Travail détaché : quels sont les changements apportés par la révision de la directive de 1996 ?
Le Parlement européen a approuvé le 29 mai dernier à une large majorité (456 pour et 147 contre) la révision de la directive encadrant le statut des travailleurs détachés, datant de 1996.
Décryptage de Julien Icard, professeur de droit à l’Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis.
« La directive oblige les employeurs détachant des travailleurs à appliquer la rémunération définie par l’Etat d’accueil »
Qu’est-ce qu’un « travail détaché » ?
Aux termes de la directive 96/71, est un travailleur détaché tout travailleur qui, pendant une période limitée, exécute son travail sur le territoire d’un État membre autre que l’État sur le territoire duquel il travaille habituellement. Cette disposition doit être lue en combinaison avec plusieurs autres dispositions de la directive 96/71, notamment celle définissant les types de détachement entrant dans le champ de la directive, ou de la directive 2014/67 précisant le caractère temporaire du détachement ainsi que la nécessité pour l’entreprise détachante d’exercer des activités substantielles. Le détachement est ainsi une opération temporaire de mobilité intra-contractuelle d’un travailleur d’un pays membre de l’Union vers un autre, qui correspond soit à une prestation de service de l’entreprise détachante vers l’entreprise d’accueil, soit à une pure convention au sein d’un groupe d’entreprises, soit à une mise à disposition d’une entreprise à une autre.
Ce travailleur détaché est alors soumis, pour sa relation de travail, à au moins deux lois : celle de l’Etat d’accueil pour un noyau dur de dispositions impératives défini par la directive et potentiellement enrichi par l’Etat d’accueil et, pour le reste, celle de la loi de son contrat de travail, déterminée par le règlement Rome 1. En réalité, le travailleur détaché est également soumis, en matière de protection sociale, à la loi de l’Etat d’origine par application des dispositions du règlement 883/2004.
À quoi correspond réellement la directive votée par le Parlement ?
Alors que la directive 2014/67 était une directive d’exécution qui visait à préciser les conditions de mise en œuvre de la directive 96/71, sans en modifier la teneur, la proposition de directive, votée par le Parlement européen le 29 mai dernier, est un acte de révision de la directive 96/71. Il s’agit d’un texte de compromis entre pays de l’Ouest et de l’Est.
Même si le texte est loin d’être aussi ambitieux que le Gouvernement français le proclame, il apporte plusieurs modifications importantes à la directive initiale. Le texte précise d’abord une durée maximale pour le détachement de douze mois, qui peut être portée à dix-huit mois, durées applicables en cas de détachements successifs. Le dépassement ne donne pas lieu à déqualification et à application de l’intégralité des dispositions de la loi du pays d’accueil mais à une application plus large – au-delà du noyau dur – de la loi du pays d’accueil, le droit du licenciement en étant toutefois exclu. Ce n’est pas seulement les contours temporaires qui sont modifiés, le statut du travailleur détaché est également enrichi de deux manières. Le noyau dur de dispositions impératives est élargi puisque la notion de rémunération est substituée à celle de salaire minimal.
Suivant en cela la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, la directive oblige les employeurs détachant des travailleurs à appliquer la rémunération définie par l’Etat d’accueil, incluant tous les éléments jugés obligatoires par la législation de ce dernier. La directive établit une – trop ? – subtile distinction entre, d’une part, les allocations visant à couvrir les dépenses de voyage, de logement et de nourriture des travailleurs éloignés de leur domicile pour des raisons professionnelles soumis au droit du pays d’accueil et, d’autre part, les allocations propres au détachement versées à titre de remboursement des dépenses effectivement encourues à cause du détachement, telles que les dépenses de voyage, de logement ou de nourriture, considérées comme faisant partie de la rémunération, contribuant dès lors à abaisser la rémunération due au titre du droit du pays d’accueil.
Par ailleurs, le projet prévoit désormais que le noyau dur de dispositions impératives du pays d’accueil s’applique aux salariés détachés, que ces dernières émanent des lois et règlements ou des conventions collectives de portée générale.
Jusqu’à présent, seul le secteur de la construction était concerné par de telles conventions collectives, sauf si la loi du pays d’accueil en disposait autrement. Ainsi, le noyau dur devra être respecté par les employeurs, y compris dans les pays d’accueil dans lesquels la source de la réglementation du travail est essentiellement conventionnelle. Enfin, afin de répondre à l’émoi provoqué par les affaires Laval et Viking, il est inscrit dans la directive qu’elle ne porte aucunement atteinte à l’exercice des droits fondamentaux reconnus dans les États membres et au niveau de l’Union, notamment le droit ou la liberté de faire grève ou celui de négocier, de conclure et d’appliquer des conventions collectives.
Que va changer l’adoption de cette directive au sein de l’Union européenne ?
Comme le soulignait une journaliste belge spécialiste des questions européennes, il ne faut pas sous-estimer la difficulté de réviser un tel texte « face aux vents contraires violents venus de l’Est ». Pour autant, on assiste à une formidable opération de communication politique autour de ce texte alors que ses avancées sont modestes ou symboliques. La durée du détachement reste bien trop longue au regard de la pratique du détachement.
Quant au noyau dur, les modifications en matière de rémunération constituent essentiellement une codification de la jurisprudence européenne. Elles sont en outre très incertaines. En ce qui concerne la France, l’ouverture du noyau dur aux conventions collectives de portée générale n’aura strictement aucune incidence, le code du travail prévoyant d’ores et déjà une telle application aux salariés détachés. Certaines dispositions, sources d’abus ou de difficultés, demeurent en outre inchangées : les types de détachement, la notion de travailleur détaché… Enfin, une réforme satisfaisante du détachement n’aura d’intérêt que si le régime social du détachement, issu du règlement 883/2004, évolue substantiellement. La réforme du texte est en route, gageons qu’elle soit plus substantielle que marketing.
Par Julien Icard