L’influenceur et le droit : un cadre légal éclaté qui leur impose des responsabilités variées
Par Marie Malaurie-Vignal – Professeur à l’Université de Paris Saclay (Versailles-Saint-Quentin en Yvelines)
La question d’un statut légal encadrant les obligations des influenceurs est devenue d’actualité, notamment depuis le conflit entre le rappeur Booba et Magali Berdah, directrice de l’agence d’influenceurs Shauna Events, le premier reprochant à l’agence de promouvoir des arnaques (marchandise non reçue, produits non conformes…), et en retour l’agence l’accusant de cyberharcèlement. Bruno Le Maire a déclaré récemment faire du sujet « une priorité absolue » et vouloir « regarder comment définir des règles plus claires, plus strictes » tandis qu’a été déposée le 15 novembre 2022 au bureau de l’Assemblée nationale une Proposition de loi nº 456, portée notamment par le député écologiste Aurélien Taché, « visant à encadrer les pratiques commerciales et publicitaires liées au marché de l’influence sur internet ».
Existe-t-il aujourd’hui une définition juridique claire de l’influenceur et de son activité auprès des marques qu’il représente ?
Les influenceurs sont des acteurs incontournables de la communication dans tous les domaines et paradoxalement, il n’existe pas une réglementation spécifique à l’exception du secteur de la santé ou des enfants influenceurs. La seule définition a été donnée par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) dans une communication de 2017 sur la communication publicitaire digitale. Elle définit l’influenceur comme « un individu exprimant un point de vue ou donnant des conseils, dans un domaine spécifique et selon un style ou un traitement qui lui sont propres et que son audience identifie ». Il s’exprime sur les réseaux sociaux sous forme de « posts » comportant des messages, blogs, vidéos ou photographies ce qu’a confirmé la Cour d’appel de 2021 définissant l’influenceur comme « une personne active sur les réseaux sociaux, qui par son statut, sa position ou son exposition médiatique est capable d’être un relais d’opinion influençant les habitudes de consommation dans un but marketing ».
Le lien entre l’influenceur et la marque peut prendre plusieurs formes. L’influenceur peut d’abord agir dans un cadre purement éditorial en intervenant de façon spontanée pour partager avec sa communauté de « followers » ses envies, ses coups de cœur et recommandations.
Il peut également agir en collaboration avec une marque. Le partenariat entre une marque et un influenceur peut prendre des formes diverses allant de la création de contenu à la simple participation à des séances photos ou des tournages avec la déclamation d’un texte préalablement écrit par l’annonceur, en passant par la participation au contenu créé par la marque. Lorsque l’influenceur est créateur et réalisateur de contenu, il agit en qualité de prestataire de services indépendant (contrat d’entreprise). Dans cette hypothèse, la marque confie à l’influenceur la mission de réaliser et de produire un contenu pour vanter les produits ou services de la marque. La marque peut préférer demander à l’influenceur de participer à des séances photo ou à des tournages de films ou vidéos publicitaires afin de promouvoir ses produits et services. Dans cette hypothèse, c’est la marque et/ou son agence de communication qui conçoit et réalise le contenu, organise la prise de vues et/ou le tournage et réalise/produit le contenu. L’influenceur a alors le statut de mannequin (le code du travail présumant que ce contrat est un contrat de travail).
Enfin, certains influenceurs peuvent aussi se mettre en scène et à ce titre peuvent revendiquer le statut d’artiste-interprète défini par l’article L. 212-1 du code de la propriété intellectuelle et revendiquer ainsi également une relation de travail.
On constate donc qu’il n’y a pas un type de partenariat mais une diversité de partenariats possibles, qui prévoient une liberté plus ou moins large pour l’influenceur à l’égard des marques. Ces partenariats devront, en outre, être complétés par des contrats de cession de droits à l’image et le cas échéant de cession de droits d’auteur au profit de la marque.
Dans ce contexte, quelle responsabilité encourt l’influenceur (à l’égard des marques qui le paient, des consommateurs …) ?
La responsabilité de l’influenceur pourrait d’abord être engagée, comme celle de tout internaute, sur le fondement de l’abus de la liberté d’expression. En effet, tout internaute, qu’il ait ou non un partenariat avec une marque, qui s’exprime sur les réseaux sociaux est protégé par la liberté d’expression. Comme toute liberté, elle n’est pas absolue. Un influenceur pourrait critiquer des produits ou services d’une marque qui ne respecterait pas des valeurs fondamentales (égalité des sexes, développement durable, bien-être animal, etc.). Mais ses « posts » ne doivent pas être virulents. Par exemple, le dénigrement a été retenu par la Cour d’appel de Paris en 2021 contre un tweet du youtubeur Cyprien critiquant un magazine en raison du caractère violent des propos utilisés par le youtubeur qui « excédait l’humour et la dérision que le droit de libre critique pouvait autoriser». Par ailleurs, l’influenceur pourrait être poursuivi s’il diffame une personne ou l’injurie (loi du 29 juillet 1881) ou s’il tient des propos racistes ou fait du cyber harcèlement, ou encore ou s’il contrevient à une disposition spécifique (comme par exemple la loi Evin sur la publicité des alcools ou la réglementation relative à la publicité sur les produits financiers).
