La guerre en Ukraine : quel rôle pour l’OTAN ?
Par Amélie Zima – chercheuse au Centre Thucydide (U. Panthéon-Assas) et IRSEM (Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire)
L’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 questionne le rôle de l’OTAN à plus d’un titre. Le conflit se déroule sur le flanc Est de cette organisation, à la frontière de plusieurs de ses Etats membres et le pays envahi, l’Ukraine, est un partenaire de longue date de l’Alliance.
Depuis le début du conflit ukrainien, quelles sont les mesures prises par l’OTAN ?
Depuis le début de l’agression armée de la Russie contre l’Ukraine, les Etats membres de l’OTAN font preuve de cohésion et d’unité dans le choix des mesures adoptées. Ces mesures consistent principalement à maintenir une posture de dissuasion sur le territoire des Etats membres situés sur le flanc oriental. Elles ne sont pas inédites mais s’inscrivent dans le cadre du renforcement du flanc Est de l’OTAN mis en œuvre après l’annexion illégale de la Crimée par la Russie en 2014 et le déclenchement de la guerre dans la région ukrainienne du Donbass.
En effet, lors du sommet de Varsovie en 2016, l’OTAN a mis en place une « présence avancée renforcée (eFP) » dans les pays baltes et en Pologne, ainsi qu’une « présence avancée adaptée (tFP) » sur le flanc Sud-est, en Roumanie. L’eFP compte quatre bataillons multinationaux composés de troupes et d’équipements des pays membres de l’OTAN. Ces bataillons sont répartis sur le territoire de quatre pays du flanc Est de l’Alliance et leur commandement est assuré par des « nations-cadres » (les Etats-Unis en Pologne, l’Allemagne en Lituanie, le Canada en Lettonie et la Grande-Bretagne en Estonie).
Ce faisant, l’Alliance atlantique a recentré son activité sur con cœur de métier : la défense des Etats membres. En effet, dans les années 2000, l’OTAN s’en était écartée pour mener des opérations hors de la zone de l’Atlantique nord (Afghanistan, Force internationale d’assistance et de sécurité « FIAS ») ou des missions de surveillance et de contrôle visant à décourager des actes de terrorisme et à protéger les routes commerciales (Méditerranée, Active Endevaour).
À la suite de l’invasion illégale russe de l’Ukraine en février 2022, le flanc Est a été renforcé. Le nombre d’avions affectés de la police du ciel a été accru et des navires supplémentaires ont été déployés en mer Baltique et en Méditerranée. Des effectifs additionnels ont été envoyés dans les pays du flanc, notamment des troupes canadiennes et espagnoles en Lettonie, françaises et belges en Roumanie.
Par ailleurs, deux mesures nouvelles ont été prises. D’une part, l’OTAN a annoncé la formation de quatre nouveaux bataillons multinationaux en Bulgarie, Hongrie, Roumanie et Slovaquie. D’autre part, la Force de réaction rapide de l’OTAN (NRF), qui compte 40 000 hommes, a été activée pour la première fois depuis sa création. Cela signifie que des unités des armées des pays membres sont rendues disponibles pour renforcer la posture de dissuasion et, le cas échéant, pouvoir intervenir rapidement pour défendre le territoire des États membres. Cependant, l’action de l’OTAN ne conduit pas à une sur-militarisation du flanc Est. Si en février 2022, l’ensemble des forces de l’eFP représente 4957 soldats, le renforcement du dispositif de dissuasion opéré à la mi-mars fait porter les effectifs de troupes alliées à 18 200 soldats pour l’eFP, de 4 200 pour la tFP et un ajout de 2900 soldats en Hongrie et en Slovaquie. A titre de comparaison, les estimations pour l’oblast de Kaliningrad, enclave russe entre pays Baltes et Pologne, sont de 30 000 hommes (15 000 forces terrestres, 10 000 forces navales et 5000 forces aériennes russes).
Quelles sont les trois principales limites de l’action de l’OTAN ?
D’abord l’OTAN est une alliance territoriale défensive dont la clause de sécurité (article 5) qui prévoit le principe de défense collective, s’applique seulement aux Etats parties qui s’engagent à se protéger mutuellement. Ce principe de défense collective implique qu’une attaque contre un membre de l’Alliance est considérée comme une attaque dirigée contre tous les membres.
Or l’Ukraine n’est pas membre, mais seulement un pays partenaire de l’OTAN, avec qui la coopération a débuté dès la chute de l’URSS.
Certes, l’Ukraine a rejoint les structures de partenariat créées par l’Alliance (Conseil de coopération nord-atlantique crée en 1991 comme un forum de dialogue avec les 11 anciennes républiques soviétiques et Partenariat pour la Paix, crée en 1994 pour conclure des accords bilatéraux visant à approfondir la coopération militaire avec l’OTAN à travers des formations et la participation à des exercices et des opérations multinationales). La relation s’est approfondie avec la création la Commission OTAN-Ukraine en 1997 qui est, depuis, le cadre institutionnel régissant les relations entre les deux parties.
