Pourquoi demande-t-on à Marine Le Pen de se soumettre à une expertise psychiatrique ?
Marine Le Pen a été convoquée par la justice à une expertise psychiatrique dans le cadre de l’enquête concernant la diffusion sur Twitter de documents relatant des crimes commis par le groupe Etat Islamique.
Décryptage par Didier Rebut, professeur de droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas.
« Marine Le Pen ne peut pas être jugée sans qu’une mesure d’expertise ait été décidée la concernant »
Pourquoi Marine Le Pen fait-elle l’objet d’une demande d’expertise psychiatrique ?
Marine Le Pen fait l’objet d’une poursuite pour « délit de fabrication, transport, diffusion, commerce de messages violents ou pornographiques susceptibles d’être vus ou perçus par un mineur ». Ce délit est prévu par l’article 227-24 du Code Pénal et punit notamment la diffusion d’un message à caractère violent, « incitant au terrorisme, à la pornographie ou portant atteinte à la dignité humaine »
L’article 706-47-1 du code de procédure pénale prévoit que les personnes poursuivies pour ce délit doivent faire l’objet d’une expertise médicale avant tout jugement au fond.
Cette obligation découle de la nature de cette infraction qui a pour objet la protection des mineurs. La punition de la diffusion de messages violents est ainsi punie dans la mesure où ils sont susceptibles d’être vus par un mineur. Or, le législateur considère que les atteintes aux mineurs sont souvent le fait de personnes qu’il convient de soumettre à des soins. C’est précisément pour déterminer si la personne poursuivie envisage d’être soumise à de tels soins que le code de procédure pénale prévoit qu’elle doit faire l’objet d’une expertise psychiatrique avant jugement. Cette expertise est aussi prévue pour d’autres infractions contre les mineurs comme les assassinats et meurtres précédés ou accompagnés de viols ou la corruption de mineurs.
La mise en œuvre de cette mesure d’expertise à l’encontre de Marine Le Pen résulte donc de la qualification pénale qui a été appliquée aux faits qui lui sont reprochés. Dès lors que cette qualification est celle de l’article 227-24 du Code pénal, la mesure d’expertise est obligatoire. Cela peut étonner mais c’est la stricte application du Code de procédure pénale. Cela conduit évidemment à s’interroger sur l’adéquation de cette qualification pénale aux faits reprochés à Mme Marine Le Pen lesquels relèvent davantage du délit de presse que des atteintes aux mineurs. C’est pourquoi la question de savoir si elle présente une dangerosité criminelle contre les mineurs – ce qui est l’objet d’une telle expertise- peut sembler incongrue.
Peut-elle refuser ?
La loi ne prévoit pas d’obligation de se soumettre aux expertises psychiatriques. Pareille obligation serait sans doute incompatible avec ce type d’expertise qui requiert la participation de la personne concernée. Marine Le Pen peut donc très bien refuser de se soumettre à cette expertise.
Ce refus devra être constaté par l’expert qui a été commis soit que celle-ci ne réponde pas à sa prise de contact soit qu’elle lui signifie expressément qu’elle n’entend pas se soumettre à l’expertise. L’expert constatera alors qu’il ne peut pas remplir sa mission et en fera part à la juge d’instruction, laquelle pourra alors clôturer son instruction et renvoyer Marine Le Pen devant le tribunal correctionnel.
La juge d’instruction pouvait-elle s’abstenir de décider cette expertise ?
L’article 706-47-1 du code de procédure pénale prévoit expressément que les personnes poursuivies pour le délit prévu par l’article 227-24 du Code pénal doivent faire l’objet d’une expertise avant jugement. Ces termes correspondent à une obligation. La Cour de cassation a en sens exigé que les personnes jugées pour l’une des infractions auxquelles cette obligation est applicable aient fait l’objet d’une expertise avant leur jugement. Elle a ainsi annulé une condamnation prononcée contre une personne à laquelle l’article 706-47-1 du code de procédure pénale était applicable et qui n’avait pas fait l’objet d’une expertise. Il en découle que Marine Le Pen ne peut pas être jugée sans qu’une mesure d’expertise ait été décidée la concernant.
La juge d’instruction pouvait certes s’abstenir de décider cette mesure et laisser le tribunal correctionnel prendre cette décision étant donné que le code de procédure pénale prévoit seulement qu’une expertise doit avoir lieu avant tout jugement au fond, ce qui n’implique pas que cette expertise doit être décidée pendant l’instruction. Mais il est de la logique de l’instruction que les expertises avant jugement aient lieu pendant cette phase et non au stade de l’audience où cela retarde l’issue du procès en contraignant le tribunal à suspendre son audience et à fixer une nouvelle audience et alors que le calendrier des audiences est très chargé.
Il convient de préciser que si un jugement ne peut pas être rendu sans qu’une mesure d’expertise ait été décidée, il n’est pas impératif évidemment que cette mesure ait été exécutée. La solution inverse reviendrait à laisser la maîtrise de son procès à la personne poursuivie puisque celle-ci –nous l’avons dit- n’a pas d’obligation de se soumettre à la mesure d’expertise. Il s’ensuit que son refus de se soumettre à l’expertise n’interdit pas de la juger. Il convient alors de constater que la mesure a bien été décidée mais qu’elle n’a pas pu être menée à bien du fait du refus de la personne poursuivie. C’est vraisemblablement ce qui va se passer pour Marine Le Pen. La juge d’instruction décidera de son renvoi après que l’expert l’a informée du refus de Marine Le Pen de se soumettre à l’expertise et le tribunal, dans ces conditions, pourra la juger sans encourir une annulation pour ce motif.
Par Didier Rebut