Par Julien Martin, Professeur de droit public à l’Université de Bordeaux

Le projet de loi de finances pour 2024 a été adopté le 18 décembre 2023 après engagement de responsabilité du gouvernement. Il laisse subsister, apparemment involontairement, un amendement sénatorial, porté par le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky et voté contre la volonté du gouvernement, réduisant les avantages fiscaux attachés à la location de meublés de tourisme. Le même jour, le Conseil des prélèvements obligatoires a rendu public son rapport sur la réforme de la fiscalité du logement proposant la suppression de la différence de traitement fiscal entre les locations meublées et celles nues, alors qu’une proposition de loi « visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue » est à l’examen depuis le 6 décembre.

Quelles étaient les intentions du gouvernement sur la location de meublés de tourisme dans le projet de loi de finances ?

La fiscalité de la location de meublés de tourisme était jusqu’à présent plus intéressante que celle de la location nue. Selon l’article 50-0 du code général des impôts (CGI), en vigueur encore quelques jours, les entreprises dont le chiffre d’affaires relatif à la location des locaux classés meublés de tourisme ou de chambres d’hôtes n’excède pas, l’année civile précédente ou la pénultième année, 188 700 euros, bénéficient du régime des micro-entreprises et d’un abattement de 71 % pour déterminer le résultat imposable.

Les meublés de tourisme sont des villas, appartements ou studios meublés, à l’usage exclusif du locataire, offerts à la location à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile et qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois (article L. 324-1-1 du Code du tourisme). Pour les autres biens meublés, et notamment les locaux non classés, le régime des micro-entreprises est réservé aux entreprises dont le chiffre d’affaires est limité à 77 700 €, et l’abattement n’est alors que de 50 %. À titre de comparaison, l’abattement est de 30 % dans la limite de 15 000 euros de revenus fonciers pour les locations non meublées ; à défaut, il faut déduire les frais réels (article 32 du CGI).

Le projet de loi de finances pour 2024 prévoyait ainsi, dans sa version adoptée le 9 novembre 2023 par l’Assemblée nationale après mise en œuvre de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, une première modification, introduite par voie d’amendement gouvernemental.

L’abattement de 71% ne devait plus être réservé qu’à la location des seules chambres d’hôtes ; les locaux classés meublés de tourisme ne devaient plus permettre de bénéficier que d’un abattement de 50% pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est limité à 77 700 €. Ces dernières peuvent toutefois y ajouter un abattement supplémentaire de 21 % – afin de revenir à cette même proportion d’abattement de 71% – lorsqu’ils ne sont pas situés dans des zones géographiques se caractérisant par un déséquilibre important entre l’offre et la demande de logements, sous réserve que le chiffre d’affaires hors taxes afférent à l’ensemble des activités de location de locaux meublés n’excède pas 50 000 € au cours de l’année civile précédente.

Le dispositif reprenait ainsi la proposition faite par l’Inspection générale des finances, le Conseil général de l’environnement et du développement durable et l’Inspection générale de l’administration de supprimer l’abattement supplémentaire sur l’assiette de l’impôt pour les meublés de tourisme (Lutte contre l’attrition des résidences principales dans les zones touristiques en Corse et sur le territoire continental, juin 2022, p. 43, proposition n° 5). Ce dernier recommandait également d’aligner le régime fiscal de la location meublée sur le régime fiscal de la location nue.

Comment le gouvernement a-t-il pu laisser subsister un amendement parlementaire plus sévère et auquel il était opposé ?

Consécutivement, et en première lecture, le Sénat avait adopté, le 12 décembre, un amendement parlementaire proposant de réduire l’attrait du régime de la microentreprise en l’alignant sur celui des revenus fonciers. Pour les entreprises ayant une activité de location directe ou indirecte de meublés de tourisme au sens de l’article L. 324-1-1 du code du tourisme, l’abattement ne serait plus que de 30%, et uniquement lorsque le chiffre d’affaires généré par cette activité ne dépasserait pas 15 000 €. Au-delà, il ne serait possible de déduire que les frais réels, comme pour les revenus fonciers.

