New Start suspendu : le contrôle des armements en ruines
Par Nicolas Haupais – Professeur de droit public à l’Université d’Orléans
Dans un discours adressé à la nation, Vladimir Poutine a, mardi 21 février 2023, annoncé la suspension de la participation de la Russie au traité « New Start ». Cette décision est un nouveau coup, presque fatal, porté à un contrôle des armements déjà très mal en point.
Qu’est-ce que le traité New Start et que prévoit-il ?
Le traité New Start a été conclu, par la Russie et les Etats-Unis, le 8 avril 2010, et entré en vigueur le 5 février 2011, pour une durée de 10 ans. D. Trump a longtemps laissé planer le doute sur une éventuelle prolongation, prévue par le traité, de 5 ans. J. Biden, devenu président, a, comme son homologue russe, levé l’option, repoussant son échéance à janvier 2026. Le traité était donc, malgré un climat déjà exécrable, encore debout.
La conclusion du traité et son entrée en vigueur ont été perçues comme un résultat presque inespéré. Il n’est pourtant, pas très spectaculaire. Son objet est la réduction des armements stratégiques (Strategic Arms Reduction Treaty). Le traité distingue trois types d’équipements/matériels : les ogives, dispositifs explosifs, les vecteurs, systèmes qui peuvent les amener sur leur cible (par exemple des missiles ou des bombardiers), des lanceurs qui permettent de projeter des vecteurs (silos, véhicules, etc…). Pour les deux premiers, le traité ne prévoit pas de réduction dans la possession mais dans le déploiement. Les matériels qui dépassent les plafonds doivent seulement être stockés, et non détruits ou démantelés. Par exemple la Russie possède environ 6000 ogives mais ne peut en déployer que 1550. Pour les lanceurs, effectivement, les systèmes surnuméraires doivent être rendus impropres à une utilisation permettant la projection de vecteurs équipés de têtes nucléaires. Mais les lanceurs qui restent sont rechargeables et donc réutilisables. Bref, ce traité est plus un instrument de gestion des stocks que de désarmement, même partiel, proprement dit.
Au moment où le traité entre en vigueur, les deux parties sont déjà globalement dans une situation où ils le respectent. La Russie ne déployait que 521 vecteurs sur les 700 autorisés, 1537 ogives sur les 1550 autorisés, et possédait 865 lanceurs à rapporter aux 800 prévus. L’effort le plus important a été réalisé par les Etats-Unis du côté de ses lanceurs, ce qui a conduit à une élimination d’environ 350 d’entre eux.
Cette approche numérique ne rend toutefois pas compte de l’importance réelle d’un tel traité. La réduction du déploiement ou de la possession est garantie, dans un domaine hautement sensible et où la confiance entre les parties n’est pas spontanée, par des mécanismes de vérification, de contrôle, qui se traduisent en particulier par des visites sur des sites déclarés, où doivent être positionnés les systèmes concernés Le traité aboutit à une connaissance réciproque des activités de l’autre, ce qui est une excellente manière de réaliser certains des objectifs énoncés dans le préambule du traité : « forger une nouvelle relation stratégique basée sur la confiance mutuelle, la transparence, la prédictibilité et la coopération ». C’est sur ce terrain, d’ailleurs, que la suspension va être justifiée.
Quels sont les effets de la suspension de la participation de la Russie à ce traité ?
Ils doivent être évalués à deux niveaux, juridique et politico-militaire. Sur le premier, les choses sont simples, d’autant que V. Poutine a été clair. Il évoque une mesure de suspension, à distinguer d’un retrait ou d’une dénonciation. Les trois éléments ont évidemment un élément commun : un Etat qui décide d’une de ces mesures se considérera libéré des obligations contenues dans le traité et n’en exigera pas le respect de la part des autres Etats parties. Il ne l’applique plus et n’en réclame plus le respect. Cependant, une différence de taille distingue la suspension des deux autres mesures. Elle a un effet potentiellement temporaire, lié à l’existence de circonstances particulières qui peuvent disparaître. La Russie n’exclut pas donc la possibilité de revenir, le cas échéant, à l’exécution du traité. Le retrait et la dénonciation auraient des effets bien plus radicaux puisque frappés d’un caractère définitif. La clé de l’avenir du traité réside donc dans la qualité des relations entre Etats-Unis et Russie, de leur amélioration ou de leur détérioration. Un précédent éclaire sur le sort définitif de la suspension à l’égard de cette dernière. La Russie a suspendu en 2007 un traité phare de la fin de la guerre froide, le Traité Forces conventionnelles en Europe, conclu en novembre 1990, et qui limitait la possession de matériel militaire conventionnel dans la zone euro-atlantique. Cette suspension n’a été que le préalable à une sortie définitive, décidée en 2015. Le pessimisme quant au sort du traité START III est donc une position raisonnable.
