Par Didier Blanc, Professeur de droit public chez Université Toulouse 1 Capitole

La guerre en Ukraine : l’affaire des Etats

En premier lieu, tout État membre est libre d’apporter un soutien militaire, financier économique ou autres à l’Ukraine suivant son bon vouloir, à l’exception des aspects touchant à l’action économique extérieure, la politique commerciale commune étant une compétence exclusive de l’Union. Le cadre européen entendu largement recommande aux Etats membres de s’informer mutuellement et le cas échéant de concerter leurs actions, mais ils apprécient souverainement l’opportunité de l’assistance à l’Ukraine et les formes qu’elle peut prendre. C’est ainsi que la Pologne peut unilatéralement annoncer la fin de la livraison d’armes et dans le même temps la Suède renforcer son soutien militaire. Il en va de même au sujet de la perspective de l’envoi de troupes au sol françaises en Ukraine, quelles que soient les réactions qu’elle suscite, cela reste une affaire française.

La paix en Ukraine : une affaire européenne

En deuxième lieu, l’Union européenne possède depuis le traité de Maastricht (1992) une compétence en matière de Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) à laquelle est intégrée depuis celui d’Amsterdam une politique européenne de sécurité et de défense (PESD), devenue depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en décembre 2009 une politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Cette dimension de la PESC est depuis l’origine évoquée comme incluant la définition progressive d’une politique de défense commune susceptible de conduire à une défense commune dès lors que le Conseil européen en aura décidé ainsi à l’unanimité. Sans atteindre un tel objectif, de réunion en réunion, le Conseil européen fixe le cap de la politique de l’Union et de ses États membres. En d’autres termes et plus généralement, la PESC-PSDC est institutionnellement soumise à un fonctionnement intergouvernemental n’accordant qu’une très faible place au Parlement européen.

Ce dernier peut adresser des questions ou formuler des recommandations à l’intention du Conseil et du Haut représentant de l’Union (HR-VP), M. Josep Borrel, lequel régulièrement le consulte, l’informe et « veille à ce que les vues du Parlement européen soient dûment prises en considération ». Ajoutons à cela que pour l’essentiel la PESC/PSDC n’a pas vocation à soutenir la guerre mais à préserver la paix dans le monde. Pour le dire simplement, le Parlement européen n’est en rien habilité « à porter la guerre » en Ukraine, tandis que l’Europe de la défense est née pour répandre la paix et non pour faire la guerre à ses frontières. Pour autant, une inflexion est à l’œuvre, la Facilité européenne pour la paix, créée en 2021 permet l’achat d’armes et de matériel militaire au bénéfice de l’Ukraine. Si cette Facilité européenne pour la paix a été créée hors de toute intervention du Parlement européen, en toute hypothèse, il est en mesure de peser sur le choix la nomination du HR-VP, futur représentant de la diplomatie européenne, à la faveur du droit d’investiture qu’il tient des traités.

Rendre possible les conditions de la paix en Ukraine : une affaire parlementaire

En troisième lieu, le Parlement européen dispose à titre principal de trois prérogatives. Tout d’abord, l’arme financière et budgétaire, qu’il exerce respectivement en vertu d’une procédure au terme de laquelle il détient un pouvoir de veto – dont on le voit mal toutefois user pour refuser d’adapter le cadre financier pluriannuel de l’Union (CFP 2021-2027) à la situation en Ukraine – et en sa qualité d’autorité budgétaire, à égalité avec le Conseil. Dès lors que le financement de la PESC-PSDC relève du budget général de l’Union, il est un acteur incontournable, à cette réserve près qu’il n’a en définitive ni l’initiative de la dépense, ni la maitrise de son montant. Quoi qu’il en soit, en finançant des missions civiles de l’Union telle que la mission européenne pour la réforme du secteur de la sécurité civile en Ukraine (EUAM Ukraine) depuis 2014 ou militaires comme la mission d’assistance militaire de l’Union européenne en soutien à l’Ukraine (EUMAM Ukraine) depuis octobre 2022, il contribue à sa mesure à rendre possible les conditions de la paix entre l’Ukraine qui ne peut pas gagner la guerre et la Russie qui ne peut pas la perdre.

Ensuite, le Parlement européen intervient dans les décisions de l’Union suivant deux grands procédés. S’il est seulement consulté pour une série de décisions adoptées par le Conseil, il partage avec ce dernier un véritable pouvoir législatif concernant la création d’instruments, mobilisés au nom de la solidarité avec l’Ukraine, qu’il s’agisse par exemple du Fonds européen de défense (FED) ou, plus spécifiquement, de la facilité pour l’Ukraine. Par ailleurs, la Commission a présenté le 5 mars dernier la première stratégie industrielle de défense européenne articulée autour de trois objectifs dont l’adoption est intégralement soumise à la procédure législative ordinaire plaçant sur un pied d’égalité le Parlement européen et le Conseil.

Enfin, et depuis toujours le Parlement européen est la tribune de la conscience européenne véhiculant les principes et valeurs à l’origine du projet d’une unité de l’Europe. Aussi résolution après résolution condamne-t-il une avec « la plus grande fermeté la guerre d’agression illégale, non provoquée et injustifiable de la Russie contre l’Ukraine ».

En somme, l’Assemblée parlementaire qui sera issue des élections européennes des 6 au 9 juin prochains, pourra dire beaucoup et agir un peu au sujet de l’Ukraine.