Par Nicolas Moizard, Professeur à l’Université de Strasbourg, Institut du travail, UMR DRES 7354

Le droit français est-il outillé pour éliminer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes ?

Les dispositifs sont nombreux et se superposent. L’égalité de rémunération entre les sexes « pour un même travail ou un travail de valeur égale » est une obligation clairement posée en droit français dans le Code du travail. De récentes décisions de Cours d’appel mobilisent aussi la discrimination en raison du sexe et condamnent les entreprises à des montants substantiels. C’est le cas d’une décision de la Cour d’appel de Paris du 10 mai 2023 qui a condamné le Crédit Foncier à verser 100 000 euros de réparation à une ancienne salariée qui avait stagné 18 ans au même niveau de classification, à la différence de ses collègues masculins ayant les mêmes compétences. Plusieurs dispositifs se superposent pour atteindre l’égalité.

Il existe deux obligations de négocier au niveau de la branche d’activité, l’une sur l’égalité professionnelle et l’autre sur les classifications. Au niveau de l’entreprise, on doit avoir un accord collectif relatif à l’égalité professionnelle et la qualité de vie et des conditions de travail ou à défaut, un plan unilatéral de l’employeur. Les élus du Comité économique et social disposent aussi d’une batterie d’indicateurs sur la situation comparée des hommes et des femmes dans l’entreprise contenus dans la base de données économiques et sociales et environnementales. A tout cela est venu s’ajouter l’Index de l’égalité professionnelle, particulièrement promu par le gouvernement.

Pourquoi ne parvient-on pas à l’égalité malgré tous ces dispositifs ?

Les procédures sont insuffisamment articulées entre elles. Ce devrait être le cas de la négociation de branche où deux processus de négociation sont engagés sur le même objet sans être liés. La négociation d’entreprise a l’intérêt de placer la question de l’égalité professionnelle dans un approche transversale, l’inégalité des rémunérations et les retards de carrière résultant de causes multifactorielles. Il faut notamment s’intéresser au temps partiel et à l’articulation des temps. Toutefois, cette négociation est souvent le parent pauvre des négociations obligatoires. Les négociateurs syndicaux partent souvent sans diagnostic. Le risque est de ne pas bien identifier les domaines et actions prioritaires propres à l’entreprise. Il n’y a pas d’accord collectif parfait duplicable à toutes les entreprises.

Les procédures de suivi sont peu effectives et l’Etat est silencieux sur le nombre sanctions administratives. L’Index de l’égalité professionnelle veut aussi s’attaquer aux écarts de rémunération. Il est malheureusement perçu comme une nouvelle contrainte déclarative. Beaucoup d’entreprises ont utilisé leurs nomenclatures internes pour neutraliser les écarts. L’outil est souvent imprécis. Il ne dit rien sur le montant des augmentations individuelles ou sur le type de promotion. Les entreprises qui sont arrivées à obtenir une note satisfaisante estiment souvent qu’il n’y a plus d’inégalités salariales majeures. Cela peut avoir un rôle contre-productif lorsque des négociations collectives sont engagées sur le sujet.

Comment progresser ?

Le gouvernement annonce une réforme de l’Index, notamment pour se mettre en conformité avec la récente directive sur la transparence salariale. Cette directive est innovante. Elle va obliger les entreprises à être davantage transparentes à l’égard des salariés dès le recrutement sur les montants des rémunérations et sur les écarts de rémunération. C’est important. Les femmes sont défavorisées dès l’embauche avec des salaires plus faibles que ceux des hommes. Un lien peut être établi avec la notion très utilisée de sens du travail.

Il faut davantage de méthodologie sur le principe « à travail de valeur égale, salaire égal ». S’il est essentiel de s’intéresser à la place des femmes dans les postes à responsabilité, il faut aussi revaloriser les métiers et les fonctions occupées très majoritairement par des femmes. Que l’on reconnaisse enfin les compétences dans ces métiers pour que l’on puisse plus facilement les comparer aux métiers à prédominance masculine !

Enfin, il faut encore et toujours former contre les stéréotypes dont sont victimes les femmes et continuer à s’attaquer aux violences sexuelles et sexistes qui, outre les graves atteintes à la santé, nuisent à l’évolution des carrières des femmes.