Par Damien Connil, Chargé de recherche CNRS, Université de Pau (UMR DICE-IE2IA)

Dans quel contexte la démission du Gouvernement est-elle intervenue au Portugal ?

Depuis un an et les élections législatives qui avaient eu lieu le 10 mars 2024, l’Assemblée de la République – Parlement monocaméral – était principalement composée de trois blocs. Une coalition de centre-droit et droite, l’Alliance démocratique, associant le Parti social-démocrate (PSD) et le Centre démocratique et social (CDS-PP), y disposait de 80 des 230 sièges. Le Parti socialiste (PS) comptait, lui, 78 députés, et Chega, le parti d’extrême-droite, avait obtenu 50 élus. Les 22 sièges restants étaient répartis entre les autres formations politiques : Initiative libérale – IL (8), le Bloc de gauche – BE (5), la Coalition démocratique unitaire (4), composée du Parti communiste (PCP) et du Parti écologiste (PEV), Libre (4) et PAN (1).

Ces élections intervenaient déjà dans un contexte de démission du précédent Gouvernement, dirigé par António Costa (Premier ministre du Portugal de 2015 à 2024) et qui s’appuyait, lui, depuis 2022 et les précédentes élections législatives, sur une majorité absolue de 120 parlementaires socialistes. Des soupçons de corruption et d’influence avaient conduit António Costa à présenter la démission de son Gouvernement en novembre 2023, devenue effective en décembre de la même année avant les élections de mars 2024.

À l’issue de celles-ci, et au regard des résultats évoqués, le Président de la République avait alors chargé Luís Montenegro (PSD) de former un Gouvernement minoritaire qui avait pris ses fonctions en avril 2024. Au cours des dernières semaines, une polémique, sur fond de possible conflit d’intérêts du Premier ministre lui-même en lien avec une entreprise familiale, a contraint le Gouvernement à la démission.

Comment en est-on arrivé à une dissolution de l’Assemblée de la République ?

La séquence s’est en réalité déroulée en trois temps.

Premier temps, réagissant à la polémique, l’extrême-droite a déposé une première motion de censure que l’Assemblée de la République a largement repoussée, le 21 février 2025 : 172 votes contre, 49 votes pour et 4 abstentions. Une deuxième motion de censure, cette fois présentée par le PCP, a de nouveau été rejetée, le 5 mars, mais en ne comptant plus que 88 votes contre (de la part des membres du PSD, du CDS-PP et d’IL), 14 votes pour (BE, PCP, Libre et PAN) et 126 abstentions (PS et Chega). 

Le Gouvernement a alors décidé – deuxième temps – de présenter une motion de confiance. Sur le fondement de l’article 193 de la Constitution portugaise, « le Gouvernement peut demander à l’Assemblée de la République d’adopter un vote de confiance en engageant sa responsabilité sur une déclaration de politique générale ou sur toute autre question d’importance présentant un intérêt national ». Par une courte motion, affirmant les objectifs du Gouvernement, la nécessité d’une « clarification politique » et la volonté de « garantir la stabilité » pour mettre en œuvre « un programme de transformation du pays », le Gouvernement a ainsi demandé à l’Assemblée de la République d’approuver la confiance. Si trois groupes (PSD, CDS-PP et IL) ont voté favorablement, toutes les autres formations (PS, Chega, BE, PCP, Libre, PAN) ont refusé cette confiance, dans un vote intervenu le 11 mars dernier.

Cette motion de confiance était la 12e présentée depuis le retour de la démocratie au Portugal et l’entrée en vigueur de la Constitution de 1976. Une seule avait auparavant été rejetée : celle présentée par le Gouvernement de Mário Soares en 1977. Toutes les autres avaient été approuvées et la dernière remontait à plus de dix ans (en 2013).

La conséquence prévue et imposée par la Constitution du rejet de la confiance est la démission du Gouvernement en application de son article 195.

Aussi, le Président de la République a – troisième temps – procédé à la consultation des différents partis politiques représentés à l’Assemblée et, conformément aux articles 133 et 145 de la Constitution, réuni le Conseil d’État, organe politique de consultation de la présidence au Portugal. Présidé par le Chef de l’État et composé du président de l’Assemblée de la République, du Premier ministre, du président du Tribunal constitutionnel, de la Provedora de Justiça, des présidents des gouvernements régionaux, des anciens présidents de la République ainsi que de 5 personnalités désignées par le Président de la République et 5 personnalités élues par l’Assemblée de la République, ce dernier a émis un avis favorable à la dissolution, avis purement consultatif. À noter qu’en 2023, lors de la précédente mise en œuvre de la prérogative présidentielle, le Conseil d’État avait alors rendu un avis défavorable. Ces consultations ont abouti à la dissolution.

Quelle est la suite désormais ?

Dans son discours à la nation annonçant la dissolution du Parlement, le Président de la République a souligné l’importance de la légitimité du Gouvernement et de la période électorale à venir, évoquant les enjeux contemporains et démocratiques et incarnant une nouvelle fois, le « pouvoir modérateur » reconnu au Chef de l’État (v. « Gouverner sans majorité absolue »).

La dissolution de 2025 est la 10e depuis 1976. Le premier Président, António Ramalho Eanes, en avait prononcé 3 (1979, 1983 et 1985) dessinant d’ailleurs équilibres et lectures institutionnels du système de Gouvernement portugais. Marcelo Rebelo de Sousa vient lui aussi de prononcer la troisième dissolution de son mandat, après 2021 et 2023 ; un mandat qui s’achèvera en 2026.

Par décret du Président, la dissolution est effective depuis le 19 mars. Seule la Commission permanente de l’Assemblée de la République se réunira d’ici la convocation des nouveaux élus. Les élections législatives auront lieu, quant à elles, le 18 mai prochain. Une nouvelle dissolution ne sera pas possible dans les 6 mois suivant l’élection de l’assemblée, ni dans les 6 mois précédant la fin du mandat présidentiel (art. 172 de la Constitution). En 4 ans, la durée normale du mandat de l’Assemblée de la République, celle-ci aura alors été renouvelée trois fois.