Par Emmanuel Derieux, Professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas

Couvrant des conflits armés ou l’actualité dans des territoires et des circonstances où leur liberté d’action et leur sécurité ne sont pas assurées, craignant alors pour leur vie ou au moins pour leur intégrité physique et/ou psychique, risquant d’être détenus par des autorités étrangères ou pris en otage par des groupes terroristes… les journalistes (il s’agit souvent de femmes !) cherchent, en toutes ces situations et missions périlleuses, à obtenir la protection du droit. Ce n’est pourtant pas le contexte dans lequel le droit a le plus de prise et qu’il est, au-delà de l’énoncé de quelques principes, susceptible d’être vraiment efficace. 

De quels principes de droit international les journalistes peuvent-ils se prévaloir en pareilles circonstances ?

En droit international, diverses conventions, résolutions et recommandations, de force et de portée incertaines, peuvent servir au moins de principe de protection des journalistes en missions périlleuses.

En son article 81, la Convention de Genève « relative au traitement des prisonniers de guerre », du 12 août 1949, énonce que « les individus qui suivent les forces armées sans en faire directement partie, tels que les correspondants de guerre […] qui tomberont au pouvoir de l’ennemi et que celui-ci jugera utile de détenir, auront droit à un traitement de prisonnier de guerre, à condition qu’ils soient munis d’une légitimation de l’autorité militaire des forces armées qu’ils accompagnent ».

L’article 79 du Protocole I à ladite Convention de Genève, de 1977, dispose que « les journalistes qui accomplissent des missions professionnelles périlleuses dans des zones de conflit armé seront considérés comme des personnes civiles ». A ce titre, ils bénéficieront de la protection accordée aux civils, notamment contre les dits « crimes de guerre ». Il est précisé que les journalistes « seront protégés en tant que tels […] à la condition de n’entreprendre aucune action qui porte atteinte à leur statut de personnes civiles ». Mention y est faite d’une « carte d’identité », attestant de leur « qualité de journalistes ».

Adoptée, le 23 décembre 2006, par le Conseil de sécurité des Nations unies, la Résolution 1738 (2006), sur la « protection des civils en période de conflit armé », condamne « les attaques délibérément perpétrées contre des journalistes, des professionnels des médias et le personnel associé visés ès qualité en période de conflit armé ». Elle rappelle que ceux-ci doivent « être considérés comme des personnes civiles et […] être respectés et protégés en tant que tels, à la condition qu’ils n’entreprennent aucune action qui porte atteinte à leur statut de personnes civiles, et sans préjudice du droit des correspondants de guerre accrédités auprès des forces armées de bénéficier du statut de prisonnier de guerre ». 

Datée du 3 mai 1996, la Recommandation du Comité des ministres du Conseil de l’Europe sur la « protection des journalistes en situation de conflits » énonce que les journalistes « doivent être respectés » en pareilles circonstances ; qu’ils voient alors « souvent leur vie et leur intégrité physique mises en danger ». Les Etats sont invités à mettre en œuvre les moyens de « la protection des journalistes », notamment par des mesures de formation et d’informations pratiques et un régime d’assurance adéquate.

La Résolution (1438), du 28 avril 2005, de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, sur « la liberté de la presse et la situation de travail des journalistes dans les zones de conflits », souligne que les journalistes font alors « souvent face à des conditions de travail difficiles et dangereuses, et sont même parfois systématiquement pris pour cibles par des groupes terroristes ». Elle insiste sur le fait qu’un « grand retentissement donné aux enlèvements de journalistes et l’acceptation des demandes des ravisseurs, tel que le versement de sommes importantes, augmentent considérablement les risques auxquels sont soumis les reporters ». Elle invite les rédactions à « n’envoyer dans ces régions que des journalistes expérimentés et bien préparés » ; à « leur fournir le matériel de sécurité […] dont ils ont besoin » ; à « les faire bénéficier d’une assurance couvrant les cas de maladie, de blessure, de rapatriement, d’invalidité et de décès ».

De quels éléments de droit français les journalistes peuvent-ils se prévaloir en pareilles circonstances ?

