Par Hugo Flavier, Maître de conférences en droit public à l’Université de Bordeaux

Où en est le processus d’adhésion ?

La Commission avait fixé sept étapes à l’Ukraine avant que celle-ci ne puisse prétendre à l’ouverture officielle des négociations. La majorité d’entre elles portaient sur l’État de droit et notamment sur les procédures de nomination des juges ou la lutte contre la corruption. On se souvient, en effet, combien la lutte entre Volodymir Zelenski et Olexandre Toupitski, président de la Cour constitutionnelle et accusé de corruption, avaient fait rage jusqu’à la veille de l’agression russe et conduit le président ukrainien à le limoger, outrepassant ainsi largement ses prérogatives constitutionnelles. Quatre de ces sept étapes ont été franchies avec succès, ce qui est apparu suffisant pour proposer l’ouverture officielle de négociations. 

De façon plus générale, il semblerait que la Commission, dans sa communication, évalue différemment le fonctionnement du pouvoir ukrainien et la société ukrainienne. S’agissant du pouvoir, si elle est consciente des difficultés gigantesques qu’il doit affronter en temps de guerre et de l’inévitable restriction démocratique qui en découle, elle juge que le manque chronique de transparence pourrait tout de même être plus limité. De même, il conviendrait de renforcer le contrôle de l’exécutif par la Verkhovna Rada et poursuivre sur la voie d’une plus grande décentralisation. S’agissant de la société, une société attachée aux valeurs démocratiques, les propos sont bien plus élogieux et la Commission constate que « la société civile reste un élément clé de la démocratie ukrainienne, en maintenant les liens et les tissus sociaux et en contribuant à la résilience de la société dans son ensemble ». 

Quelles sont les suites procédurales à l’adhésion ? 

Les modalités procédurales de l’adhésion à l’Union européenne sont déterminées très sobrement par l’article 49 TUE. Sur la forme, il est simplement indiqué que, après avoir informé le Parlement européen et les parlements nationaux qu’une demande d’adhésion a été déposée, le Conseil, après avoir consulté la Commission et suite à l’approbation du Parlement européen, « se prononce à l’unanimité ». On rappellera que l’adhésion consiste en un accord intergouvernemental conclu entre l’État candidat et l’ensemble des États membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. Les institutions de l’Union ne sont donc pas parties à l’accord et chaque État membre dispose, en pratique, d’un ultime veto.

L’usage a cependant largement complété et densifié le processus d’adhésion. Une fois formellement candidat, s’ouvre une période de préadhésion en vue de préparer l’État concerné aux réformes et tester sa détermination. Suite à cela, l’ouverture formelle des négociations peut débuter et c’est à ce stade que se situe l’Ukraine. Ce sont ainsi plus de 30 chapitres de négociation qui devront être mise en œuvre lui permettant d’intégrer dans son ordre juridique national le fameux « acquis communautaire ». Le processus d’adhésion peut donc être qualifié de vaste opération de transformation de l’État qui engage la société dans son ensemble et dont l’issue n’est jamais certaine. Il est d’ailleurs tout à fait possible de suspendre le processus, comme c’est le cas à l’égard de la Turquie, ou d’assister à des négociations qui tardent (Macédoine du Nord, Serbie). Il est plus sage, dès lors, d’attendre la clôture de l’ensemble des chapitres pour que ces négociations puissent effectivement être considérées comme un succès.

Quels défis reste-t-il encore à surmonter ?

La tâche immense qui incombe à l’Ukraine, malgré l’optimisme ambiant, ne doit pas être négligée. L’incertitude est d’autant plus grande que, outre le contexte de guerre, l’issue du conflit, quelle qu’elle soit, sera elle aussi un traumatisme. Qu’il y ait reconquête ou non de l’intégralité du territoire, de nombreux défis sont à envisager et ils figurent en filigrane dans la communication de la Commission. Il s’agit, en particulier, de la question des minorités nationales et, à travers elle, de la langue et de la culture russes analysées au prisme de la non-discrimination. 

Si l’on en comprend aisément leur rejet pour une partie de la population ukrainienne, la question, sujette aux débats de société, a justement fait l’objet d’un traitement particulier dans la loi sur les minorités nationales. Dans cette loi, la Verkhovna Rada n’a que partiellement pris en compte l’avis de la Commission de Venise. En effet, outre qu’elle qualifie la Russie de « régime totalitaire nazi » (art. 5, § 6, al.2), elle aboutit surtout, selon la Commission de Venise, à ce que la langue russe « ne pourra pas être utilisée dans les événements publics, culturels, artistiques et de divertissement, ainsi que dans la publicité, pendant une période prolongée, même après la fin de la guerre d’agression ». La réunification avec les territoires occupés et russifiés de l’est de l’Ukraine s’annonce, avec cette loi, d’ores et déjà complexe.

Indépendamment de ces enjeux identitaires et citoyens fondamentaux, la situation économique du pays reste difficile et le travail d’alignement normatif comme l’établissement d’une économie fonctionnelle sera encore de longue haleine. Les défis sont colossaux, mais les Ukrainiens ont su montrer combien ils étaient déterminés à mener à bien leur intégration dans l’Union européenne.