Par Philippe Coleman, professeur de droit à l’Université Bretagne-Sud (Lab-LEX)

Est-il prévu que Bpifrance détienne une action spécifique ou golden share dans la filiale de Sanofi ? 

Une action spécifique ou golden share est une action détenue par l’État, assortie de pouvoirs particuliers permettant de protéger les actifs stratégiques de la société et de contrôler l’évolution de son actionnariat. Dans ce dossier, l’utilisation du mécanisme de l’action spécifique n’était pas envisageable en l’état du droit. Même lorsque les intérêts essentiels du pays le justifient, une action spécifique ne peut être créée que dans les entreprises dans lesquelles l’État ou Bpifrance et ses filiales avaient des participations au 1er janvier 2018. Ce qui n’était pas le cas d’Opella. Cette limite temporelle posée par la loi Pacte poursuivait un objectif de sécurité juridique pour les investisseurs.

La participation de Bpifrance, dépourvue de tout caractère exorbitant, devrait être associée à un siège avec voix délibérative au conseil d’administration d’Opella. À l’évidence, une participation aussi limitée de Bpifrance ne lui permettra pas de peser sur les décisions de l’entreprise. La banque publique sera toutefois en mesure de veiller, dans les instances sociales, au respect de l’accord tripartite. 

Quelle peut-être l’issue de la procédure de contrôle des investissements étrangers ?

L’opération d’investissement de CD&R doit encore faire l’objet d’une demande d’autorisation au titre du mécanisme de contrôle des investissements étrangers (IEF) en France (IEF). Toute acquisition par un investisseur étranger du contrôle d’une entreprise exerçant une activité stratégique est soumise à un régime d’autorisation préalable du ministre chargé de l’économie. Celui-ci peut refuser l’opération, l’autoriser ou assortir son autorisation de conditions afin de protéger les intérêts nationaux. 

À moins que des difficultés nouvelles apparaissent lors de l’examen de l’opération d’investissement par les services du Trésor, il paraît politiquement difficile pour le ministre de l’Économie de se dédire et de bloquer l’opération d’investissement. D’autant que les garanties prévues par l’accord tripartite ont un objet proche du contrôle IEF. Selon le ministre, l’accord assure la cohérence de la prise de participation du fonds américain avec la « stratégie de souveraineté sanitaire et industrielle du pays ».

En fonction des stipulations exactes de la convention tripartite, son articulation avec le dispositif IEF peut s’avérer malaisée. En effet, en vertu d’un principe ancien du droit administratif, le ministre ne peut renoncer à l’exercice de ses prérogatives en liant son pouvoir de décision par les termes d’une convention.

Si l’opération d’investissement de CD&R devait obtenir l’aval de Bercy, l’autorisation pourrait être assortie de conditions reprenant en substance les garanties obtenues par l’État dans l’accord tripartite. Les importants pouvoirs dont dispose le ministre pourraient renforcer utilement le caractère dissuasif des pénalités financières prévues par l’accord tripartite en cas de non-respect des garanties. Lorsque les conditions de l’autorisation d’investissement ne sont pas respectées, le ministre peut prendre des injonctions assorties d’astreinte, retirer l’autorisation ou infliger des sanctions vigoureuses de plusieurs milliards d’euros (correspondant au double du montant de l’investissement ou à 10% du chiffre d’affaires d’Opella).  

Aurait-il été possible d’obtenir des garanties identiques dans le cadre de la procédure de contrôle des investissements étrangers ?

Oui. Les conditions que le ministre de l’Économie peut imposer dans le cadre du contrôle des investissements étrangers nous paraissent définies de façon suffisamment large par le Code monétaire et financier pour intégrer la plupart des garanties que comprend l’accord tripartite.

Ce constat suscite alors des interrogations quant à l’opportunité de la participation de Bpifrance estimée à un montant de 100 à 150 millions d’euros, d’autant plus dans un contexte budgétaire très contraint. En comptabilité nationale, la dette de Bpifrance est intégrée à la dette publique française au sens de Maastricht. Ces montants sont autant de moyens qui ne pourront pas être employés ailleurs pour soutenir des activités innovantes.

Cette prise de participation pourrait cependant être justifiée si elle reposait sur une véritable stratégie de Bpifrance de montée au capital d’Opella, dans la perspective de nouvelles cessions des participations de Sanofi à l’avenir.

Le dossier Opella souligne que le contrôle IEF n’est pas qu’un dispositif défensif contre les investissements étrangers. Ce régime doit s’inscrire dans le cadre plus large de la politique industrielle menée par l’État, en l’occurrence, la politique de relocalisation des médicaments jugés essentiels depuis la fin de la pandémie. Le dispositif IEF, les prises de participations publiques et les investissements de France Relance en faveur de la relocalisation sur le territoire français de la production de principes actifs (notamment de paracétamol) sont autant de leviers permettant de protéger les intérêts fondamentaux du pays en matière sanitaire et économique.