Come-back de David Cameron au Gouvernement : un impensé constitutionnel ?
Le retour inattendu de David Cameron au gouvernement en tant que ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni constitue un fait rarissime. Ce come-back politique de l’ancien Premier ministre britannique soulève des problématiques constitutionnelles.
Par Aurélien Antoine, Professeur des Universités, Titulaire de la Chaire Droit public et politique comparés, Directeur de l’Observatoire du Brexit, Université Jean-Monnet Saint-Étienne
Le come-back de David Cameron comme ministre des Affaires étrangères est-il inédit pour un ancien Premier ministre ?
David Cameron a été Premier ministre de 2010 à 2016 après 13 années de gouvernement travailliste. Son passage au 10 Downing Street a été marqué par la coalition qu’il a formée avec les libéraux-démocrates entre 2010 et 2015, partage du pouvoir entre deux partis qui n’était jamais advenu depuis 1945. L’autre événement le plus important de son mandat, lui aussi inédit, fut sa démission à la suite d’un référendum national, celui de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne du 23 juin 2016.
Bien que peu commune, l’arrivée de l’ancien leader conservateur n’est, en revanche, pas sans précédent. En 1970, Alec Douglas-Home passe par le Foreign Office après avoir conduit le gouvernement en 1963-1964. C’est le seul exemple en tout point similaire au cas de David Cameron depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Avant 1945, il faut remonter à 1859 avec John Russel, qui redevint même Premier ministre en 1865. Au-delà du portefeuille de la diplomatie, le retour d’un ancien Premier ministre comme simple membre du gouvernement est plus fréquent. Neville Chamberlain, l’un des acteurs des accords de Munich de 1938, et James Ramsay Macdonald, premier chef de gouvernement travailliste, furent maintenus au gouvernement, respectivement en 1940 et 1935, en tant que Lord Presidents of the Council. Stanley Baldwin, le Premier ministre qui contribua à l’abdication d’Édouard VIII, fut Premier ministre à trois reprises, mais avant de revenir à la direction du Cabinet pour la dernière fois en 1937, il fut aussi nommé Lord President of the Council en 1931. Quant à Arthur Balfour, le célèbre auteur de la déclaration éponyme, il fut ministre à plusieurs reprises entre 1916 et 1929, bien après avoir pris en charge la fonction ministérielle suprême de 1902 à 1905.
En quoi la nomination de David Cameron a-t-elle posé une difficulté constitutionnelle ?
Une convention de la Constitution britannique veut que tout membre du gouvernement appartienne au Parlement. Rien dans les textes de nature constitutionnelle ne prescrit une telle règle, mais nous savons que la Constitution britannique a pour source principale des normes de nature politique qui englobent des coutumes, pratiques, ou maximes qui, bien que ne pouvant être sanctionnées par un juge (v. R (Miller) v Secretary of State for Exiting the European Union [2017] UKSC 5, § 136 et s.), forment un ensemble de principes de morale constitutionnelle et politique (v. A. V. Dicey, Introduction to the Law of the Constitution, Palgrave Macmillan, 10th ed., 1959, 3e partie) qui s’imposent aux personnalités assumant des fonctions institutionnelles, au risque de voir leur responsabilité politique engagée.
L’exigence d’être parlementaire pour faire partie du gouvernement est un levier essentiel du parlementarisme britannique et du respect du principe d’accountability (R (Miller) v The Prime Minister et Cherry v Advocate General for Scotland [2019] UKSC 41), c’est-à-dire de l’obligation de rendre des comptes devant les deux chambres afin qu’elles puissent exercer convenablement le contrôle de l’action du gouvernement. Ce lien ontologique entre le Parlement et le cabinet a conduit Walter Bagehot à affirmer que « la secrète efficience de la Constitution anglaise peut être décrite comme l’union étroite, voire la fusion presque complète, des pouvoirs exécutif et législatif » (The English Constitution, OUP, 1867, rep. 2009, p. 11).
