Nouveaux outils pour traquer la fraude fiscale en ligne : en quoi consistent-ils ?
À l’occasion du projet de loi de finances pour 2024, le Gouvernement propose de réviser le mécanisme expérimental de collecte et d’exploitation, au moyen de traitements informatisés et automatisés, des contenus publiés par les contribuables sur Internet.
Par Edouard Coulon, Maître de conférences à l’Université de Lille
De quoi s’agit-il ?
L’article 19, IV, du projet de loi de finances pour 2024 contient une proposition de prorogation et de révision de l’expérimentation de collecte des données issues de plateformes en ligne. L’expérimentation avait été instituée par l’article 154 de la loi de finances no 2019-1479 du 28 décembre 2019 pour 2020, qui a été précisée par un décret no 2021-148 du 11 février 2021. Instaurée pour une durée de trois ans, elle a débuté le 11 février 2021 et devait se terminer le 13 février 2024.
Œuvrant pour une amplification de la transparence en droit fiscal, ce dispositif s’inscrit également, avec d’autres textes, au sein du mouvement de numérisation du contrôle fiscal menée par le ministère des Comptes publics. Ce dernier souhaite maintenir un objectif de 50 % des contrôles fiscaux initiés à l’aide du datamining, c’est-à-dire une analyse de volumes massifs de données.
Pour dépasser la simple navigation « passive » en fenêtre privée que peuvent effectuer les agents des finances publiques et ainsi améliorer la lutte contre la fraude fiscale, le législateur a introduit un nouveau mode de collecte de données provenant de sites internet, nommé « Webscrapping ». Par ce moyen, l’administration fiscale collecte et exploite, de manière automatisée, un grand nombre de données librement accessibles sur certains sites internet gérés par des plateformes en lignes, définies à l’article 111-7, I, 2° du Code de la consommation. Ces plateformes de réseaux sociaux ou de vente en ligne sont devenues incontournables dans la vie économique, jouant même le rôle d’espaces de transactions.
À l’issue de « campagnes de collecte », ces informations nourrissent le travail du bureau de la programmation des contrôles et de l’analyse des données de l’administration fiscale, qui a notamment la capacité d’analyser, par le datamining et les algorithmes, les données non structurées comme les textes ou les images.
Quel bilan tirer de cette expérimentation ?
Cette proposition vise à améliorer les résultats de cette expérimentation qui paraissent en demi-teinte. Selon les échos d’un rapport transmis au Parlement par l’administration fiscale, l’expérimentation aurait certes montré des bilans d’étape encourageants, permettant un meilleur ciblage de la fraude fiscale. Cependant, les montants rectifiés demeurent faibles, même s’il est encore trop tôt pour en définir la somme exacte. Aussi, pour renforcer l’efficacité de ce dispositif, ce rapport préconiserait une révision des règles encadrant cette expérimentation, en plus de sa prorogation. Le projet de loi de finances prend acte de ces recommandations.
En quoi consistent les modifications proposées ?
D’une part, à l’aide de ce projet de loi, l’Administration devrait être autorisée de collecter également les informations rendues publiques par leurs auteurs sur les sites des plateformes où il est nécessaire de s’inscrire et de s’identifier via un mot de passe. Lors de l’examen de la première version de ce dispositif, le Conseil constitutionnel avait refusé l’accès à ces données. L’article 2 du décret du 11 février 2021 avait repris cette limite. Or, cette restriction a obligé l’administration fiscale à se concentrer seulement sur la détection des activités économiques occultes opérant sur les plateformes d’économie collaborative. Avec cette potentielle modification du champ de l’expérimentation, le fisc pourrait envisager de collecter des informations sur les réseaux sociaux les plus usités et ainsi obtenir des informations sur le mode de vie des contribuables. Ces dernières seraient alors utiles pour questionner la domiciliation fiscale des contribuables.
D’autre part, le projet propose également de modifier le champ de l’expérimentation en ce qui concerne les types de comportements recherchés. En effet, l’Administration ne peut traquer que certains types d’agissements frauduleux, car, en complément de l’avis de la CNIL, le législateur avait voulu limiter ce mécanisme aux cas où son usage se justifie le plus. Outre les activités occultes et la domiciliation fiscale déjà citées, le fisc ne peut rechercher que des irrégularités en matière douanière concernant notamment le commerce illicite de tabac ou d’alcool ou la contrebande. Aussi, le projet de loi propose d’assouplir cet encadrement et d’autoriser l’administration fiscale à employer cette méthode en cas de minoration délibérée ou de dissimulation de recettes, c’est-à-dire les cas les plus élémentaires de fraude fiscale.
Par conséquent, ces deux révisions étendraient grandement le champ d’application de ce mécanisme. Ce constat rend d’autant plus indispensables les garanties qui avaient été formulées lors de l’instauration de cette expérimentation ou au sein de son décret d’application ainsi que l’implication de la CNIL dans l’exécution de ce mécanisme. Mais avant cela, il instille des doutes quant à l’issue d’une saisine du Conseil constitutionnel sur cette nouvelle mouture.