Par Margaux Bouaziz, maîtresse de conférences à l’Université de Bourgogne (CREDESPO)

Le président des États-Unis Joe Biden est obligé de dépenser les crédits que le Congrès a affectés à la construction d’une clôture entre le Mexique et les États-Unis en 2019. Il ne peut donc pas entièrement renoncer à l’érection d’une clôture. Cela illustre les contraintes que le Congrès peut faire peser sur le Président des États-Unis. Cependant, cette construction ponctuelle de clôture ne correspond pas à la construction d’un mur de béton le long de la frontière qu’avait envisagée Trump. En outre, si Joe Biden est opposé à la solution simpliste et naïve qui voudrait que la construction d’un mur règle le problème de l’immigration irrégulière, il mène néanmoins une politique de contrôle aux frontières visant à empêcher un tel mouvement de population.

Pourquoi et comment Donald Trump avait-il envisagé la construction d’un mur frontalier entre les États-Unis et le Mexique ?

« Il faut que nous construisions un mur » était devenu un des slogans de campagne de Donald Trump qui présentait cela comme la solution à l’immigration irrégulière provenant du Mexique. Il avait, dès son entrée en fonction, décrété (par un executive order) le 25 janvier 2017que la politique de l’exécutif était de sécuriser la frontière sud des États-Unis par la construction immédiate d’un mur. Au cours de la campagne, il avait prétendu que la construction du mur serait payée par le Mexique. Cependant, cette solution n’ayant naturellement pas été acceptée par ce voisin, il revenait à Donald Trump, devenu président, de trouver les modalités de financement de ce projet.

Le président ne dispose pas des ressources fédérales comme il l’entend. Il doit présenter un plan budgétaire au Congrès qui doit l’approuver. Le budget est annualisé d’octobre à septembre de l’année suivante. Les deux chambres du Congrès le Sénat et la Chambre des Représentants doivent le voter en termes identiques et le président doit ensuite signer cette loi (s’il n’exerce pas son droit de veto). Le vote du budget est donc un moment clé du fonctionnement du régime politique des États-Unis puisqu’il requiert l’accord et la coordination de trois organes politiques distincts (le Président, le Sénat et la Chambre des Représentants), qui ne sont pas toujours du même bord politique. En l’absence d’accord avant le début de la nouvelle année budgétaire, le gouvernement fédéral traverse une crise appelée shutdown au cours de laquelle la plupart des activités de gouvernement fédéral cessent de fonctionner.

Pour financer le mur annoncé au cours de la campagne électorale, Donald Trump avait donc besoin que cette décision relative aux dépenses publiques soit approuvée par les deux chambres du Congrès. Il avait alors demandé, en 2018, 5,7 milliards (le coût total étant estimé à 21 milliards) de dollars pour financer cette construction. Le Congrès avait refusé d’accorder un tel financement, ce qui avait alors mené à un shutdown de 35 jours (du 22 décembre 2018 au 19 janvier 2019), le plus long de l’histoire des États-Unis. Un budget temporaire avait alors été adopté pour trois semaines dans l’attente de l’aboutissement des négociations. Le 14 février 2019, le budget avait finalement été adopté en prévoyant un financement partiel d’un renforcement de la frontière terrestre pour un montant total de 2,3 milliards de dollars. Tout en refusant de construire un mur en béton, le Congrès autorisait notamment le financement de clôtures et de digues pédestres avec des poteaux en acier dans la vallée du Rio Grande pour un montant de 1,3 milliard. Il ne faisait donc pas pleinement droit aux demandes de Donald Trump.

Le président des États-Unis n’avait pas pour autant abandonné son projet de mur. Le 15 février 2019, dès le lendemain de l’adoption de la loi budgétaire par le Congrès, il avait alors utilisé ses pouvoirs militaires d’urgence pour en ordonner la construction et mobiliser à cette fin des crédits réservés à la construction d’ouvrages militaires urgents. La légalité d’une telle utilisation de ces crédits avait alors fait l’objet d’une contestation en justice et la Cour suprême devait se prononcer sur ce point. Il n’était pas certain que le président puisse ainsi déclarer un état d’urgence liée à la situation à la frontière avec le Mexique afin de s’affranchir des règles budgétaires, l’urgence de la situation ne lui étant apparue qu’après que le Congrès avait refusé de lui accorder les crédits nécessaires à la réalisation de son projet.

Qu’est-ce qui a changé avec l’arrivée au pouvoir de Joe Biden ?

Avec la défaite de Donald Trump aux élections présidentielles de 2020, le projet de construction du mur a été abandonné par Joe Biden.

Le jour de son entrée en fonction, le 20 janvier 2021, il avait mis fin à l’état d’urgence qui avait été déclaré par Donald Trump et la question de la légalité de cet état d’urgence était alors devenue sans objet. Du fait de ce changement de circonstances, la Cour suprême avait donc, à la demande de l’administration Biden, renoncé à se prononcer sur l’utilisation des crédits militaires d’urgence dans le but d’ériger ce mur frontalier.

La construction du mur a donc été suspendue et elle ne peut plus être financée par des crédits miliaires d’urgence. Elle ne fait en outre plus partie de la politique de l’exécutif fédéral.

Joe Biden est-il obligé de poursuivre la construction du mur alors même que cela ne correspond pas à sa politique ?

Joe Biden a pu mettre fin à l’état d’urgence et cesser de dépenser les ressources du budget allouées à cette fin. En revanche, il ne peut pas décider de revenir sur les décisions budgétaires du Congrès. Or, au moment du shutodwn de 2018-2019, si Donald Trump n’avait pas obtenu le financement intégral du mur, le Congrès avait tout de même affecté 2,3 milliards de dollars à la sécurité à la frontière dont 1,3 milliard spécifiquement dédié au financement d’une clôture. Joe Biden n’est donc pas obligé de construire le mur en béton imaginé par Donald Trump, fait de barbelés et peint en noir pour brûler ceux qui tenteraient de l’escalader.

Cependant, tout comme Donald Trump ne pouvait forcer le Congrès à lui accorder des crédits pour financer la construction du mur ; Joe Biden ne peut modifier l’affectation des crédits alloués à la construction de la clôture. Il n’est pas non plus parvenu à obtenir du Congrès qu’il renonce à l’affectation de ces crédits. Le ministre de l’Intérieur, Alejandro Mayorkas, indique ainsi que la politique de l’administration Biden n’a pas changé – « un mur frontalier n’est pas la solution », mais que celle-là est « obligée d’appliquer la loi » et de dépenser les crédits tels qu’ils ont été affectés. Le 5 octobre 2023, le ministre de l’Intérieur a donc décidé de dépenser ces crédits, alloués en 2019, pour renforcer la frontière en construisant des barrières et des routes dans le secteur du Rio Grande. L’administration Biden justifie cette décision en expliquant qu’elle a fait face à la tentative d’entrée illégale de 245 000 personnes entre octobre 2022 et août 2023. Pour Alejandro Mayorkas, cette construction s’inscrit dans le cadre d’une politique plus large de sécurité frontalière reposant sur des technologies modernes de surveillance et sur la modernisation des points d’entrée.