« Loi anti-homosexualité » en Ouganda : un durcissement de la criminalisation des comportements homosexuels
Par Benjamin Moron-Puech – Professeur à l’Université Lumière Lyon 2
Le président ougandais a promulgué, lundi 29 mai, une loi « anti-homosexualité » suscitant de vives réactions au sein de la communauté internationale. Pour Benjamin Moron-Puech, ce texte est « à notre connaissance, le texte de droit positif le plus perfectionné dans le projet d’éradication de l’homosexualité. ».
Que prévoit la loi promulguée par le président ougandais Yoweri Museveni lundi 29 mai, particulièrement décriée à l’international ?
Intitulé « Loi anti-homosexuelle de 2023 », ce texte — assurément incompatible avec les standards de droits humains en vigueur actuellement en Europe et qui a fait déjà l’objet par le William Institute d’une critique serrée au regard des données scientifiques disponibles — a pour objectif de durcir la criminalisation des comportements homosexuels ainsi que de prévenir les rapports homosexuels par la création de nouvelles infractions. Ces nouvelles infractions ne s’appliqueront toutefois que sur le territoire ougandais, faute d’appétence particulière des autorités ougandaises pour une compétence extraterritoriale des juridictions pénales (v. l’art. 4 du code pénal ougandais).
Au titre du durcissement, notons la création par l’article 3 de la loi d’une infraction d’« homosexualité aggravée », prévoyant la peine de mort pour certaines relations homosexuelles. Jusqu’à présent, les « actes contre-nature » en général n’étaient punis par l’article 145 du code pénal ougandais « que » d’une peine d’emprisonnement à vie. L’infraction d’homosexualité aggravée renvoie à dix formes de relations homosexuelles, qu’on peut regrouper selon deux critères. Un critère personnel, soit du côté de la victime, lorsque celle-ci est une personne jugée vulnérable (enfant, personne âgée ou en situation de handicap ou encore inconsciente ou au discernement altéré), soit du côté de la personne autrice de l’infraction, lorsque cette dernière est multirécidiviste, une parente de la « victime » ou une personne ayant autorité sur cette dernière. S’ajoute un critère matériel lorsque l’acte sexuel a conduit à la transmission d’une maladie incurable, a généré chez la « victime » une maladie mentale ou lorsque l’acte a été commis sans le consentement de l’autre partie.
À côté de cette « homosexualité aggravée », la loi introduit dans son article 2 une infraction d’« homosexualité » simple pourrait-on dire. La peine est la même qu’à l’article 145 du code pénal, mais la disposition est plus précise que cet article qui subsiste au demeurant dans l’ordre juridique ougandais. En effet, alors que la notion d’actes contre-nature n’est pas définie par l’article 145, ce qui abandonne sa définition aux juges, la notion d’homosexualité utilisée à l’article 2 est très précisément définie par l’article 1, par toute une chaîne de définitions qui, à notre connaissance, de manière inédite dans les sources juridiques codifiées, couvre expressément le cas des personnes intersexes (hypothèse souvent abandonnée à la jurisprudence, décidant alors soit d’inclure de force les personnes homosexuelles dans un sexe, soit de les sortir du champ de l’incrimination) et transgenres par la définition très précise du sexe qui est donnée et qui renvoi au type d’organe génital et non au genre (une référence implicite au genre existe néanmoins pour les personnes intersexes non mutilées). Notons de plus que pour l’infraction d’homosexualité simple, tout comme d’ailleurs l’infraction d’homosexualité aggravée, une disposition spécifique sur la tentative est prévue, avec une peine moindre que la peine de mort ou l’emprisonnement à vie.
S’ajoutent à ces deux crimes d’homosexualité une infraction d’homosexualité qu’on pourrait appeler « atténuée » et cela lorsque la personne autrice de l’infraction est une personne mineure. On peut en rapprocher l’infraction de non-dénonciation de rapports sexuels entre personnes de « même sexe » (article 14) et son pendant qu’est l’infraction pour fausse dénonciation de rapports homosexuels (art. 15).
À côté de ces différentes infractions durcissant la criminalisation de l’homosexualité, le législateur a créé de nouvelles infractions incriminant des actes de nature à susciter des rapports sexuels entre personnes de « même sexe ». C’est là le volet préventif de la « loi anti-homosexuelle ».
Mentionnons à ce titre l’article 8, sanctionnant des actes d’initiation d’enfants à des pratiques homosexuelles, à l’aide notamment de supports pédagogiques divers ; l’article 9 sanctionnant la mise à disposition de locaux utilisés pour la réalisation d’actes homosexuels ; l’article 10 sanctionnant pénalement la réalisation et la participation à une cérémonie de mariage entre personnes de même sexe ou encore l’article 11 incriminant les actes de promotion de l’homosexualité.
