Dans une quête anodine du like, les parents ne mesurent que rarement les risques d’une telle exposition de leurs enfants. Aussi la loi n° 2024-120 du 19 février 2024 « visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants » vient-elle leur rappeler leurs responsabilités.

Par Nathalie Baillon-Wirtz, Professeur de droit privé à l’Université de Reims Champagne-Ardenne

Quel est l’objectif de cette nouvelle loi ?

Dans le prolongement des préconisations faites par la Défenseure des droits et le Défenseur des enfants dans le rapport « La vie privée : un droit pour l’enfant » publié en novembre 2022, la loi du 19 février 2024 a pour but d’assurer une meilleure protection de l’image des enfants et de sensibiliser les parents à leurs responsabilités lorsqu’ils partagent leur intimité familiale sur les réseaux sociaux. Elle complète ainsi les avancées législatives récentes qui ont progressivement fait émerger le respect de la vie privée de l’enfant comme un enjeu crucial dans la régulation du monde numérique, notamment avec l’encadrement de l’exploitation commerciale de son image (loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020), la généralisation du contrôle parental sur les moyens d’accès à internet (loi n° 2022-300 du 2 mars 2022) et l’instauration d’une majorité numérique (loi n° 2023-766 du 7 juillet 2023).

Cette prise de conscience était nécessaire tant la pratique du partage de contenus par les parents via les réseaux sociaux, dénommée en anglais « sharenting » (contraction de « share » signifiant « partager » et « parenting » pour parentalité), s’est banalisée. Les chiffres l’attestent : 53% des parents français publient en ligne des images de leurs enfants (Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique, fév. 2023) et « en moyenne un enfant apparaît sur 1300 photographies publiées en ligne avant l’âge de 13 ans, sur ses comptes propres, ceux de ses parents ou de ses proches » (exposé des motifs de la loi). Les risques d’atteinte à la vie privée de l’enfant induits par le développement des technologiques numériques en sont démultipliés. Les images que les parents disséminent sur internet, la plupart du temps pour partager ce qu’ils considèrent être de beaux souvenirs, sont en réalité des données personnelles qui peuvent être réutilisées, détournées (plus de la moitié des contenus partagés sur les forums pédopornographiques avaient été initialement publiés par les parents sur leurs réseaux sociaux) ou exposées au jugement de tiers, parfois plusieurs années après leur publication.

Que prévoit-elle ?

L’apport principal de la loi est de rendre effective la protection du droit à la vie privée de l’enfant à travers l’exercice de l’autorité parentale. Dès lors, l’article 371-1 du Code civil qui la définit est modifié. En plus de « sa sécurité, sa santé et sa moralité », pour « assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne », l’autorité parentale doit protéger l’enfant dans « sa vie privée ». La loi consacre par ailleurs dans le Code civil un article dédié – l’article 372-1 que l’article 226-1 du Code pénal vise désormais – à la protection du droit à l’image de l’enfant : « les parents protègent en commun le droit à

l’image de leur enfant mineur, dans le respect du droit à la vie privée mentionné à l’article 9. » Le même article ajoute que l’enfant selon son âge et son degré de maturité doit être associé à la prise de décision de ses parents concernant l’exercice de son droit à l’image.

Les cas d’intervention du juge aux affaires familiales sont conséquemment élargis. Si les parents sont en désaccord sur l’exercice du droit à l’image de l’enfant, le juge peut interdire à l’un de diffuser tout contenu sans l’autorisation de l’autre (C. civ., art. 373-2-6, al. 4). C’est principalement cette mesure sur laquelle l’Assemblée nationale et le Sénat se sont opposés. Le point d’achoppement concernait le renvoi aux actes non usuels et usuels de l’autorité parentale. Si les premiers nécessitent l’accord des deux parents, les seconds supposent qu’un parent est réputé agir avec l’accord de l’autre. Alors que les sénateurs proposaient que la diffusion au public de contenus relatifs à la vie privée de l’enfant fasse l’objet d’un accord de chacun des parents, les députés ont préféré « attendre que le désaccord soit acté pour que le juge intervienne pour quelques situations problématiques, plutôt que d’adopter une disposition contraignante qui s’appliquerait à tout le monde sans distinction. Cette disposition aurait risqué de contraindre excessivement la vie des parents. » (B. Studer, député, rapporteur, Commission mixte paritaire).

Il est aussi prévu que « lorsque la diffusion de l’image de l’enfant par ses parents porte gravement atteinte à la dignité ou à l’intégrité morale de celui-ci », le juge peut aller jusqu’à prononcer une délégation forcée à un tiers de l’exercice du droit à l’image (C. civ., art. 377).

Enfin, la loi renforce le droit à l’oubli en autorisant la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) à saisir le juge des référés pour demander « toute mesure de sauvegarde des droits de l’enfant en cas d’inexécution ou d’absence de réponse à une demande d’effacement de données personnelles » (Loi n°78-17 du 6 janvier 1978, art. 21).

Cette loi est-elle suffisante ?

Dès son adoption, beaucoup se sont interrogés sur l’utilité de la loi au regard de la jurisprudence passée et des textes préexistants tels l’article 9 du Code civil, l’article 226-1 du Code pénal et l’article 16 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE).

De l’aveu même de son rapporteur à l’Assemblée nationale, le texte a été pensé comme « une loi de pédagogie avant d’être une loi répressive ou sanctionnatrice ». Dès lors, on ne saurait y trouver la solution à tous les problèmes. On pense notamment à la diffusion de photos d’un enfant par l’entourage familial ou amical que la loi ne vise pas puisqu’elle lie la protection de son image à la titularité de l’autorité parentale et donc à la seule responsabilité des parents. N’est pas non plus résolue la question qui ne manquera pas de se poser lorsque l’enfant sera en âge d’agir en responsabilité contre ses parents pour ne pas avoir su garantir son droit à l’image et préserver sa vie privée comme sa réputation. Enfin, comment composer avec les délais de la procédure pour obtenir du juge une décision qui protège l’intérêt de l’enfant et s’assurer que ses parents et ses proches en respectent toujours les termes ?

La pédagogie, si elle est utile, a des limites. On retiendra donc de cette loi qu’elle a au moins le mérite d’exister.