Une inscription des trottinettes électriques dans le Code de la route serait-elle logique ?
La trottinette n’est plus réservée aux enfants aux pieds vigoureux. Elle devient paradoxalement un instrument propre aux adultes pressés, soucieux d’éviter les encombrements et désenchantés par les transports en commun. Il suffit désormais d’avoir pris l’application auprès des sociétés Lime ou Bird et de vérifier que la pile électrique n’est pas déchargée, pour disposer, dans toute grande ville, de ce qui est maintenant un engin de transport, ou plus exactement un engin de location, car la trottinette est simplement louée à son utilisateur, du reste, à ses risques et périls.
Décryptage par Philippe Delebecque, professeur de droit à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, à l’heure où le gouvernement envisage d’inscrire les trottinettes dans le code de la Route.
« Il est permis de se demander si les dispositions sur l’éclairage des véhicules, sur le stationnement et la mise en fourrière seront rendues applicables »
Quelle serait la place des trottinettes électriques dans le Code de la route ?
Les pouvoirs publics envisagent de soumettre les utilisateurs de trottinettes électriques au Code de la route. La mesure aurait déjà sa place dans les dispositions de la future loi sur les Mobilités. À tort ou à raison ? Il est sûr que l’impression de liberté est affectée si le trottinettiste doit rouler à droite, éviter les trottoirs, porter un casque, s’arrêter aux feux rouges et ne pas remonter les files d’automobiles, sans parler de l’interdiction de prendre un passager ou même un simple colis. En outre, la trottinette n’est pas une simple bicyclette qui a droit à toutes les attentions ou préoccupations des collectivités locales, voire du législateur, car son usager ne recourt pas ou presque pas à sa propre énergie motrice : c’est la pile électrique qui l’entraîne à 20 ou 30 km/h, à charge pour lui de garder l’équilibre et la ligne. Est-ce pour autant un véhicule terrestre à moteur justiciable des dispositions du code de la route, étant entendu que le terme véhicule à moteur désigne « tout véhicule terrestre pourvu d’un moteur de propulsion » (art. L. 110-1 c. route) ? Une simple pile électrique peut-elle être assimilée à un moteur de propulsion ? Les discussions sont ouvertes. Sans doute ne faut-il faire aucune différence selon qu’il y a propulsion ou traction, et sans doute faut-il admettre que le véhicule visé par le code de la route est tout engin pourvu d’un moteur, quel qu’il soit, qui entraîne ses roues ou même sa roue.
Quelles seraient les restrictions imposées aux trottinettes dans ce contexte ?
Faut-il en rester là ? Faut-il au contraire donner un statut à la trottinette et la soumettre à la réglementation du Code de la route ? Malgré les contraintes liées à tout interventionnisme étatique, il est difficile de ne pas l’admettre. La sécurité n’a pas de prix. Imposer de rouler sur les pistes cyclables et/ou sur la seule chaussée devrait contribuer à limiter bon nombre de collisions avec les piétons. Imposer le port du casque (v. déjà art. L. 431-1) diminuera également bon nombre d’accidents individuels. Mais n’est-ce pas mettre le doigt dans l’engrenage ? On imagine la surenchère : quid des gants ? Quid des jambières ? Peut-être aussi du gilet fluorescent ? Bien entendu, on ne saurait d’ores et déjà permettre à l’utilisateur de se déplacer avec un colis ou encore avec un passager, mais il est permis de se demander si les dispositions sur l’éclairage des véhicules, sur le stationnement et la mise en fourrière seront rendues applicables.
Qu’en serait-il du point de vue de la protection civile ?
Sur le plan civil, on peut compter sur les assureurs pour veiller au grain et soumettre les compagnies propriétaires des trottinettes à l’obligation d’assurance. La formule du code de route (art. L. 324-1 ; égal. c. ass. art. L. 211-1 ; adde. L. 5 juill. 1985, sur les accidents de la circulation, applicable dès l’instant qu’un véhicule terrestre à moteur est impliqué dans un accident) est large, puisque l’assurance est obligatoire pour l’usage de tout véhicule terrestre à moteur, défini ici comme « tout véhicule automoteur destiné à circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique sans être liée à une voie ferrée », ce qui exclut la bicyclette, les moyens de transport maritimes (scooters de mer) et aérien (ULM), les tondeuses à gazon et les motoculteurs, mais nullement les mini-motos ni même les vélomoteurs (en panne) que l’on pousse à la main. La trottinette entre, semble-t-il, dans la définition, dans la mesure où l’engin est apte à la circulation et permet un déplacement d’un point à un autre. La réponse est plus positive, si besoin était, si l’on rappelle que pour M. Chabas, grand spécialiste du droit de la responsabilité civile (Le droit des accidents de la circulation, 2ème éd., 1988, n° 131), le véhicule terrestre à moteur visait « tout engin ayant une force motrice, apte au transport des personnes ou des choses et évoluant sur le sol » et si l’on veut bien admettre que l’esprit de la loi, comme les exigences de sécurité, devraient conduire à exclure de la catégorie des véhicules terrestres à moteur les seuls jouets, ce que sont les trottinettes d’enfants, mais non les trottinettes d’adultes. Quant au conducteur, qui est au cœur du système du droit des accidents de la circulation, il est compris comme celui qui a la maîtrise du véhicule, ce qui ne peut pas ne pas concerner le « trottinettiste ».
Ajoutons que les conditions générales auxquelles on demande à tout utilisateur de trottinette électrique d’adhérer, n’ont rien d’exceptionnel, si ce n’est qu’elles mettent le loueur à l’abri de pratiquement toute responsabilité, tout en donnant compétence à une loi étrangère (californienne pour Bird) et en stipulant, en vue du règlement des éventuels conflits, une très large clause d’arbitrage. Les questions de droit des contrats se poseront tôt ou tard (entretien, vices cachés, restitution, …), mais pour l’heure la question essentielle est bien celle de l’application du code de la route à ces nouveaux engins à deux roues. La réponse ne peut être que positive, du moins dans le principe.
Par Philippe Delebecque