C’est la raison pour laquelle la situation de David Cameron posait un problème avant que soit envisagée sa nomination. Ayant abandonné son siège de député (Member of Parliament, MP) en septembre 2016 à la suite de la débâcle du Brexit, et n’ayant jamais été fait Lord à la demande de l’un de ses successeurs au 10 Downing Street, il ne faisait pas partie du Parlement. Par conséquent, quelques heures avant qu’il ne rejoigne le Foreign Office en vertu du Life Peerage Act de 1958, le roi Charles III l’a fait Lord par lettre patente sur recommandation de Rishi Sunak après que la House of Lords Appointments Commission créée en 2000 a examiné la demande. Ce type d’anoblissement exprès est qualifié de direct ministerial appointment.
L’obstacle de la non-appartenance à l’une des deux assemblées étant levé, le fait qu’un Lord créé selon la procédure du direct ministerial appointment occupe l’une des places les plus éminentes au sein du Cabinet (les Secretaries of State) a aussi emporté des critiques (qui ne se retrouvent pas pour des postes moins importants). Si une telle configuration n’est pas un cas d’école (il suffit d’évoquer Nick Morgan, Lord secrétaire d’État dans un court laps de temps en 2019-2020, Lord Mandelson de 2008 à 2010 ou Lord Adonis de 2009 à 2010) et s’impose même pour le ministre en charge des Relations avec la Chambre des Lords (Leader of the House of Lords), elle est exceptionnelle pour un ministre des Affaires étrangères. Le dernier à avoir été placé dans cette situation est Lord Carrington entre 1979 et 1982. La rareté de ce contexte tient au poids du principe démocratique qui veut que les principaux ministres qui conduisent la politique de la nation soient directement contrôlés par l’émanation la plus démocratique du Parlement, c’est-à-dire la Chambre des Communes. Plusieurs voix, dont celle du Speaker de la Chambre des Communes, Lindsay Hoyle, se sont ainsi élevées pour critiquer le fait que la personnalité chargée de la diplomatie dans la conjoncture actuelle ne puisse pas être directement confrontée aux questions des MPs.
Quel contrôle le Parlement peut-il opposer à un Lord ?
Selon Lindsay Hoyle, le gouvernement devrait prévoir une procédure spécifique pour rendre le Foreign Secretary directement comptable de sa politique devant la Chambre des Communes. Le Cabinet lui a opposé une fin de non-recevoir motivée, à laquelle nous souscrivons. Le cas de David Cameron, bien qu’exceptionnel, n’est pas inédit. Lindsay Hoyle le sait fort bien puisqu’il était député à l’époque des nominations de Lord Adonis et de Lord Mandelson. C’est d’ailleurs en 2009 que la Haute Assemblée a adopté des règles temporaires devenues définitives en 2011 afin d’accentuer le contrôle sur les Lords secrétaires d’État, notamment par la confrontation régulière aux questions écrites et orales des membres de la Chambre. Les commissions ont aussi tout loisir de convoquer n’importe quel Lord pour qu’il vienne s’expliquer sur un sujet donné.
La Chambre des Communes n’est pas non plus sans pouvoir. Dans la mesure où le Foreign Office comprend plusieurs membres du gouvernement au sens large (sept en tout), il est de coutume de désigner parmi eux les MPs (Andrew Mitchell et Anne-Marie Trevelyan principalement) qui répondront aux questions orales des députés et du ministre des Affaires étrangères du cabinet fantôme de l’Opposition travailliste. En outre, David Cameron a accepté de devoir être convoqué par une commission des Communes si la demande est pertinente. Dans les faits, c’est évidemment le cas et il est peu probable qu’un Lord ministre ne fasse pas droit à une requête émanant d’une commission des Communes.
Il est toujours envisageable qu’une réforme des procédures parlementaires soit mise en œuvre pour rendre les Lords secrétaires d’État plus directement responsables devant la chambre basse. L’option avait été évoquée en 2009, mais n’a pas été suivie d’effet. Quoi qu’il en soit, Lindsay Hoyle sera des plus vigilants pour garantir les droits des Communes dans leur fonction de contrôle des membres du gouvernement, en particulier ceux qui ont obtenu une place à vie au sein de la chambre haute.