Russiagate : Perquisitions au Parlement européen à Strasbourg et à Bruxelles
Alors que le parlement européen est ébranlé depuis décembre 2022 par l'affaire dite du "Qatargate" dont l’instruction, encore en cours, a révélé l’existence d’une organisation criminelle utilisant la corruption et le blanchiment à des fins d’ingérence dans la politique européenne, cette nouvelle affaire d’ingérence de la Russie doit nous amener à réfléchir à un dispositif efficace pour protéger les intérêts démocratiques de l’Union européenne.
Par Chantal Cutajar, Maître de conférences à l’Université de Strasbourg et directrice générale du CEIFAC
Le 29 mai 2024, le parquet fédéral belge a annoncé avoir procédé à des perquisitions au Parlement européen à Strasbourg et à Bruxelles. Dans quel cadre se sont déroulées ces perquisitions et qui visaient-elles ?
Selon le communiqué du parquet fédéral belge, ces perquisitions s’inscrivent dans le cadre d’un dossier d’ingérence, de corruption passive et d’appartenance à une organisation criminelle et concernent des indices d’ingérence russe, selon lesquels des membres du Parlement européen auraient été approchés et payés pour promouvoir la propagande russe, via le site web d’information Voice of Europe, interdit de diffusion pour ces faits. Rappelons que ce sont les services de renseignement tchèques qui ont révélé, fin mars, la découverte d’un réseau qui répandait la propagande russe du Kremlin, via le site Voice of Europe, pour dénoncer notamment le soutien militaire occidental à l’Ukraine dans la guerre déclenchée par la Russie. Le parquet fédéral belge a alors ouvert une enquête révélant que la plateforme servait également à fournir secrètement des soutiens financiers à des élus pour relayer les messages de la Russie. C’est dans ce cadre qu’il a été procédé à ces perquisitions qui ont eu lieu au domicile d’un collaborateur français du Parlement européen en Belgique, Guillaume Pradoura, ainsi qu’à son bureau au Parlement européen de Bruxelles. Le juge d’instruction belge, en étroite collaboration avec Eurojust et les autorités judiciaires françaises, a également demandé une perquisition dans le bureau de ce collaborateur au Parlement européen de Strasbourg. Ancien assistant parlementaire de l’Eurodéputé allemand, Maximilian Krah du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AFD), est aujourd’hui assistant parlementaire de l’eurodéputé néerlandais Marcel de Graaff, membre du Forum pour la démocratie, un parti eurosceptique et conservateur néerlandais. Pour le parquet fédéral belge, « des indices prouvent que le collaborateur du parlement européen en question a joué un rôle important dans cette affaire ».
Quelles sont les qualifications pénales visées ?
Les poursuites pour des faits d’ingérence sont diligentées sous les qualifications de corruption passive et d’appartenance à une organisation criminelle visées, infractions visées par le code pénal belge. Si le droit français connait l’infraction de corruption, l’appartenance à une organisation criminelle ne peut être appréhendée que par le biais de la circonstance aggravante de bande organisée au visa de l’article 132-71 du code pénal ou du délit d’association de malfaiteurs de l’article 450-1 du code pénal, dans des conditions plus restrictives que celles de l’article 324 bis du code pénal belge. Cette disposition définit en effet l’organisation criminelle comme « l’association structurée de plus de deux personnes, établie dans le temps, en vue de commettre de façon concertée, des crimes et délits punissables d’un emprisonnement de trois ans ou d’une peine plus grave, pour obtenir, directement ou indirectement, des avantages patrimoniaux ». En outre, l’article 324 ter punit toute personne qui, « sciemment et volontairement » fait partie d’une organisation criminelle qui utilise l’intimidation, la menace, la violence, des manœuvres frauduleuses ou la corruption ou recourt à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation des infractions, d’un emprisonnement d’un an à trois ans et d’une amende de cent euros à cinq mille euros ou d’une de ces peines seulement, même si elle n’a pas l’intention de commettre une infraction dans le cadre de cette organisation ni de s’y associer.
S’agissant de faits qui portent atteinte au fonctionnement démocratique des institutions européenne et notamment du Parlement européen, le parquet européen est-il compétent ?
Malheureusement non. Le règlement (UE) adopté le 12 octobre 2017/1939 prévoit que le Parquet européen 2017 est compétent pour enquêter, poursuivre et renvoyer devant les juridictions nationales les auteurs des infractions portant atteinte aux seuls intérêts financiers de l’Union européenne. Or, les faits d’ingérence étrangère commis au moyen de la corruption portent atteinte aux intérêts démocratiques de l’Union et l’Union européenne n’est pas armée pour ce combat ! Le Russian Gate a surgi alors que le Parlement européen est ébranlé depuis décembre 2022 par l’affaire dite du « Qatargate », qui a révélé en réalité l’existence d’une organisation criminelle utilisant la corruption et le blanchiment à des fins d’ingérence dans la politique européenne, non seulement de la part du Qatar mais aussi du Maroc et de la Mauritanie. Or, la proposition de directive de la Commission relative à la lutte contre la corruption (COMC (2023) 234 final) ne prévoit aucune protection spécifique des institutions européennes et des processus de décision de l’UE contre la corruption et laisse aux seules autorités répressives nationales la compétence pour la réprimer. Une extension de la compétence du parquet européen aux atteintes « aux intérêts démocratiques de l’Union européenne », qu’il conviendrait de définir dans le cadre d’une directive pénale, semble donc s’imposer comme le suggèrent les auteurs du Livre blanc de l’Observatoire de l’éthique publique sous la coordination d’Antoine Vauchez, directeur de recherche au CNRS. Certes, il existe des obstacles techniques, mais ils peuvent être surmontés à condition qu’une volonté politique soit clairement partagée par l’ensemble des acteurs institutionnels européens.