La justice restaurative ou comment concourir à la manifestation de la réparation
Par Marie-Odile Diemer – Maître de conférences en droit public à l’Université Nice Côte d’Azur – CERDACFF (UPR 7267)
La justice restaurative part d’un constat : la fonction libératrice traditionnellement rattachée au procès n’est pas complètement atteinte pour toutes les victimes.
Derrière la vérité judiciaire à laquelle concourt le procès pénal, la réalité des traumatismes des victimes et de l’absence de prise de conscience des auteurs ne sont parfois pas suffisamment intégrées et comprises dans la procédure classique. La justice restaurative, tout en gardant la fonction de paix sociale à laquelle est rattachée tout procès, s’axe plutôt sur la restauration du lien social en fonctionnant au cas par cas. La mise en lumière cinématographique de ces espaces de dialogues particuliers par le film « Je verrai toujours vos visages » de J. Herry sorti en salle le 29 mars, est l’occasion de rappeler les grandes lignes de ce qu’est cette méthode pourtant intégrée dans le code de procédure pénale depuis 2014.
Qu’est-ce que la justice restaurative ?
La justice restaurative ou « réparatrice » cherche à renouer le dialogue entre les différents acteurs de la commission d’une infraction. Dans le procès, tout individu revêt un costume juridique : on sait que les juges ou les avocats portent concrètement une robe mais les auteurs ou les victimes bénéficient également de statuts juridiques précis. La justice restaurative cherche à les débarrasser de cet habillage juridique pour révéler les personnes et leurs émotions, en un mot leur humanité. Si la justice pénale résonne par rapports aux faits, aux preuves, et aux règles de droit applicables, et y rattache des mécanismes comme des auditions, des témoignages ou des plaidoiries, la justice restaurative cherche principalement à écouter des histoires et des ressentis. Il ne faudrait cependant pas croire que la justice pénale est totalement détachée des émotions mais elle ne se concentre pas uniquement sur elles pour résoudre un procès.
Impossible ou utopique pourraient alors être les premières qualifications et réactions à l’existence d’un quelconque lien potentiel entre une victime et un auteur d’infraction. Même s’il est certain que le processus n’est pas adapté à tous, la justice restaurative permet cependant de donner un sens concret à la peine. Ce dernier mot n’est d’ailleurs pas neutre. La peine infligée à l’auteur n’efface pas nécessairement la profonde peine de la victime. La justice restaurative tente de trouver un point de rapprochement entre les deux pour essayer de les faire disparaître.
Inspirée des modèles anglo-saxons en la matière et héritière des modalités de justice ancestrale qui reposaient principalement sur le dialogue, ce sont surtout les travaux pionniers du Professeur Robert Cario et du chercheur Jacques Faget qui ont permis d’intégrer la justice restaurative dans les premières lignes du code de procédure pénale en 2014.
Citons notamment un extrait de l’article L10-1 : « Constitue une mesure de justice restaurative toute mesure permettant à une victime ainsi qu’à l’auteur d’une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l’infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission ». L’infraction n’est ainsi pas niée, elle doit au contraire être décortiquée pour aboutir à la réparation personnelle des victimes.
Quelle place reste-t-il à la justice pénale ?
Il faut d’abord bien comprendre la justice pénale pour véritablement saisir les enjeux de la justice restaurative. La justice pénale juge, la justice restaurative répare. Il est nécessaire ainsi de souligner que la justice restaurative n’a ni vocation substitutive ni vocation alternative vis-à-vis de la justice pénale car elle fonctionne sur un logiciel radicalement différent. Le besoin de condamnation, de punition et de reconnaissance générale par la société de la commission d’une infraction est indispensable au bon fonctionnement de la paix sociale. Toutefois, la reconnaissance personnelle par le dialogue du vécu et des émotions se présente comme une plus-value par rapport au procès pénal. Mode complémentaire à la justice pénale, la justice restaurative se concentre sur les conséquences de l’acte d’un point de vue personnel et non juridique. Le Code de procédure pénale fonctionne en effet mécaniquement sur la correspondance entre un acte et sa peine. La justice restaurative fonctionne de manière plus personnelle sur l’apaisement des acteurs de l’infraction et se réinterroge face à chaque cas de cette manière : comment retrouver l’humain et l’humanité derrière un auteur et une victime ? Comment réhabiliter et responsabiliser l’auteur et comment en miroir soulager la victime ?
Surtout, il faut insister également sur le fait que la mise en place d’une justice restaurative n’enraye pas le fonctionnement de la justice pénale, ou ne change pas les modalités d’exécution de la condamnation déjà prononcée concernant l’auteur : aucune remise de peine par exemple ne pourrait être accordée.
Quels sont les principes et les modalités gouvernants le fonctionnement de la justice restaurative ?
Pas de côté vis-à-vis de la justice pénale, la justice restaurative n’en connaît pas moins un cadre juridique et des étapes chronologiques précises. Nous avons cité précédemment l’article L. 10-1 du CPP. Il faut le lire en miroir de la circulaire du 15 mars 2017 relative à la mise en œuvre de la justice restaurative afin de mieux cerner le mécanisme.
Il existe déjà un cadre juridique global et qui rappelle à quel point la justice restaurative est complémentaire au procès puisque la proposition du processus peut intervenir à tous les stades de la procédure pénale.
Trois conditions principales permettent ensuite de mettre en place une mesure de justice restaurative : la reconnaissance des faits par l’auteur ; le droit à l’information des auteurs et des victimes (la mesure est proposée et suggérée mais n’est jamais imposée) ; le consentement de l’auteur et des victimes pour participer au processus. Cette dernière condition est également un principe de la justice restaurative qui se complète avec l’impératif de confidentialité. On retrouve ainsi les grands principes généraux de la médiation au sens large. Tout espace de dialogue sécurisé, que cette sécurité soit physique ou psychique, est également sécurisé par la mise en œuvre de ces deux principes.
De plus, les rencontres entre les détenus et les victimes ne se font pas sans cadre. Tout un protocole se met en place. D’abord, des entretiens préparatoires sont organisés de manière séparée avec des médiateurs. Ces entretiens permettent de comprendre les positions et les attentes de chacun. Ces médiateurs, qui font figure de tiers, reçoivent une formation spécifique à la justice restaurative. Le film nous montre qu’ils sont d’ailleurs principalement issus du service pénitentiaire d’insertion et de probation.
Le processus peut être arrêté à tout instant et n’a pas nécessairement vocation à être mené à son terme. Pendant les rencontres, les médiateurs n’interviennent pas, ils permettent plutôt l’accompagnement ou l’éventuelle reformulation de certaines émotions. Les rencontres peuvent se faire également selon plusieurs modalités : en face à face ou intégrées dans des cercles de paroles. Plusieurs séances sont prévues et doivent permettre des temps d’échanges entre victimes et auteurs mais aussi des bilans avec les médiateurs.
En définitive, la justice restaurative se place dans les interstices de la justice pénale pour venir combler les manques de cette dernière. Elle est ainsi résolument complémentaire et travaille à la conciliation du triomphe de la justice institutionnelle et au soulagement de l’éventuel sentiment d’injustice ressenti par les victimes.
Les visages humains dont le titre du film s’empare restent ainsi gravés dans la mémoire des participants au-delà de la prononciation de la condamnation. Il faut ainsi espérer que l’accueil inconditionnel offert dans les espaces de dialogues de la justice restaurative se déplace au profit des spectateurs du film, juristes et non juristes afin d’enrichir leurs visions et leurs réflexions sur ce qu’est ou ce que doit être la justice.
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