La responsabilité de l’influenceur pourrait également être engagée sur des fondements spécifiques au droit de la communication audiovisuelle. Qu’il soit ou non rémunéré, l’influenceur est responsable du contenu qu’il poste sur les réseaux sociaux, car dès lors qu’il est titulaire de comptes sur les réseaux sociaux, il est considéré comme un « utilisateur d’un service de partage de contenus en ligne ». Il sera donc considéré comme directeur de la publication au sens de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle et considéré comme éditeur de contenus au sens de la loi de confiance dans l’économie numérique du 24 juin 2004. Le retrait des contenus litigieux peut être obtenu, par voie judiciaire ou extrajudiciaire, en les signalant et en dialoguant avec les réseaux sociaux concernés selon les procédures mises en place par le Digital Services Act.
Outre ces deux fondements de responsabilité, dès lors que l’influenceur est rémunéré, en nature ou en argent, pour faire la promotion d’une marque, il est soumis à des exigences supplémentaires qui visent notamment à protéger le consommateur, même si la marque exerce un contrôle éditorial prépondérant. L’influenceur devra mentionner expressément et sans équivoque le caractère publicitaire de son « post » (partenariat rémunéré sponsorisé, collaboration etc.). En outre, l’influenceur ne doit pas tromper sa communauté, sous peine d’être poursuivi pour pratiques commerciales trompeuses. Il en est ainsi, par exemple, si l’influenceur présente un produit comme miraculeux ou en l’affublant de fausses qualités. Par exemple, l’influenceuse Nabilla a été condamnée en 2021 pour avoir omis de signaler qu’elle avait été rémunérée par un site pour faire la promotion des bitcoins et pour des allégations trompeuses quant à la gratuité du service proposé par le site et les rendements espérés des placements en bitcoin.
La pratique du dropshipping ou « livraison directe » peut aussi être source de responsabilité pour l’influenceur. Selon cette pratique, le consommateur passe commande auprès du site de « dropshipping » qui transmet la commande à un fournisseur souvent situé hors UE. Ce dernier fait livrer les produits directement au client. Cette pratique n’est pas interdite, mais elle devient problématique lorsque les produits livrés sont de mauvaise qualité ou ne sont pas livrés ou entraînent des frais cachés ou des délais de livraison très longs. Dans la mesure où le contrat est conclu entre le consommateur et le « dropshipper », cette vente est soumise aux dispositions du Code de la consommation encadrant les contrats conclus à distance.
Si l’influenceur, profitant de sa visibilité sur les réseaux sociaux, crée son site de vente en ligne en recourant au « dropshipping », il est pareillement assujetti à cette réglementation. Mais souvent, l’influenceur ne fait que promouvoir un site de « dropshipping » en faisant par exemple miroiter des prix bas à qualité égale à celle d’une marque. Il n’est pas alors vendeur et ne peut donc être responsable des défauts de conformité ou autres mauvaises surprises. Pour autant, si l’annonce postée par l’influenceur est trompeuse, par exemple quant à la qualité du produit, ou si elle omet de communiquer le nom de l’intermédiaire vendeur (le site de dropshipping ») ou d’indiquer que les produits présentés n’étaient pas en stock, il pourrait être poursuivi pour pratique commerciale trompeuse. Il pourrait également être poursuivi pour contrefaçon si le produit livré est une contrefaçon et que son annonce est de nature à engendrer une confusion dans l’esprit du public quant à l’origine du produit.
À votre sens, le cadre légal existant est-il satisfaisant et quelles pourraient être les améliorations souhaitables ?
On a vu que les influenceurs sont soumis aux droits de la publicité, la consommation, la concurrence déloyale, la propriété intellectuelle ou à des règles spécifiques encadrant des publicités dans des domaines particuliers (alcool, produits financiers, etc.) ou encore au droit pénal spécial (harcèlement, délit d’abus de faiblesse, etc.). Ce cadre légal est donc éclaté. Afin de protéger le consommateur, il pourrait être utile de rappeler les exigences de transparence et de loyauté qui s’imposent à tout influenceur rémunéré, exerçant cette activité à titre habituel. Pour plus de clarté, pourrait être rappelée l’exigence d’une mention du caractère publicitaire de tout « post » rémunéré. De même, à l’instar du courtier, il pourrait être mentionné que l’influenceur soit tenu de vérifier les informations élémentaires (comme par exemple l’absence de fictivité du produit vanté, l’immatriculation du site de vente en ligne, etc. ). L’activité d’agent d’influenceurs pourrait également être réglementée.
Faut-il aller plus loin et considérer que ces influenceurs professionnels, qui tirent directement profit de cette activité, devraient fournir toutes les informations sur ce qu’ils présentent et être garants de la qualité des produits et services qu’ils recommandent ? Faut-il admettre qu’ils soient tenus de la garantie des vices cachés ou encore de la garantie légale de conformité au sens de la directive n° 2019/771 du 20 mai 2019 relative à certains aspects concernant les contrats de vente de biens, transposée en droit interne par l’ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021 ? On peut en douter dès lors qu’ils ne sont pas vendeurs ou qu’ils ne se présentent pas comme tels au sens des textes précités. Et contrairement à une agence de publicité, ils ne sont pas non plus des professionnels du conseil.
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