Toutefois, les entreprises pourraient profiter d’un abattement supplémentaire de 21 % pour le chiffre d’affaires afférent à leur activité de location de locaux classés meublés de tourisme, dans les mêmes zones que celles prévues par l’amendement gouvernemental précité, sous réserve que le chiffre d’affaires hors taxes afférent à l’ensemble des activités de location de locaux meublés n’excède pas au cours de l’année civile précédente 15 000 €. Si une telle disposition prive les locaux classés en meublés de tourisme non seulement de l’abattement supplémentaire sur l’assiette de l’impôt mais également des abattements offerts par le régime de la microentreprise, elle maintient malgré tout l’abattement de 50% pour les entreprises mettant en location des meublés non classés dont le chiffre d’affaires est limité à 77 700 €.

Malgré l’avis défavorable de Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des Comptes publics, cet amendement a été adopté (article 5 duodecies issu des amendements identiques nos I-257 rectifié, I-374 rectifié, I-527 et I-2050 rectifié). Bien que conforté dans cette opposition par le rapporteur du projet de loi devant l’Assemblée nationale en seconde lecture (J.-R. Cazeneuve, Rapport sur le projet de loi de finances pour 2024 modifié par le sénat (n° 1985), Volume 1, Commentaires d’articles, 14 décembre 2023, p. 146), le gouvernement a, pourtant, conservé l’article concerné dans sa rédaction issue de l’amendement sénatorial, ce qu’il a la possibilité de faire, lorsqu’il a engagé sa responsabilité pour faire adopter le projet de loi de finances pour 2024 par l’Assemblée nationale le 18 décembre dernier. La presse s’est ainsi fait l’écho d’une « erreur », qui serait corrigée dans un prochain texte législatif.

De nouvelles évolutions sont-elles à prévoir, et, le cas échéant, seront-elles en faveur ou en défaveur de la location de meublés de tourisme ?

Le même jour, le Conseil des prélèvements obligatoires a rendu public son rapport intitulé : « Pour une fiscalité du logement plus cohérente ». Sa dixième et dernière recommandation consiste, elle aussi, à rapprocher et unifier à terme les régimes fiscaux de la location meublée, sans distinction, et de la location nue, dont la distinction est qualifiée de « particularité française en Europe (…) largement datée » (p. 100). Il propose, dans un premier temps, de mettre fin aux conditions favorables pour les meublés de tourisme classés et chambres d’hôtes en supprimant l’abattement majoré et en ramenant le seuil au droit commun, puis, dans un second temps, après avoir mené une étude d’impact, de prévoir une unification des différents systèmes autour de deux régimes : d’une part, le régime micro-foncier dans lequel le seuil maximal pourrait être conservé à 15 000 € avec un abattement à 30 %, et d’autre part, le régime réel, permettant l’imputation des charges selon le régime de droit commun.

En outre, la Première ministre, Elisabeth Borne, a confié, par deux décrets du 15 novembre dernier, une mission temporaire ayant pour objet la fiscalité locative à deux députées, Marina Ferrari et Annaïg Le Meur, qui devraient rendre leurs conclusions au début de l’année 2024. Le ministre délégué chargé des Comptes publics l’avait d’ailleurs mis en avant pour justifier son opposition à cet amendement sénatorial lors des débats au Sénat, Les conclusions de ce rapport éclaireront ainsi l’achèvement des débats sur la proposition de loi (n° 1176) « visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue », déposée à l’Assemblée nationale le 28 avril dernier par des membres des groupes Renaissance, Socialistes, Horizons et apparentés à chacun des trois, et dont quatre des six articles ont été examinés en séance publique à l’Assemblée nationale le 6 décembre dernier.