Encadrement des loyers dans les grandes villes : le propriétaire qui ne s’y conforme pas est-il condamnable ?
Le rapport de la Fondation Abbé Pierre publié le 05 octobre 2023 fait état d’une amélioration significative de l’encadrement des loyers dans la capitale. Que risquent les propriétaires qui ne s’y conforment pas ?
Par Nicolas Damas, Professeur à l’Université de Lorraine, Institut François Gény, EA 7301
La loi ALUR du 24 mars 2014, puis la loi ELAN du 23 novembre 2018 (art. 140), ont permis à certaines communes situées en zone tendue de se porter candidates à la mise en œuvre d’un encadrement des loyers. Le Gouvernement peut accéder à cette demande en publiant un décret, mis en application ensuite par un arrêté annuel du Préfet, déterminant précisément les loyers de référence que le bailleur doit respecter. Le respect de cette législation étant jugé peu satisfaisant, les sanctions se renforcent à l’encontre des propriétaires récalcitrants.
Quelles sont les grandes lignes du mécanisme d’encadrement des loyers ?
Les communes (ou regroupements de communes) avaient jusqu’au 23 novembre 2022 constituer un dossier de candidature à l’encadrement des loyers. A ce jour l’encadrement s’applique à Paris, LilleHellemmes et Lomme, Lyon et Villeurbanne, Bordeaux, Montpellier, aux établissements publics territoriaux Est Ensemble (Bagnolet, Bobigny, Bondy, Le Pré-Saint-Gervais, Les Lilas, Montreuil, Noisy-Le-Sec, Pantin, Romainville) et Plaine Commune (Aubervilliers, Épinay-sur-Seine, Pierrefitte-sur-Seine, Saint-Denis, Villetaneuse, Stains, L’Île-Saint-Denis, la Courneuve et Saint-Ouen) et à la communauté d’agglomération du Pays Basque (Ahetze, Anglet, Arbonne, Arcangues, Ascain, Bassussarry, Bayonne, Biarritz, Bidart, Biriatou, Boucau, Ciboure, Guéthary, Hendaye, Jatxou, Lahonce, Larressore, Mouguerre, Saint-Jean-de-Luz, Saint-Pierre-d’Irube, Urcuit, Urrugne, Ustaritz, Villefranque : Décret n° 2023-981 du 23 octobre 2023). Le territoire concerné est divisé en quartiers relevant de zones tarifaires différentes. Un arrêté préfectoral annuel détermine, zone par zone, un loyer mensuel de référence par m2, variant selon la date et la nature de la construction (maison ou appartement), le nombre de pièces, la nature meublée ou vide de la location.
Ce loyer de référence permet également de déterminer un loyer de référence minoré (de 30%) et un loyer de référence majoré (de 20%). Ce loyer de référence majoré est censé permettre à un propriétaire d’individualiser quelque peu le loyer demandé. Par exemple, si deux appartements identiques sont situés dans le même immeuble, il paraît logique que le loyer demandé pour le logement situé à un étage élevé et sur jardin soit plus important que celui applicable au logement situé au rez-de-chaussée sur rue. Mais c’est la loi du marché qui s’applique et rien n’empêche de stipuler un loyer équivalent au loyer de référence majoré, quelle que soit la qualité et la situation du logement (sous réserve bien sûr qu’il soit décent).
Le loyer de référence majoré est-il dès lors indépassable ?
Le principe est en effet que le loyer de référence majoré ne peut être dépassé. Toutefois, ce principe connaît une exception : il est possible de stipuler un complément de loyer. A l’origine, le législateur entendait réserver cette faculté aux logements présentant des caractéristiques exceptionnelles. On pouvait ainsi imaginer appliquer un tel complément de loyer à des logements disposant d’une terrasse particulièrement agréable, avec une vue dégagée sur un monument emblématique de la ville, ou à des logements situés dans des bâtisses historiques remarquables.
Le Conseil constitutionnel avait supprimé l’adjectif exceptionnel, considérant que l’atteinte au droit de propriété serait excessive, mais depuis, les textes législatifs et réglementaires n’ont eu de cesse de poser des conditions, parfois drastiques, souvent assez ambiguës, à la possibilité de stipuler un tel complément de loyer. Tant et si bien qu’il est relativement téméraire, lorsque l’on est bailleur, d’affirmer que le complément de loyer éventuellement prévu au bail ne sera pas remis en cause en justice.
Quelles sont précisément les sanctions et les risques encourus par un bailleur qui ne respecterait pas l’encadrement des loyers ?
Il faut distinguer deux catégories de sanctions : les sanctions civiles et les sanctions pénales.
Les sanctions civiles sont assez classiques : si le loyer appliqué au bail excède le loyer de référence majoré, le locataire peut demander la restitution du trop versé. Il peut formuler cette demande à tout moment, mais un délai de prescription de trois années s’applique. Le complément de loyer obéit à un régime plus complexe : le locataire dispose d’un délai très court pour le contester puisqu’il doit agir dans les trois mois de la signature du bail. Par ailleurs, le juge aura à apprécier non seulement si le principe d’un complément est justifié par les caractéristiques de confort et de localisation du logement, mais également si la valorisation retenue par le bailleur n’est pas excessive.
Les sanctions pénales sont apparues dans la loi ELAN du 23 novembre 2018 : lorsque le préfet constate qu’un loyer ne respecte pas le loyer de référence majoré, il met en demeure le bailleur de s’y conformer et à défaut, peut prononcer une amende d’un montant maximal de 5000 € pour une personne physique et de 15 000 € pour une personne morale. Le préfet peut déléguer cette attribution aux collectivités territoriales depuis la loi 3DS du 21 février 2022 (c’est chose faite pour la Ville de Paris depuis le 1er janvier 2023). Il est à noter que ces dispositions pénales ne peuvent sanctionner un complément de loyer injustifié ou excessif.
Un bailleur respectant le loyer de référence majoré, sans complément de loyer, peut-il être serein ?
Une telle vérification est évidemment nécessaire à sa sérénité. Mais ce n’est pas suffisant… D’une part, dans les zones tendues, il faut également respecter la règle selon laquelle le loyer applicable à un nouveau locataire ne peut excéder le loyer appliqué au précédent locataire. D’autre part, il faut aussi s’assurer que les modalités de détermination du loyer de référence ont été correctement appliquées : une superficie mentionnée au bail, qui excéderait la superficie réelle, conduira ainsi à une révision à la baisse du loyer autorisé puisque le loyer de référence est un loyer par m2. De même, si le logement est loué comme étant meublé, mais que l’ameublement est ultérieurement considéré comme insuffisant au regard de la loi du 6 juillet 1989, le loyer de référence applicable sera celui des logements nus, souvent inférieur à celui d’un logement meublé.