Par Jose-Miguel Bello y Villarino, Senior Research Fellow à l’Université de Sydney

Quand cette nouvelle loi s’appliquera-t-elle ?

A priori, cette nouvelle loi pourrait être adoptée au cours du premier trimestre 2025. Toutefois, même si son adoption se concrétise, rien ne garantit qu’elle produira tous les effets escomptés dans la forme proposée. En effet, la proposition du gouvernement prévoit une période de 12 mois avant l’entrée en vigueur de cette interdiction, et il n’est pas exclu qu’un éventuel changement de majorité (les prochaines élections devant se tenir avant octobre 2025) entraîne une révision de certaines dispositions de la loi. Bien que les deux principaux partis – le parti libéral de centre-droit et le parti travailliste de centre-gauche, actuellement au pouvoir – semblent s’accorder sur le principe d’interdire l’accès aux réseaux sociaux aux moins de 16 ans, aucun accord n’a été pris quant à la manière de mettre en œuvre cette interdiction.

Cette proposition pourrait également être une position maximaliste. En d’autres termes, elle pourrait constituer avant tout un message fort adressé aux entreprises propriétaires des réseaux sociaux. Ce phénomène a déjà été observé lors de l’élaboration législative du Code de négociation des médias d’informations (NMBC), adopté sous le précédent gouvernement libéral. Une première proposition de loi visait en effet à obliger les grandes plateformes technologiques opérant en Australie à rémunérer les médias pour les contenus d’information mis à disposition ou liés à leurs plateformes. Finalement, les propositions initiales, qui imposaient des obligations importantes aux grandes plateformes technologiques, ont été édulcorées, pour aboutir à une version finale acceptable pour Google et Meta, les principales cibles de la législation.

Pourquoi le gouvernement australien estime-t-il que 16 ans est une limite d’âge appropriée et quel est le rôle des parents ?

Avec sa proposition d’interdiction des réseaux sociaux pour les moins de 16 ans, le gouvernement australien entend soumettre ces plateformes à un traitement législatif similaire à celui du tabac ou de l’alcool (interdiction avant 18 ans). En d’autres termes, l’accès aux réseaux sociaux est perçu, à cet âge, comme intrinsèquement nuisible et ne pourrait, par conséquent, être qu’interdit. Toutefois, cette approche suscite des divergences parmi les experts australiens.

Aujourd’hui, la plupart des plateformes sociales imposent une limite d’âge minimum de 13 ans, conformément au Children’s Online Privacy Protection Act (COPPA) aux États-Unis, une loi entrée en vigueur en 1998, qui dispose que le consentement des parents est nécessaire pour le traitement des données personnelles des enfants de moins de 13 ans. Cette limite repose davantage sur un consensus entre régulateurs et industriels, tiré de pratiques antérieures dans le monde « hors ligne », que sur des études scientifiques spécifiques.

En Espagne, un projet de loi a été adopté en juin dernier pour la protection des mineurs dans l’environnement numérique. Il propose de modifier la loi organique 3/2018 sur la protection des données et les droits numériques, afin de relever l’âge minimal pour consentir au traitement des données personnelles de 14 à 16 ans pour l’accès à certains services, plateformes et contenus.

En France, la loi du 7 juillet 2023 visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne est venu fixer la majorité numérique à 15 ans pour s’inscrire sur les réseaux sociaux.

Toutefois, l’initiative australienne se distingue par son caractère plus radical. En effet, elle affirme qu’aucune situation, même avec un soutien parental pour une utilisation responsable, ne saurait atténuer les effets potentiellement nuisibles de l’interaction des enfants avec les réseaux sociaux.

C’est dans ce contexte que l’une des propositions les plus controversées du projet de loi devient compréhensible : l’interdiction, pour les parents, de donner leur autorisation pour que leurs enfants utilisent ces plateformes. Si une telle disposition survit à l’examen législatif, la loi australienne se démarquera considérablement d’initiatives semblables, comme celles en France ou au Texas, qui permettent aux parents ou tuteurs d’autoriser leurs enfants à accéder à ces réseaux.

Quelles seront les responsabilités des réseaux sociaux ?

La première question ici sera : quels réseaux sociaux sont concernés ? En principe, la loi reprendra la définition existante des « réseaux sociaux » figurant dans le code de sécurité en ligne des services de médias sociaux. Ce code définit les réseaux sociaux comme des services électroniques qui remplissent certaines conditions énoncées dans des règles législatives spécifiques en fonction de leur objectif ou de ceux dont :

  1. L’objectif unique ou principal du service est de permettre une interaction sociale en ligne entre deux utilisateurs finaux ou plus
  2. Le service permet aux utilisateurs finaux de se lier ou d’interagir avec certains ou tous les autres utilisateurs finaux
  3. Le service permet aux utilisateurs finaux de publier du matériel sur le service

Outre les « suspects habituels » (Instagram, TikTok, Facebook, X), l’interdiction pourrait également s’étendre à YouTube, LinkedIn, WhatsApp ou Snapchat, ce qui semble être l’intention du gouvernement. Il appartiendra donc à ces réseaux de mettre en place leurs propres mécanismes de mise en œuvre, ce qui sera particulièrement difficile si un système officiel de vérification de l’âge n’est pas développé.

D’un point de vue comparatif, l’initiative est particulièrement intéressante car elle offre un modèle alternatif à celui du modèle européen. Alors que le Digital Services Act, en vigueur depuis 2023 et appliqué aux plateformes depuis février 2024, se concentre sur l’atténuation des risques et le contrôle des contenus, l’initiative australienne choisit une voie beaucoup plus simple pour protéger les consommateurs vulnérables, tels que les mineurs : l’interdiction simple et directe.