Pris dans de telles situations périlleuses, les journalistes et/ou leurs ayants droit peuvent, conformément à ce qu’énoncent certains des textes de droit international, espérer, en droit français, bénéficier de l’assistance tant des autorités nationales, que des médias pour lesquels ils travaillent. Il est de la responsabilité des Etats d’assurer la protection de leurs nationaux et de leurs apporter toute l’assistance dont ils peuvent avoir besoin.

Les conséquences des préjudices subis à l’occasion de l’exécution de pareilles missions périlleuses peuvent être prises en charge par la collectivité. Ainsi, un journaliste français ayant été tué lors d’un reportage concernant un conflit armé à l’étranger, son père et sa sœur saisirent la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions pénales (CIVI) d’une demande d’indemnisation de leur préjudice moral. A l’issue d’un très long parcours judiciaire, la Cour d’appel de renvoi a infirmé la décision initiale de ladite Commission qui avait rejeté leur requête. Elle a posé qu’il résulte de l’art. 706-3 du Code de procédure pénale que « toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d’une infraction peut, sous certaines conditions, obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne ». Alors que le Fonds de garantie faisait valoir que, lorsque le journaliste et son caméraman étaient « arrivés sur les lieux, des explosions avaient été entendues […] qu’ils ont fait le choix de s’approcher du lieu de ces explosions », et que « la victime ne portait pas les insignes de sa profession, de sorte que l’on ne peut affirmer qu’elle a été visée en sa qualité de journaliste », ladite Cour a estimé que « ce moyen est inopérant puisque » l’intéressé « bénéficiait de la protection accordée aux populations civiles, de sorte qu’il importe peu de rechercher s’il était ou non identifié et visé comme journaliste ». Le Fonds de garantie suggérant encore que « la victime aurait pris le risque de se placer entre les belligérants et serait ainsi victime collatérale d’un acte de guerre », la Cour a retenu que le journaliste est « décédé du fait qu’il se trouvait, non pas dans un lieu d’échange de tirs entre belligérants, mais […] au milieu des populations civiles délibérément visées par un bombardement qualifiable de crime de guerre ». En conséquence, des indemnités ont été allouées aux requérants (Lyon, 6e ch., 18 févr. 2021, n° 19/07648).

Il pourrait être pensé que la prise en charge d’une telle indemnisation devrait incomber d’abord à l’assurance souscrite par le média pour lequel les journalistes « salariés », « permanents » ou « mensualisés », effectuent une telle mission périlleuse, ou par eux-mêmes s’ils sont dits « indépendants » ou « pigistes ».

De manière générale, et au-delà de ce seul aspect d’un droit à indemnité, l’article L. 4121-1 du Code du travail dispose que « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».

De quels autres moyens de protection les journalistes peuvent-ils bénéficier en pareilles circonstances ?

Bien que les situations, notamment de conflits armés, entraînant l’accomplissement, par les journalistes, de missions périlleuses, ne soient évidemment pas celles qui donnent, le plus, application de règles de droit susceptibles d’assurer leur protection, elles n’y échappent cependant pas totalement, tant, s’agissant, en droit international, de l’énoncé, à cet égard, de principes fondamentaux, que de leur concrétisation et mise en œuvre, sans doute plus sûres, en droit national. 

« Embarqués » auprès des forces armées, au risque d’être privés d’une partie de leur liberté d’information afin d’assurer la sécurité des militaires et le succès des opérations menées, les journalises en attendent aussi la protection. 

Tel que suggéré par les textes internationaux, le port d’un signe distinctif (« presse ») ne risque-t-il pas parfois, loin de protéger les journalistes, de désigner la cible à laquelle s’attaqueront certains belligérants peu désireux d’être sous la surveillance de ces témoins susceptibles de rendre compte de leurs exactions ?

Au-delà des moyens juridiques, un équipement adapté, des mesures de bon sens et une attitude personnelle de prudence, dont certains des textes font d’ailleurs mention, doivent, de manière complémentaire et peut-être plus efficace, contribuer à la protection des journalistes en mission périlleuse.