Autoroute A69 : le coup de frein environnemental ?
Faisant l’objet de contestations multiformes, le projet controversé de réalisation de l’autoroute A69 (Toulouse-Castres) vient de subir un net coup d’arrêt. Le Tribunal administratif de Toulouse a prononcé l’annulation de l’autorisation environnementale conditionnant la poursuite des travaux.

Par Christophe Roux, Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3
Quelle solution ?
Le tribunal a considéré que l’autorisation environnementale délivrée par le préfet de la Région Occitanie était illégale, en ce que cette dernière portait dérogation à l’interdiction de destructions d’espèces protégées (C. env. art. L. 411-1), plus d’une soixantaine d’entre elles ayant été dénombrée. L’interdiction n’a rien d’absolu, l’article L. 411-2 du même code ouvrant la voie à d’éventuelles dérogations pourvu que, au regard des mesures de compensations prévues, trois conditions cumulatives (§ 24) soient remplies : premièrement, aucune solution alternative satisfaisante n’existe ; deuxièmement, la dérogation ne doit pas nuire au maintien des espèces concernées, ceci dans un état de conservation favorable ; troisièmement, la dérogation doit reposer sur une « raison impérative d’intérêt public majeur ».
C’est sur la base de cette dernière condition, considérée paradoxalement comme « première » et autonome des deux autres – et conformément à la méthode promue par le Conseil d’État (CE, 28 déc. 2022, n° 449658) – que le tribunal a fondé son annulation, celui-ci rappelant que la dérogation ne peut se prêter qu’à des projets d’envergure appréciés selon un méthode de type « bilan », le projet devant être « d’une importance telle qu’il puisse être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvage » (§ 9). Pratiquant alors un séquençage des intérêts publics susceptibles de justifier la dérogation, le tribunal vient successivement dénier l’existence de motifs (social, économique, de sécurité publique) suffisants – pris individuellement ou globalement – à entériner l’existence d’une telle raison impérative d’intérêt public majeur (§ 23). Partant la « dérogation espèce protégée » est déclarée illégale ; jugée indivisible des autorisations composant « l’autorisation environnementale » (laquelle forme une « collection » d’agréments), cette dernière, non régularisable, doit être annulée en totalité, les travaux devant dès lors cesser.
Quelle portée ?
À l’évidence, la décision a fait l’objet d’un retentissement mérité, y compris si l’on s’en tient, ici, à ses échos strictement juridiques. Mérité, car les décisions antérieures ne laissaient pas présager, a priori, d’une telle solution : outre que, aux termes d’une méthode et d’un raisonnement – quoi qu’on en dise – assez similaires, l’utilité publique du projet avait été validée par le passé (CE, 5 mars 2021, n° 424323), le Conseil d’État avait, à quatre reprises en référé (suspension ou liberté) rejeté les prétentions visant, entre autres, à contester les décisions approuvant les contrats de concessions. Le Tribunal administratif de Toulouse, de son côté, avait également refusé par trois fois d’ordonner la suspension de l’arrêté préfectoral (querellé ici au fond et devant le juge de droit commun), il est vrai – seulement – pour défaut d’urgence. Mérité en deuxième lieu car c’est à notre connaissance la première fois qu’une annulation frappe un projet d’une telle ampleur et, surtout, à ce stade de l’opération (70 % des travaux auraient été réalisées… et 300 millions d’euros engloutis). Plus régulièrement en effet, la censure intervient au stade de la déclaration d’utilité publique. Mérité, en troisième et dernier lieu, car la motivation (fouillée et bâtie sur des étais – trop ? – statistiques) retient l’attention, celle-ci constituant un plaidoyer contre l’autorisation environnementale. Pêle-mêle, le tribunal d’écarter le « décrochage » démographique et économique du bassin de population ; d’émettre de sérieux doutes quant au niveau de report et de fréquentation de l’autoroute (le coût élevé du péage l’amenuisant) ; de pointer les gains (de temps mais aussi de sécurité) limités, compte tenu des conséquences néfastes engendrées sur l’itinéraire de substitution.
Quelles suites ? Quelles conséquences ?
Par communiqué, l’État a déjà annoncé son intention de faire appel, l’action devant être assortie d’une requête en sursis à exécution du jugement. On peut gager, eu égard à la motivation étayée du tribunal toulousain, que celle-ci ne sera pas simple à obtenir, ce qui pourrait bientôt générer des contentieux indemnitaires entre l’État et le concessionnaire (jusqu’à la résiliation – coûteuse – éventuelle, sans compter le montant de la remise en état…).
Il reste que l’appréciation du tribunal pourra, demain, être renversée. Outre qu’il est loisible de penser que ce dernier s’est prononcé un peu trop « à charge », la méthode d’appréhension des raisons impératives d’intérêt public majeur prête intrinsèquement à la casuistique et au subjectivisme, au gré d’une « mise en balance » in concreto plus ou moins leste, même si le standard de contrôle semble plus élevé qu’en matière d’utilité publique. Réputé jacobin dans ce cadre, filtrant le moustique – local – pour mieux laisser passer les chameaux – nationaux – (J. Rivero), le Conseil d’État, s’il était saisi, confirmerait-il cette solution ? Il restera à souligner que, en fin de parcours, un autre raisonnement « de type bilan » pourrait venir jouer les arbitres, les « ouvrages publics par anticipation » étant, comme ceux déjà réalisés, susceptibles d’être sauvés des eaux par le principe d’intangibilité (CE sect., 14 oct. 2011, n° 320371).