l’autorité exécutive lui délivrant des amendes à payer comme s’il était un simple contrevenant routier ? Il y a ici singulièrement une approche antagoniste de la répression selon le bout de la chaîne où l’on se trouve. Il devient ardu alors d’y trouver une pertinence de traitement criminologique global.
Autant d’incohérences ou d’obstacles juridiques qui font douter du succès de la plupart de ces mesures.