Le réseau X suspendu au Brésil : une décision qui pourrait inspirer d’autres pays
L’accès au réseau social X (anciennement Twitter) est actuellement suspendu au Brésil, à la suite d’une décision du juge Alexandre de Moraes du 30 août 2024, confirmée par un panel de cinq membres du Tribunal suprême fédéral le 2 septembre. Cette suspension est la conséquence du refus du dirigeant de X, Elon Musk, de se conformer à ses obligations juridiques au Brésil. Le réseau social y rassemble environ 22 millions d’utilisateurs.
Par Valère Ndior, Professeur à l’Université de Bretagne occidentale – Membre de l’Institut universitaire de France.
Quelle est l’objet de la décision qui vient d’être confirmée par le Tribunal suprême ?
Le juge Moraes est membre du Tribunal suprême fédéral. Particulièrement investi dans la lutte contre la désinformation, il a été amené à ordonner aux réseaux sociaux plusieurs mesures de suspension de comptes, notamment ceux de personnalités et militants pro-Jair Bolsonaro. Le 30 août 2024 (décision PET-12404), ce juge a ordonné le blocage immédiat des activités de X Brasil Internet LTDA sur le territoire jusqu’à ce que les dirigeants du réseau social se conforment aux décisions de justice prises à leur encontre, s’acquittent des amendes qui leur ont été infligées et procèdent à la désignation d’un représentant légal au Brésil (Elon Musk avait procédé mi-août à la fermeture des bureaux brésiliens de X). La décision somme l’Agence nationale des télécommunications (Anatel) et les fournisseurs d’accès à internet de prendre les mesures nécessaires pour permettre l’application de la décision. En outre, toute démarche d’individus ou d’entreprises visant à contourner techniquement l’interdiction est sanctionnée d’une amende journalière de 50.000 reais (environ 8.000€).
Notons qu’une première version de la décision exigeait des entreprises Google et Apple qu’elles prennent les mesures « technologiques » nécessaires pour rendre X inaccessible dans leurs magasins d’application et systèmes d’exploitation. Une décision rectificative est toutefois revenue sur cette exigence, considérée comme trop contraignante à mettre en œuvre puis à annuler dans l’éventualité où X régulariserait sa situation. La décision révèle également que plusieurs banques ont été sommées de procéder aux gel des actifs associés à X (mais aussi à Starlink) pour recouvrer les sommes dues par l’entreprise.
Le 2 septembre 2024, un collège de cinq juges du tribunal suprême a validé à l’unanimité la décision du juge rapporteur Moraes, considérant notamment qu’Elon Musk ne devait pas bénéficier d’une impunité face aux décisions légitimes des autorités brésiliennes.
Quels sont les faits reprochés à l’entreprise X ?
Selon la décision, X a joué un rôle déterminant dans la diffusion « de données personnelles, de photographies, de menaces et d’appels à la violence » à l’encontre des forces de l’ordre, de personnalités publiques ou de leurs familles. En outre, X n’a ni exécuté, ni donné suite aux ordonnances (dont la plus récente, du 12 août 2024) visant la suspension ou la démonétisation de comptes problématiques. La décision brésilienne s’appuie, à titre d’illustration, sur une déclaration d’Elon Musk (17 août) par laquelle il annonçait refuser de se plier aux ordonnances brésiliennes et procéder à la dissolution de X Brasil. Après la fermeture des bureaux locaux de X, les autorités judiciaires avaient intimé au réseau social (y compris via le compte X officiel du Tribunal suprême) de procéder à la désignation d’un représentant légal dans un délai de 24h, en vain. Cette désignation est pourtant obligatoire pour les entreprises étrangères selon l’interprétation faite par les juges de plusieurs dispositions du Code civil.
La décision assimile les actions et omissions de X, vis-à-vis des juridictions, à une forme d’entrave à l’exercice de la justice. Concernant spécifiquement Elon Musk, en plus de la conduite de campagnes de désinformation contre les autorités judiciaires et de la propagation de discours extrémistes, lui sont reprochés l’inobservation chronique de décisions de justice, le non-paiement de ses amendes et le refus de se soumettre à la réglementation brésilienne, dans le contexte d’élections municipales imminentes.
Est-ce une première au Brésil ou ailleurs ?
X/Twitter a déjà été la cible de restrictions d’accès, permanentes ou ponctuelles, dans plusieurs pays incluant la Chine, l’Inde, la Russie ou le Nigeria. La décision brésilienne est notable en cela qu’elle s’inscrit dans le contexte de tensions croissantes entre Elon Musk et plusieurs gouvernements à travers le monde. Le commissaire européen Thierry Breton lui-même a été insulté par l’entrepreneur, après lui avoir adressé une lettre publique pour l’interpeller sur ses obligations en matière de modération de contenus. Cette nouvelle affaire pourrait inciter les autorités d’autres États à adopter une posture plus frontale à l’égard d’Elon Musk et des dirigeants de multinationales du numérique.
Cette affaire révèle aussi l’arsenal des mesures de rétorsion numériques mobilisé par Elon Musk contre les autorités : en l’occurrence, invoquant une atteinte à la liberté d’expression, celui-ci a entrepris de remettre en cause l’autorité et la probité du juge Alexandre de Moraes sur un compte X créé à cet effet, « Alexandre Files ». Ce compte est dédié à la diffusion d’informations supposément compromettantes sur le juge. En parallèle toutefois, l’entreprise de télécommunications Starlink (également contrôlée par Musk) a annoncé son intention de se conformer à son obligation de bloquer X au Brésil après avoir laissé entendre le contraire. Elon Musk semble protéger certains de ses intérêts commerciaux.