Sur le plan politico-militaire, les effets sont très importants. Dans la période de la fin de la guerre froide, est mise en place une architecture de sécurité, incluant les Etats de l’OTAN et ceux du moribond Pacte de Varsovie. Une kyrielle de traités est conclue : le traité INF de 1987, sur les missiles sol-sol de portée intermédiaire, qui met fin à la crise des euromissiles, le traité FCE, déjà évoqué, les traités START de 1991 et 1993 dans le domaine nucléaire, le traité Ciel ouvert, conclu en 1992, qui permet des vols d’observation des activités militaires des Etats parties. Ajoutons à cela un vieux traité de la période de détente, dit ABM, conclu en 1972, qui interdit les systèmes d’interception des missiles balistiques et qui était donc destiné à maintenir Union soviétique et Etats-Unis dans le cadre d’une dissuasion par défi, fondée sur la destruction mutuelle assurée. Tous ces traités ont été dénoncés soit par les Etats-Unis, soit par la Russie, parce qu’ils étaient considérés comme inadaptés (par exemple par la Russie pour le traité FCE après l’élargissement de l’OTAN) ou simplement violés par l’autre partie (comme c’est le cas pour les traités INF ou le Traité Ciel ouvert). Le traité START III était finalement devenu le (quasi) dernier vestige des engagements qui s’inscrivaient dans cette logique de modération et de coopération. Le processus de déréliction est donc désormais presque achevé.
Vladimir Poutine, par le biais de cette annonce, relance-t-il la course aux armements ?
Le Président russe a, dans son discours, très spontanément placé la question de la suspension sur le terrain du caractère problématique des vérifications dans le contexte actuel. Dans un climat de tension extrême entre les deux Etats parties au traité, il est inenvisageable que la Russie laisse un accès à des sites stratégiques et particulièrement sensibles sur le plan militaire. Elle ne veut plus de visites sur ses « installations de défense ». La Russie ne se dégage pas, provisoirement ou définitivement, des obligations contenues dans le traité dans le but d’inverser la dynamique qui, sur le long terme, a fait passer le nombre d’ogives de 60 000 à moins, toutes nations confondues, de 13 000 aujourd’hui.
La situation est cependant un peu plus complexe. D’une part, le traité n’est plus en vigueur. La Russie peut donc être tentée de dépasser les plafonds de déploiement qui lui ont été alloués. Quant à la course aux armements, elle a déjà recommencé, moins par une approche quantitative que qualitative. Les Etats améliorent leurs systèmes d’attaques et de défense.
Est-ce à dire que la décision de V. Poutine augmente le risque de conflit nucléaire ? La réponse est nuancée. La suspension porte un coup très sévère au contrôle des armements organisé par traités. Il est désormais un champ de ruines. La rivalité organisée juridiquement, à la fois sur la parité des arsenaux et la confiance, gît sur le champ de bataille. Reprenons les vertus que les parties, en 2010, attribuaient au traité : confiance mutuelle, transparence, prédictibilité et coopération… Désormais, les politiques nucléaires sont fondées sur des principes inverses. La dissuasion n’est plus organisée par le droit. Mais demeure, malgré tout, un élément : elle reste une dissuasion, dont les Etats connaissent les règles et les risques de ne pas les respecter. Crépuscule du droit, certes, mais maintien, on l’espère, d’un certain équilibre fondé sur la force et la capacité mutuelle de destruction.
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