Nicolas Sarkozy, un détenu comme un autre ? 3/4
Après vingt et un jours passés à l’établissement pénitentiaire de la Santé, l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy a obtenu une remise en liberté assortie d’un contrôle judiciaire. Durant son incarcération, a-t-il été traité comme un détenu ordinaire ou a-t-il bénéficié d’un régime particulier ? Retrouvez le troisième épisode de la série du Club des juristes : Nicolas Sarkozy, le droit et la justice.
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Par Muriel Giacopelli, Professeur à Aix-Marseille Université
Quelles ont été les conditions de détention de Nicolas Sarkozy à la prison de la Santé ?
Alors que les autres protagonistes de l’affaire du financement libyen de la campagne électorale de l’ancien chef de l’État sont détenus au quartier des personnes vulnérables du centre pénitentiaire de la Santé, dit QB4, improprement baptisé quartier « VIP », lequel fut initialement envisagé pour y accueillir Nicolas Sarkozy, ce dernier a finalement été placé à l’isolement au sein d’un quartier dédié.
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Cette décision relevant de l’administration pénitentiaire d’office ou à la demande de l’intéressé, ne présente en soi rien d’anormal, en raison des menaces de mort proférées à l’encontre de l’ancien chef de l’État par certains détenus lors de son arrivée. Ainsi, toute personne majeure, prévenue ou condamnée, peut être placée à l’isolement par l’autorité administrative afin de répondre à un objectif de protection ou de sécurité (C. pénit. art. L. 213-8). Il n’y a rien de choquant, non plus, à ce que l’ancien Chef de l’État ait pu disposer d’une cellule individuelle décente, ait pu bénéficier comme le prévoit le code pénitentiaire d’une heure de promenade par jour dans une petite cour grillagée (C. pénit. art. R. 213-18), ait eu accès à une salle de lecture faisant office de bibliothèque et à l’une des trois salles de musculation mises à disposition des détenus selon un planning préétabli… Si ce n’est de constater le soin pris par l’administration pénitentiaire à faire en sorte que l’ancien chef de l’État n’ait aucune chance de croiser l’un des 12 autres détenus mis à l’isolement, tant en veillant à l’exercice solitaire de l’ensemble des activités ou quant à la localisation géographique de sa cellule, avec pour seul voisinage celle des officiers de sécurité l’ayant accompagné à la prison de la Santé.
Nicolas Sarkozy, a-t-il bénéficié d’un régime d’exception ?
Or, la présence des officiers de sécurité est un fait unique que le ministre de l’Intérieur, Laurent Nunez, a justifié au regard « des menaces qui pèsent sur lui », ajoutant que les mesures de sécurité dureraient « autant qu’elles seraient jugées utiles ». Le caractère exceptionnel de la présence de ces officiers armés au sein même de la détention, a été ressenti comme un camouflet par les personnels pénitentiaires à qui le port d’arme est refusé par principe et ne peut être exercé que sur ordre du chef d’établissement et pour une intervention précisément définie (C. pénit. art. L. 227-1 et ss).
Selon le secrétaire général du syndicat des surveillants UFAP-UNSA, une ligne rouge aurait été franchie, en piétinant les règles les plus élémentaires au sein d’un établissement pénitentiaire en instaurant un régime d’exception au profit d’un seul homme. Cette présence iconoclaste n’est pas sans rappeler la réflexion initiée par le Garde des Sceaux sur les contours et le contenu d’une future « police pénitentiaire », dont la création serait l’aboutissement du virage sécuritaire pris par l’administration pénitentiaire depuis les attentats terroristes de 2015, dont la France vient de commémorer les dix ans.
Le caractère extraordinaire des visites à l’occasion de l’incarcération de Nicolas Sarkozy
Les visites effectuées à la prison de la Santé à l’occasion de l’incarcération du chef de l’État ont revêtu un caractère extraordinaire. L’on a en effet assisté à un curieux mélange des genres avec la visite de Gerald Darmanin à « son ami et mentor » Nicolas Sarkozy, alors que le premier est actuellement garde des Sceaux.
Un collectif d’avocats a par ailleurs déposé plainte contre celui-ci, pour prise illégale d’intérêts devant la Cour de Justice de la République considérant qu’« en s’exprimant publiquement quant à sa volonté de rendre visite à Nicolas Sarkozy en détention ainsi qu’en lui apportant implicitement son soutien, Gérald Darmanin a nécessairement pris position dans une entreprise dont il a un pouvoir d’administration ou de surveillance ».
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C’est bien au demeurant le souhait « d’éviter un risque d’obstacle à la sérénité des débats et d’atteinte à l’indépendance de la Justice », courageusement dénoncé par le procureur général Rémy Heitz lors d’une prise de parole, qui relayé par la Cour d’appel dans sa décision d’accorder la demande de liberté déposée par les avocats de l’ancien chef de l’Etat, a justifié le prononcé d’une interdiction élargie de contacts inédite à l’encontre de Nicolas Sarkozy, visant indirectement toute rencontre avec le ministre de la Justice. En outre, si les visites des établissements par les parlementaires sont possibles depuis les années 2000, en présence des journalistes depuis 2016, rejoints par les bâtonniers depuis 2021 (Cpp art. 719), le « coup de com » ayant consisté pour deux parlementaires à se présenter à la prison de la Santé à la rencontre de l’ancien chef de l’Etat, s’est vu opposer un refus de l’administration pénitentiaire rappelant que « par ailleurs (que) ce droit de visite ne peut avoir pour objet de rencontrer une ou des personnes détenues en particulier ». Saisi en référé des modalités d’exercice du droit de visite par lesdits députés au quartier d’isolement, le tribunal administratif a rejeté la demande considérant que les conditions du référé liberté n’étaient pas remplies après avoir rappelé que le caractère d’urgence faisait défaut et après avoir constaté que les parlementaires avaient pu circuler devant toutes les cellules du quartier d’isolement. Or force est de constater que la visite d’un tel quartier est d’un intérêt mineur pour qui prétend rendre compte des conditions matérielles de détention… En conséquence, si c’est bien le citoyen Sarkozy qui a été jugé, le détenu Sarkozy a quant à lui bénéficié d’un régime de détention « extra-ordinaire ».