Présidence française du Conseil de l’Union européenne : Quels enjeux juridiques et politiques ?
Par Thibaut Fleury Graff, Professeur à l’Université Paris-Saclay (UVSQ).
Par Thibaut Fleury Graff, Professeur à l’Université Paris-Saclay (UVSQ)
La Slovénie vient de prendre pour six mois la tête du Conseil de l’Union européenne, ce qui permettra à son premier ministre, Janez Jansa, proche du premier ministre hongrois Vicktor Orban, de mettre certaines thématiques au premier plan de l’agenda européen, tel que la promotion de l’Etat de droit… « dans le respect des traditions et systèmes constitutionnels nationaux ». La France prendra sa suite et assurera la Présidence du Conseil à partir du 1er janvier prochain. Cette fonction singulière aura également une résonance particulière, du fait de sa coïncidence avec la campagne pour les présidentielles de 2022.
Qu’est-ce que le Conseil de l’Union européenne ? Pourquoi la France va-t-elle le présider ?
Les institutions européennes constituent une galaxie dans laquelle il n’est pas toujours aisé de se repérer. Le Conseil de l’Union européenne – qui ne doit pas être confondu avec le « Conseil européen », qui réunit les chefs d’Etats et de gouvernement des Etats membres de l’UE, ni avec le « Conseil de l’Europe » qui est une organisation régionale à partie entière – est institué, sous le simple nom de « Conseil », par l’article 13 du Traité sur l’Union européenne (TUE). Il s’agit de l’instance qui, en vertu de l’article 16 du même texte, exerce notamment « conjointement avec le Parlement européen, les fonctions législatives et budgétaires ». Le Conseil est l’un des organes clés du processus législatif européen, dont il représente le versant interétatique. En effet, si ce sont les élus du peuple européen qui siègent au sein du Parlement, ce sont les représentants « de chaque État membre au niveau ministériel » (art. 16 TUE) qui composent le Conseil de l’Union, dont la formation varie en fonction des domaines concernés : le Conseil « Affaires économiques et financières » réunit les Ministres en charge de ce portefeuille dans chaque État membre, le Conseil « Affaires étrangères » les Ministres des affaires étrangères, etc. Il y a ainsi, au total, dix formations possibles du Conseil. L’institution est assurément originale. Elle permet aux Etats de peser lourdement dans l’adoption des règles européennes, celles-ci ne pouvant l’être sans l’accord du Conseil. Mais l’originalité de l’institution tient également aux modalités de sa présidence.
Selon l’article 16§9 TUE en effet, « la présidence des formations du Conseil à l’exception de celle des affaires étrangères, est assurée par les représentants des Etats membres au Conseil, selon un système de rotation égale ». Ainsi, tous les six mois, un État membre assure cette Présidence : le Portugal l’a assurée de janvier à juin 2021, la Slovénie prendra sa suite jusqu’en décembre prochain, avant que ne vienne le tour de la France de janvier à juin 2022. Elle sera suivie par la Tchéquie – le calendrier est fixé jusqu’en 2030 !
Quelles sont les prérogatives de l’État qui assure la Présidence du Conseil ?
Assurer la Présidence du Conseil est un rôle à la fois technique et politique.
Technique, car les représentants de l’État qui en est chargé doivent veiller au bon déroulement du processus législatif, des débats, négociations, et travaux des différents comités qui composent le Conseil. Sur ce point, la présidence est supposée jouer « le rôle d’un intermédiaire intègre et neutre ».
Mais cette présidence permet également à l’État qui en a temporairement la charge de peser politiquement sur les travaux du Conseil. Il a la main sur l’organisation des réunions et sur leurs ordres du jour, il est à la manœuvre pour trouver des compromis – ou en retarder certains… – et peut de ce fait fixer ses « priorités » pour les six mois durant lesquels il assure la Présidence. La Présidence slovène, qui vient de commencer, a ainsi établi trois priorités : l’avenir de l’Europe, la promotion de l’Etat de droit…dans le respect des traditions et systèmes constitutionnels nationaux, et le développement d’une Union « crédible et sûre, capable d’assurer la sécurité et la stabilité dans son voisinage ». Si les priorités de la Présidence française n’ont pas encore été officiellement dévoilées – elles le seront à l’automne 2021 – il ne fait nul doute qu’elles joueront un rôle important…dans le débat public interne.
Quelles conséquences de la Présidence française du Conseil entre janvier et juin 2022 ?
La Présidence du Conseil peut permettre à un État de dynamiser le processus législatif européen, en donnant l’impulsion politique nécessaire ou en facilitant les négociations relatives à l’adoption d’une règle européenne en particulier. Il n’en demeure pas moins que le poids de cette Présidence est nécessairement limité, du fait de sa durée très courte, largement inférieure à la durée du processus législatif lui-même. La Présidence a cependant, en tout état de cause, une importance symbolique. Elle assure à l’État concerné, pendant six mois, une visibilité sur la scène européenne. Le poids historique, économique et politique de la France au sein de l’Union européenne ne la lui rend certes pas indispensable de ce point de vue : il en va différemment toutefois pour les « petits » Etats membres. La Slovénie avant la France, la Tchéquie après elle, jouit là d’une tribune qui n’est pas anodine, surtout lorsque l’on connaît les tensions qui peuvent exister entre les Etats membres sur certains sujets – migrations ou État de droit notamment.
En outre, la Présidence française aura, l’an prochain, une importance spécifique, puisqu’elle coïncidera avec la campagne et les élections présidentielles de 2022. La coïncidence n’est pas nouvelle – ce fut déjà le cas en 1965 et en 1995 – mais l’importance politique de l’Union a été grandissante depuis les années 1960 et 1990, du fait notamment des « crises » qui se sont succédées depuis la fin des années 2000 (crise financière, crise de l’accueil des migrants, crise sanitaire…). Aussi la Présidence française est-elle vue comme un « atout » ou comme des « mois utiles » pour le Président français en exercice, qui disposera assurément là d’une scène supplémentaire pour mener, sans (trop) en avoir l’air, campagne, ce d’autant plus qu’Angela Merkel, qui y joue un rôle de premier plan depuis plus de quinze ans, quittera à l’automne ses fonctions de chancelière.
Certains thèmes sont ainsi, déjà, avancés comme priorités possibles de la Présidence française du Conseil : abandon de la règle des 3% de déficit public, taxation des géants du numérique, projet de taxe carbone aux frontières, renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l’Union pour limiter les migrations… Autant de sujets sur lesquels aucun accord majeur ne pourra être obtenu en six mois au niveau européen, mais qui permettront au Président de la République de dynamiser, à tout le moins…le processus électoral français – à condition toutefois de faire vite : sa marge de manœuvre sera plus réduite lorsqu’au 31 mars 2022, commencera officiellement la campagne présidentielle.
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