Par Aurélien Antoine, Professeur des universités, directeur de l’Observatoire du Brexit et des relations UE/Royaume-Uni post-Brexit.

À quoi le sommet du 19 mai a-t-il abouti ?

Promis à l’automne 2024, ce sommet est le premier du genre entre l’UE et le Royaume-Uni depuis l’entrée en vigueur complète des accords de Brexit, le 1er janvier 2021. Il s’est tenu à Londres après des négociations engagées dès le retour au pouvoir des travaillistes en juillet 2024. Il a été décidé que ce type de sommet aurait lieu une fois par an. Trois documents ont été publiés.

La Déclaration commune rappelle des principes directeurs qui sont en tout point opposés aux orientations actuelles de plusieurs États occidentaux, au premier rang desquels les États-Unis. Le respect des droits humains, de la prééminence du droit, des institutions internationales, du multilatéralisme, du libre-échange et la promotion du développement durable sont réaffirmés avec force. Le Royaume-Uni et l’UE conviennent d’une approche commune de la guerre en Ukraine, et marquent leur inquiétude face à l’escalade militaire entre l’Inde et le Pakistan, le programme nucléaire iranien, ou la situation à Gaza en soutenant un cessez-le-feu.

Le deuxième document (Convention d’entente sur un programme renouvelé de coopération entre l’Union européenne et le Royaume-Uni) insiste sur les domaines clefs de la coopération en distinguant ce qui fait l’objet d’un accord ferme et précis de ce qui relève de négociations à poursuivre ou à engager. La première catégorie est évidemment la plus importante. Le Partenariat en matière de sécurité et de défense (Security and Defence Partnership ou SDP) en fait partie. Il apparaît comme le texte majeur de ce sommet. Le SDP recèle une dimension institutionnelle afin de maintenir un dialogue constant entre les deux partenaires et une portée opérationnelle en vue de satisfaire des objectifs de développement capacitaire communs. Des facilités d’échange et de mobilité sont donc prévues dans le domaine de l’industrie de la défense, doublées d’une interopérabilité consolidée. Un troisième volet du partenariat envisage des coopérations renforcées pour plusieurs problématiques clefs : sécurité maritime, sécurité spatiale, cybersécurité, IA, menaces hybrides, désinformation, contre-terrorisme, désarmement, et immigration clandestine.

Un autre engagement concret a été pris. Un terrain d’entente a été trouvé sur la pêche (véritable serpent de mer de toute négociation entre l’UE et le Royaume-Uni ayant conduit récemment à un arbitrage en partie défavorable aux Britanniques). Il prolonge la période d’adaptation au cadre prévu par l’accord de commerce et de coopération de 2021 (ACC). Pour rappel, le Protocole de l’accès aux eaux annexé à l’ACC stipule que les pêcheurs sont autorisés, « jusqu’au 30 juin 2026, à continuer d’accéder aux eaux de l’autre Partie » dans les conditions précédant l’entrée en vigueur de l’ACC. Au-delà de cette date, les quotas de pêche devaient faire l’objet de négociations annuelles. La Convention d’entente étend cette transition jusqu’à 2038. En contrepartie, les Britanniques ont obtenu l’ouverture de négociations en vue de la conclusion d’un accord sanitaire et phytosanitaire créant une zone commune en la matière. Il s’agirait d’alléger les contrôles sanitaires pour plusieurs catégories de marchandises. Concrètement, des produits comme le fromage et les viandes ne devraient plus être soumis à une certification vétérinaire avant exportation. En revanche, les autres contrôles douaniers seraient maintenus. Des objectifs tout aussi tangibles sont fixés pour les systèmes des transactions de quotas d’émission de gaz à effet de serre ou encore la collaboration avec Europol. Il est enfin probable que les deux parties parviennent à s’entendre dans les prochains mois sur les schémas d’échange éducatif et étudiant (Erasmus+).

En quoi n’est-ce pas, stricto sensu, une « remise à zéro » des rapports entre le Royaume-Uni et l’UE ?

