Les États-Unis peuvent-ils interdire aux investisseurs chinois d’acheter des terres agricoles sur leur territoire ?
Mardi 8 juillet, plusieurs membres du gouvernement américain ont annoncé leur volonté d’interdire aux investisseurs chinois l’acquisition de terres agricoles aux États-Unis, invoquant un enjeu de sécurité nationale. La Chine s’en est offusquée, invoquant une pratique « discriminatoire ». Mais aussi bien du côté de la justification de cette mesure que du point de vue des critiques qui sont formulées à son égard, la prudence est de mise.
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Par Arnaud de Nanteuil, Professeur à l’Université Paris Est Créteil
Contexte et objectifs : que vise réellement la mesure américaine annoncée ?
Officiellement, la prohibition de l’acquisition de terres agricoles par des investisseurs chinois est guidée par un impératif de préserver la « sécurité nationale », mais à l’heure où nous écrivons, aucune mesure n’a encore été formellement adoptée.
Il importe, d’abord, de poser le contexte général dans lequel elle s’inscrit pour ne pas exagérer l’enjeu d’une telle mesure. Seules 3,5% des terres agricoles aux États-Unis sont en effet possédées par des étrangers et les investisseurs chinois représentent moins de 1% des étrangers propriétaires de ces terres en vertu des derniers chiffres disponibles. La place des investissements chinois est donc extrêmement limitée en l’état.
Cela étant dit, cette seule circonstance ne doit pas conduire à voir uniquement dans cette annonce une nouvelle lubie du président Trump. Déjà en 2023, le Sénat américain s’était prononcé à une écrasante majorité en faveur du blocage de l’acquisition de terres agricoles par un investisseur chinois en raison de leur proximité avec une base militaire dans le Dakota du Nord. L’administration Biden avait elle-même fait une proposition pour encadrer plus étroitement l’acquisition de terres par des investisseurs étrangers situées dans des zones proches d’infrastructures essentielles à la sécurité nationale. Cette volonté de mieux contrôler l’acquisition de terres agricoles américaines n’est donc pas une nouveauté.
Mais si ces velléités s’inscrivent plus largement dans un contexte de contrôle grandissant des investissements étrangers, leur annonce doit évidemment être également lue à la lumière de l’affrontement commercial entre les États-Unis et la Chine, qui n’a fait que s’accroitre depuis le changement d’administration à Washington. On doit ici rappeler que le président Trump avait spécialement visé la Chine lors de ses premières annonces de surtaxes douanières et que l’escalade avait conduit les États-Unis à annoncer des droits de douane de 145% sur certains produits chinois avant qu’un accord ne soit trouvé entre les deux premières économies mondiales.
Ce qui est nouveau est donc à la fois le fait de viser nommément et exclusivement la Chine et de s’orienter vers une interdiction généralisée. Mais il ne s’agit pas d’une mesure totalement inédite et elle s’inscrit dans un contexte qui laisse penser qu’elle pourrait être effectivement mise en œuvre, même si elle n’est pas sans poser des problèmes d’un point de vue juridique.
Cette mesure serait-elle « discriminatoire » et donc contraire au droit international ?
C’est ce qu’a invoqué la Chine, en réaction immédiate à l’annonce de la mesure par les États-Unis. De prime abord, une telle allégation semble naturelle mais une analyse plus fine est sans doute nécessaire.
Il importe, d’abord, d’identifier quelle règle de droit, et de quelle nature, serait potentiellement affectée par la mesure américaine. Invoquer « la discrimination » ne fait guère de sens en soi : s’agit-il de la discrimination prohibée par le droit international coutumier au titre du standard minimum de traitement des étrangers ? D’une atteinte au principe de non-discrimination présent dans les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce – que les États-Unis foulent aux pieds ostensiblement depuis des années ? D’une discrimination prohibée par un éventuel traité auquel les États-Unis et la Chine seraient parties ? En invoquant « les règles du commerce international » selon les propos rapportés, la Chine semble s’appuyer essentiellement sur la deuxième hypothèse – mais il pourrait tout aussi bien s’agir du principe général suivant lequel un État ne peut opérer de distinction entre les ressortissants étrangers sans une justification objective. Cela pose alors la question de la signification exacte de la « discrimination ».
A cet égard, il faut rappeler qu’en règle générale, la prohibition de la discrimination n’impose pas de traiter tout le monde de la même manière mais de traiter de la même manière les situations identiques. Un État peut donc toujours justifier une différence de traitement par une différence des situations. Cette différence peut certes s’avérer très difficile à identifier objectivement mais, s’agissant de la Chine, le fait que certaines pratiques douteuses aient déjà été identifiées pourrait justifier certaines mesures étatiques plus strictes.
En outre, comme il a été indiqué plus haut, cette mesure américaine, si elle était adoptée, s’inscrirait dans le cadre du contrôle des investissements étrangers aux États-Unis, qui autorise précisément – il a même été pensé pour cela – à adopter des mesures individuelles. Donc, cibler une entreprise en raison de sa nationalité pourrait être licite, même si certains contentieux à l’encontre de mesures de ce type sont actuellement pendants. Toutefois, cibler l’ensemble des investisseurs d’un État sera sans doute beaucoup plus difficile à justifier : une mesure peut être licite à l’encontre d’un investisseur en raison de sa situation particulière mais une interdiction générale et systématique à l’encontre de toutes les entreprises d’un État pose davantage question.
Qu’en est-il des terres déjà acquises par des investisseurs chinois aux États-Unis ?
Il est vrai que cette question est d’une importance fondamentale, puisque la mesure projetée ne viserait que les acquisitions futures. Mais le président Trump semble avoir également dans le viseur les actuels propriétaires, puisqu’il a énoncé son intention de « récupérer » les terres déjà achetées par « la Chine et d’autres adversaires étrangers ». Il faut toutefois rappeler que l’enjeu n’est pas majeur compte tenu de la place très réduite de la Chine parmi les propriétaires étrangers (pour rappel, moins de 1% des terres agricoles possédées par des étrangers, qui représentent elles-mêmes 3,5% des terres agricoles aux États-Unis).
Si toutefois le gouvernement décidait effectivement de « récupérer » ces terres, cela poserait de grandes difficultés car il ne pourrait certainement pas le faire sans condition. En vertu de la Constitution des États-Unis comme du droit international, nul ne peut être privé de sa propriété sinon pour un motif d’intérêt public et contre le versement d’une compensation financière adéquate. Le gouvernement n’aurait donc juridiquement d’autre choix que de procéder à l’expropriation des propriétaires chinois, ce qui suppose un processus long et couteux pour l’État américain. Compte tenu de la proportion limitée que représentent les propriétaires chinois, la question de l’opportunité d’une telle réaction se pose très sérieusement.