Cependant, de fait, l’Ukraine, comme tous les autres partenaires de l’OTAN, n’est pas couverte pas la garantie de l’article 5. L’OTAN n’est en aucun cas juridiquement tenue de la défendre à la suite d’une agression armée.
Par ailleurs, l’OTAN n’a pas répondu à la demande du gouvernement ukrainien de mettre en place dès les premiers jours du conflit une zone d’exclusion aérienne (no fly zone) qui interdirait l’entrée dans l’espace aérien ukrainien aux avions ou hélicoptères russes. Cette mesure peut être mise en œuvre en temps de guerre, notamment pour empêcher les bombardements sur des objectifs civils. Mais pour être légale, elle doit s’appuyer sur une décision des Nations Unies ou ne concerner que le territoire des États membres, en tant que mesure défensive. L’OTAN a déjà mené ce type d’actions sous mandat ONU : entre 1993 et 1995 au-dessus du territoire de la Bosnie (Opération Deny Flight) et en 2011 en Lybie.
Dans le cas ukrainien, il n’existe pas de mandat onusien. De fait, si l’Alliance mettait en place une zone d’exclusion aérienne, cela serait considéré comme un acte de guerre et ferait donc de l’Alliance un cobelligérant. Invoquant les risques d’escalade et d’extension de la guerre à l’Europe entière, les Alliés ont à ce jour refusé de mettre en place cette zone d’exclusion.
Enfin, l’OTAN pourrait participer à la mise en place d’une mission de maintien de la paix visant à instaurer des conditions de sûreté et de sécurité, à prévenir toute reprise des hostilités et à promouvoir un climat propice à la mise en place d’un processus de paix. Néanmoins la mise en œuvre légale de ce type d’opérations est tributaire d’une décision de l’ONU. Cela avait notamment été le cas lorsque l’Alliance avait participé aux missions IFOR (1995-1996) et SFOR (1996-2004) en Bosnie-Herzégovine. Dans le cas de l’Ukraine, en l’absence de mandat ONU, cette option n’est pas envisageable sur le plan juridique (Charte des Nations unies) et politique (veto russe au Conseil de sécurité des Nations unies).
En dehors du cadre de l’OTAN , quelles sont les possibilités des Etats membres pour aider l’Ukraine ?
Si l’action de l’Alliance connaît des limites dans le cadre de ce conflit, les Etats membres de l’OTAN disposent d’autres leviers d’action nationaux, bilatéraux et dans le cadre d’autres organisations internationales.
Sur le plan militaire, des déploiements de troupes et de matériels sont opérés sur une base bilatérale. Près de 100 000 soldats américains sont actuellement stationnés en Europe dont l’arrivée récente de troupes de la 82ème division aéroportée qui stationnent dans le sud-est de la Pologne, à moins de 100 km de la frontière ukrainienne. Ce dernier déploiement avait été initialement décidé pour faire face au renforcement militaire russe à la frontière ukrainienne et à la tenue d’exercices militaires conjoints entre le Bélarus et la Russie fin 2021.
Par ailleurs, les Etats membres de l’OTAN peuvent aider l’Ukraine sur une base bilatérale. Avant même le début de la guerre, de nombreux pays de l’Alliance avaient envoyé du matériel défensif. Depuis le début du conflit, les annonces d’envoi et les livraisons se multiplient de la part de nombreux pays membres. Il s’agit de munitions, de missiles, d’équipements de protection ou de déminage mais aussi de l’aide humanitaire. Dans le cas des Etats-Unis, une enveloppe de 13,6 milliards de dollars d’aide a été approuvée par le Congrès tandis que l’UE a décidé d’une aide de 500 millions d’euros pour l’achat d’armes défensives (voir Articles sur notre Blog de A. Potteau, E. Castellarin, A. Hamonic).
Ces livraisons ne font pas des Etats fournisseurs des cobelligérants. En effet, selon le droit des conflits armés, une règle s’applique : un Etat ne devient partie d’un conflit qu’à partir du moment où il recourt à l’usage de la force contre un autre Etat. De son côté, le secrétaire général de l’OTAN a inscrit ces livraisons d’armes dans l’article 51 de la Charte des Nations Unies qui garantit le droit à la légitime défense d’un pays attaqué, comme l’Ukraine l’est.
Enfin, l’aide peut être apportée en accueillant les réfugiés ukrainiens et en leur octroyant des facilités administratives pour reprendre leurs études, ouvrir un compte en banque ou trouver un emploi. C’est le cas notamment en Pologne où depuis le début du conflit se sont réfugiés deux millions d’Ukrainiens.
Ce dernier exemple montre que face à la multiplicité des problèmes et des enjeux soulevés par ce conflit, l’OTAN en tant qu’alliance militaire défensive ne peut apporter seule une solution. C’est par un travail commun entre Etats et organisations internationales que les drames qui se déroulent actuellement en Ukraine pourront prendre fin.
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