En premier lieu, la lecture des textes publiés à la suite du sommet confirme qu’ils s’appuient sur l’accord de retrait, l’accord de commerce et de coopération, et l’accord de Windsor, qui révisait le Protocole sur l’Irlande et l’Irlande du Nord. Ce dernier traité, signé à l’époque par Rishi Sunak, amorçait clairement la phase de normalisation, qui était simplement moins assumée par un Premier ministre devant prendre en compte la frange eurosceptique de son parti. Rishi Sunak avait également assuré le retour du Royaume-Uni dans les programmes Horizon et Copernicus.

En deuxième lieu, les trois résultats les plus notables relatifs à la défense, à la pêche et à la facilitation des échanges de certaines marchandises ne sont pas fondamentalement innovants. La défense est un domaine qui a été assez préservé des conséquences du Brexit par rapport à d’autres secteurs. En dehors, de l’UE, la relation bilatérale franco-britannique dans le cadre des accords de Lancaster House a été largement relancée en dépit de la crise des sous-marins australiens en 2021. Elle demeure incontournable depuis les débuts de la guerre en Ukraine et, plus récemment, depuis le positionnement pour le moins erratique de Donald Trump. Pour la pêche, l’extension à 12 années de la phase d’adaptation n’est pas négligeable, mais elle n’est que le prolongement d’une concession de Boris Johnson. Quant à l’assouplissement des contrôles sanitaires, il était prévisible. L’accord de Windsor procédait déjà à des facilitations au profit de l’Irlande du Nord. Il faut aussi rappeler que les Britanniques eux-mêmes ont tardé à instaurer ces contrôles pour les denrées importées de l’Union européenne en ne les mettant en place qu’à partir de 2024 après cinq reports.

En troisième lieu, bien des sujets font, certes, l’objet d’une promesse de coopérations plus substantielles, mais sans décisions précises. C’est particulièrement le cas pour l’immigration, l’environnement, la coopération judiciaire, la reconnaissance des qualifications professionnelles, ou la circulation des artistes de scène.

Finalement, le sommet du 19 mai prolonge et approfondit la normalisation initiée il y a plus de deux ans. Il confirme que les accords de Brexit n’étaient pas qu’un aboutissement, mais bien le ciment de l’édification d’une relation spéciale qui n’augure en rien le retour du Royaume-Uni dans l’UE ou d’une intégration au marché commun à court ou moyen terme.

En quoi ce sommet conforte-t-il la place du Royaume-Uni dans le concert européen ?

Bien qu’il ne faille pas surévaluer les apports de la journée du 19 mai, sa portée politique est indéniable. C’est un nouveau succès diplomatique pour Keir Starmer. Dès son entrée au 10 Downing Street, il a veillé à rétablir la réputation internationale du Royaume-Uni en écartant l’application de la loi d’expulsion de demandeurs d’asile vers le Rwanda en violation des droits international et européen. Il a mené à bien les négociations avec l’Inde pour la conclusion d’un accord de libre-échange. Dans ce champ, il a aussi su préserver en partie son pays de la politique protectionniste américaine par la conclusion d’un traité qui en limite les effets. Engagé résolument du côté de l’Ukraine et incontournable en matière de défense européenne, le Royaume-Uni n’en a pas moins maintenu un dialogue nourri avec les États-Unis qui intéresse directement l’Union européenne. Sur ce sujet, les Britanniques sont sans doute plus fiables que certains États membres qui ne cachent pas leur proximité avec l’administration Trump (notamment l’Italie et la Hongrie).

Les réussites internationales de Keir Starmer ne doivent pourtant pas occulter des menaces internes similaires à celles qui touchent d’autres démocraties européennes. Les résultats du sommet du 19 mai ont été salués outre-Manche par tous les partis et les corps intermédiaires modérés, mais ils ont été vivement critiqués (souvent jusqu’à la caricature) par les conservateurs et le parti eurosceptique, Reform UK. La formation de Nigel Farage est désormais l’un des principaux adversaires des travaillistes après sa victoire inédite lors des scrutins locaux du 1er mai et qui, depuis, fait la course en tête dans les enquêtes d’opinion.