Pour finir, notons que la pérennité de cette loi n’est nullement assurée. En effet, dans une décision du 1er août 2014, la Cour suprême ougandaise a déjà invalidé une loi poursuivant un même objectif : la « Loi anti-homosexuelle de 2014 ». L’invalidation a certes alors été fondée sur des motifs de procédure (le quorum n’avait pas été atteint au moment du vote), mais il n’est pas à exclure que la censure intervienne cette fois pour des raisons substantielles. La Cour Suprême ougandaise est ainsi bien compétente pour apprécier la conformité de lois avec les droits humains constitutionnellement protégés (v. le chapitre IV de la Constitution ougandaise) et — au moins dans les discours — elle dit s’inspirer du droit international et des décisions d’autres cours internationales, telles la Cour européenne des droits de l’homme qui n’accepterait assurément aucune des dispositions de cette loi. La Cour suprême ougandaise a par exemple, dans une décision de 2015, pu déclarer illégale l’obligation de restituer la dot en cas de mariage, sans aller certes jusqu’à supprimer le principe même de la dot comme cela lui fut reproché. Cependant, le mode de nomination des juges — nomination par le président de la République après approbation par le Parlement — et les atteintes récemment signalées par les Nations-Unies à l’indépendance des juges de la Cour suprême peuvent faire craindre qu’une décision rendue sur la loi anti-homosexuelle de 2023 serait moins guidée par la « raison du Droit » que la « raison du Prince ».
S’agit-il du texte le plus discriminant au monde, comme l’a affirmé l’ONU ?
Les ressources intellectuelles des personnes ayant rédigé ce texte doivent être soulignées. On peut à ce titre relever que la première mouture de ce texte, issue du projet de loi déposé par un parlementaire ougandais en 2009, avait été rédigée par des juristes et des religieux provenant des pays occidentaux et en particulier des États-Unis, prenant en quelque sorte le relai de la puissance coloniale britannique ayant importé en Afrique ses normes morales discriminantes à l’égard des minorités sexuelles, sexuées et genrées. Si ce texte ougandais est bien à notre connaissance le texte de droit positif le plus perfectionné dans le projet d’éradication de l’homosexualité, il est cependant dépassé — et de loin — par un projet de loi ghanéen, certes non encore adopté. En effet, le projet de loi promouvant des droits humains sexuels appropriés et les valeurs familiales ghanéennes, loin de se concentrer sur les seules personnes homosexuelles, cible toutes les minorités sexuées, sexuelles et genrées, rassemblées de manière moqueuse sous l’acronyme LGBTTQQIAAP+ et s’efforce d’incriminer et de prévenir toutes les évolutions favorables à ces minorités survenues dans les pays occidentaux, à nouveau avec l’aide de mouvements religieux et de juristes occidentaux.
Que peuvent faire les pays Occidentaux face à cela ?
Face à une telle loi et aux autres qui s’annoncent, la réaction des pays occidentaux peut prendre plusieurs formes. Tout d’abord, sur la scène internationale, ces pays pourraient mobiliser les ressources du droit international pour combattre ces pratiques qu’ils estimeraient attentatoires aux droits humains. Plusieurs comités des Nations-Unies en charge des droits des enfants, des droits des personnes handicapées, de l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, de la lutte contre la torture ou encore des « droits de l’homme » en général pourraient se saisir de cette question pour émettre des recommandations non contraignantes à l’occasion du suivi périodique du respect des droits humains qu’ils assurent en Ouganda ou de plaintes individuelles issues de la société civile. Le « Conseil des droits de l’Homme » des Nations-Unies, voire l’Assemblée générale pourraient également émettre des recommandations du même ordre. Une autre solution serait de procéder comme naguère l’Union européenne avec la Pologne et la Hongrie, à savoir appliquer ou multiplier les clauses conditionnant l’octroi de la subvention à un principe de non-discrimination.
Tous ces mécanismes relevant du droit international risquent néanmoins de nourrir la critique d’un néo-colonialisme, avec des puissances occidentales imposant leurs valeurs favorables aux minorités sexuées, sexuelles et genrées, tout comme hier elles avaient imposé leurs valeurs hostiles à ces minorités. En outre, de telles actions des pays occidentaux risquent de priver des populations d’une aide au développement dont elles ont besoin. Ce d’autant plus lorsque ces sanctions sont prises par des États qui ne respectent eux-mêmes que très partiellement les droits humains de ces minorités sexuées, sexuelles et genrées. Pour ne prendre que l’exemple français, rappelons que les dernières lois d’envergure ayant touché ces mêmes minorités, à savoir la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique et la loi du 31 janvier 2022 interdisant les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne ont, avec parfois la « bénédiction » du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État, discriminé les personnes transgenres et intersexuées dans l’accès à l’aide médicale à la procréation, discriminé les personnes homosexuelles et transgenres dans l’établissement de la filiation et légalisé l’effacement social voir médical de l’intersexuation.
Pour cette raison, il nous semblerait bien préférable d’agir sur la scène ougandaise intérieure et d’aider directement la société civile ougandaise, d’abord en accueillant les personnes en danger de mort et ensuite en la finançant pour lui permettre de s’organiser afin de défendre ses droits, y compris en introduisant des procédures stratégiques, comme ce fut le cas contre la loi de 2014, tant devant la Cour suprême ougandaise que devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.
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