Affaire Bygmalion : une nouvelle condamnation définitive pour Nicolas Sarkozy
La Cour de cassation a de nouveau définitivement condamné Nicolas Sarkozy dans l’affaire dite « Bygmalion » sur le financement de la campagne présidentielle de 2012 de l’ancien chef d’État. Décryptage.
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Par Marthe Bouchet, Professeur de droit privé à l’Université Sorbonne Paris Nord
La composition de la juridiction d’appel était-elle régulière ?
En plus du président et des deux conseillers, un magistrat honoraire avait été désigné comme assesseur supplémentaire, afin d’anticiper un éventuel empêchement de l’un de ces trois magistrats. Cette possibilité est expressément prévue par l’article 398 alinéa 2 du code pénal. Cependant, deux critiques étaient formulées par le pourvoi.
D’une part, ce juge supplémentaire avait posé des questions à l’audience, alors qu’il ne devait qu’assister aux débats, sans y prendre part. Sur ce point, la chambre criminelle déduit de l’article 398 alinéa 2 que dès lors que ce juge « peut être appelé à remplacer à tout moment un des magistrats du siège qui serait empêché, il est légalement investi au cours des débats de tous les droits que le code de procédure pénale confère aux juges correctionnels », y compris donc de celui de poser des questions.
D’autre part, l’arrêt attaqué indiquait que la cour d’appel était composée « lors des débats et du délibéré » du président, des deux conseillers, ainsi que du magistrat honoraire désigné comme assesseur supplémentaire. Selon les demandeurs au pourvoi, une telle formulation laissait penser que le juge supplémentaire avait participé au délibéré, ce qui rendrait nulle la décision, car non rendue par le nombre de juges (trois) prescrits par la loi. Toutefois, la chambre criminelle relève que la cour d’appel a mentionné, au début de sa motivation, que « la décision a été rendue après que la cour a délibéré conformément à la loi », et, dans son dispositif, « que la cour d’appel a statué après en avoir délibéré régulièrement ». Ces précisions apportées par la cour d’appel lui suffisent à établir que l’assesseur n’a ni assisté ni participé au délibéré.
Comment comprendre l’articulation de cette décision avec celle du Conseil constitutionnel, lequel avait déjà précédemment invalidé les comptes de campagne ?
Le dépassement du plafond légal des dépenses électorales entraîne à la fois l’obligation de rembourser le Trésor public de la somme correspondant au dépassement (en application de l’article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962) et des poursuites pénales, fondées sur l’article L. 113-1 du code électoral. Bien que ce cumul ait été contesté par l’ancien Président, le Conseil constitutionnel en a validé le principe (Cons. const. 17 mai 2019, n° 2019-783 QPC, « les deux répressions prévues par les dispositions contestées relèvent de corps de règles qui protègent des intérêts sociaux distincts aux fins de sanctions de nature différente »).
Néanmoins, le pourvoi arguait de la violation de l’autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel qui avait relevé un dépassement du plafond légal d’un montant de 466 118 euros, soit un montant bien inférieur à celui établi par les autorités judiciaires après investigations (plus de 20 millions d’euros). Était-il possible pour la cour d’appel de retenir un tel montant, sans malmener l’autorité de chose jugée par le Conseil constitutionnel ? La chambre criminelle donne une réponse affirmative à cette question. Elle relève d’abord que l’autorité de chose jugée par le Conseil constitutionnel est absolue en ce qui concerne la procédure de validation des comptes de campagne, issue de la loi du 6 novembre 1962. En revanche, lorsque le juge pénal doit se prononcer sur le financement illégal d’une campagne électorale, infraction prévue par l’article L. 113-1 du code électoral, s’il demeure tenu par la décision du Conseil constitutionnel (v. Ass. Plén. 13 mars 2020, n° 19-86.609) ce n’est qu’en ce qui concerne les dépenses examinées par le Conseil. La Cour de cassation introduit ici une distinction entre les dépenses examinées par le Conseil, à l’égard desquelles son autorité est absolue, et celles qui ne lui ont pas été soumises, à l’égard desquelles aucune autorité ne peut être invoquée. Or, en l’espèce, certaines dépenses avaient été dissimulées au Conseil, ce qui a d’ailleurs justifié les condamnations pour escroquerie et usage de faux. Dès lors, le juge pénal pouvait, s’il parvenait à retracer le montant de ces dépenses dissimulées, en tenir compte.
La cour d’appel a-t-elle suffisamment motivé les éléments constitutifs des différentes infractions reprochées aux prévenus ?
La Cour de cassation n’est pas en mesure de se prononcer elle-même sur les faits, son contrôle se limitant donc à examiner la qualité de la motivation retenue en appel.
Concernant le directeur de campagne et les deux directeurs du parti politique, elle a estimé que les juges du fond avaient répondu à tous les arguments soulevés, de sorte que les condamnations pour escroquerie, complicité et usage de faux sont confirmées.
Concernant l’ancien président de la République, la chambre criminelle devait s’assurer que la cour d’appel avait suffisamment caractérisé l’infraction de financement illégal de campagne. Elle renvoie sur ce point à l’appréciation des juges du fond dont elle reproduit certains motifs. Deux points sont particulièrement à relever. Du point de vue de l’élément matériel de l’infraction, l’ancien président contestait toute implication personnelle. La chambre criminelle relève pourtant que la cour d’appel a bien démontré qu’il avait donné personnellement son accord pour que ses collaborateurs, qu’il avait lui-même choisis, engagent pour son compte, des dépenses de campagne. Du point de vue de l’élément moral, Nicolas Sarkozy plaidant l’ignorance, elle constate que les juges du fond ont fourni suffisamment d’éléments de nature à établir qu’il savait que le montant total des dépenses engagées excédait le plafond légal (outre son expérience électorale préalable, il a notamment été averti du dépassement du plafond légal, par deux notes successives, dont il a admis avoir eu connaissance).
Quelle peine devra subir Nicolas Sarkozy ?
La chambre criminelle ayant confirmé la condamnation, la peine prononcée par la juridiction d’appel devient définitive. Plus précisément, en appel, l’ancien Président avait été condamné à un an d’emprisonnement dont six mois avec sursis. La partie ferme étant inférieure à un an, la cour d’appel avait acté le principe de son aménagement, en application de l’article 132-19 du code pénal. Par conséquent, Nicolas Sarkozy évitera une nouvelle incarcération.
Par ailleurs, puisqu’il est mis en cause dans de nombreuses procédures pénales, l’ancien Président pourrait bénéficier d’une confusion de peines. Ce mécanisme, prévu par l’article 710-1 du code pénal permet à une personne condamnée définitivement à deux reprises pour des infractions en concours d’exécuter simultanément deux peines de même nature. Nicolas Sarkozy pourrait être concerné s’il est définitivement condamné à une peine d’emprisonnement dans l’affaire du financement libyen de sa campagne – de 2007 cette fois – et si la cour d’appel en décide ainsi lors de l’appel, qui sera examiné du 16 mars au 3 juin.